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Pourquoi, demandera-t-on peut-être, un physiologiste s'occupe-t-il de psychologie? Est-ce bien son affaire? La physiologie n'est-elle pas en entier une science d'expérimentation?

C'est en répondant à ces questions que nous montrerons dans toute son évidence le but utile que nous nous sommes proposé d'atteindre.

Nous faisons de la psychologie pour deux motifs :

1° Parce que la physiologie du cerveau ne sera réellement faite, même au point de vue de l'expérimentation pure, que le jour où la psychologie aura déterminé les éléments psychiques qui doivent servir de flambeau et de guide aux physiologistes;

2o Parce que, au dire même des psychologues sincères, la psychologie, livrée pour le moment aux vents capricieux des systèmes, ne se constituera sérieusement que le jour où elle pourra prendre pied dans les faits positifs de la vie cérébrale.

Si nous pensions qu'un homme autorisé pût contre

dire la justesse de ces motifs, nous n'hésiterions pas à garder le silence; mais telle n'est point notre conviction.

Nous pouvons d'ailleurs appuyer cette manière de voir, en esquissant rapidement l'état actuel de la physiologie cérébrale et de la psychologie.

Dès les premières années de ce siècle, la physiologie du système nerveux réalisait un progrès immense par la découverte que fit Charles Bell, physiologiste anglais, de deux ordres de nerfs : les uns chargés de provoquer les mouvements, les autres destinés à recueillir les impressions sensitives. Utilisant le procédé de Charles Bell, les expérimentateurs de tous les pays n'ont eu qu'à retirer de cette idée féconde toutes les conséquences qu'elle renfermait, et aujourd'hui l'on peut dire que la physiologie des nerfs et de la moelle est à peu près faite.

On ne peut pas en dire autant de la physiologie du cerveau, et la cause en est palpable. Tant qu'on s'était borné à faire de la physiologie des nerfs et de la moelle, le procédé de Charles Bell était parfait; il suffisait, sur un animal vivant, de pincer, près de la moelle dénudée, une racine sensitive, et la contraction musculaire qui succédait à ce pincement indiquait visiblement le rôle fonctionnel de cette portion de l'axe médullaire.

Appliqué au cerveau, ce procédé ne pouvait être d'aucune utilité. Et d'abord, tandis que dans la moelle le mouvement excitateur ne détermine qu'une transformation simple de mouvement, sans autre phénomène appréciable, dans le cerveau le mouvement excitateur est transformé en chose sentie, en perception, et le mouvement réactionnel qui succède à l'impression n'est plus subordonné à une excitation simple, mais à cette perception.

En second lieu, tandis que, dans la moelle, le mouvement réactionnel succède fatalement à l'excitation de la racine sensitive, dans le cerveau l'excitation peut ne pas être suivie du même résultat.

Troisièmement enfin, tandis que dans la moelle le mouvement qui succède à l'impression est le résultat inconscient et fatal de l'excitation, dans le cerveau le mouvement peut être voulu et inspiré, non plus par l'impression actuelle, mais par des impressions de souvenir que cette dernière aura réveillées.

Dans ces conditions, le procédé des vivisections de Charles Bell ne pouvait être d'aucune utilité pour la recherche des fonctions du cerveau. C'est pourquoi les savants qui n'ont employé que ce procédé se sont contentés des succès qu'ils avaient obtenus en expérimentant sur la moelle et sur les nerfs, et ils ne se sont jamais élevés jusqu'au cerveau.

Cependant, si la physiologie des nerfs eut son procédé et son idée féconde, celle du cerveau eut aussi l'une et l'autre. Gall, partant de ce fait que les choses de l'esprit doivent trouver dans le cerveau les conditions matérielles de leur développement et de leur expression, eut l'idée de prendre l'âme telle que les psychologues l'avaient constituée et de la placer dans le cerveau, qu'il divisa arbitrairement en autant de compartiments qu'il y avait de facultés. Si quelqu'un dut suspecter la légitimité de cette physiologie cérébrale, ce furent sans doute les psychologues eux-mêmes, qui mieux que personne connaissaient la valeur de l'âme qu'on leur empruntait si gracieusement. Aussi Gall compta-t-il peu de partisans parmi les philosophes.

L'idée des localisations était bonne en soi, mais les conditions de son application furent puériles et compromettantes. Les savants gardèrent l'idée féconde et renièrent le système.

C'est cette idée qui inspirait Serres quand il détruisait avec des caustiques les diverses parties du cerveau pour en découvrir le fonctionnement.

C'est la même idée qui poussait Flourens à couper le cerveau par tranches sur les animaux vivants.

C'est enfin l'idée des localisations cérébrales qui en

traînait tous les médecins instruits, et qui pouvaient le faire, à rechercher dans les nécropsies les lésions matérielles du cerveau qui avaient pu produire les troubles observés pendant la vie.

Les résultats qu'obtinrent les physiologistes furent trop généraux et trop vagues pour constituer la physiologie cérébrale. Que nous importe, en effet, de savoir que la faculté du langage articulé, par exemple, a son siége dans les lobes antérieurs, si l'on ne nous dit pas, en même temps, par quel mystérieux mécanisme se forme la parole? Non-seulement nous dirons que cela nous importe peu, mais nous ajouterons que cette connaissance, dans ce qu'elle a d'absolu, est nuisible aux progrès de la science.

Il suffit, en effet, que l'on ait constaté la relation qui existe entre les manifestations du langage et certaines parties du cerveau pour que l'on croie avoir fait la physiologie de la parole. La parole est liée à l'intégrité de telle partie du cerveau; donc, s'empresse-t-on de dire, dans cette partie réside le principe régulateur, législateur des mouvements de la parole, et la physiologie de cette partie du cerveau est faite.

N'en déplaise à ceux qui professent ainsi la physiologie, mais, n'est-ce pas lâcher la proie pour l'ombre? Il ne suffit pas, en physiologie en physiologie, de constater que tel organe remplit telle fonction; il faut surtout expliquer le mécanisme fonctionnel de cette fonction, car c'est dans cette explication que réside essentiellement tout problème physiologique. Si, depuis plus de quarante ans qu'on connaît plus ou moins la localisation de la parole, à laquelle se rattachent d'une manière éclatante les travaux de M. Bouillaud, on se fût moins préoccupé du fait même de la localisation pour s'attacher à déterminer les éléments anatomiques qui entrent dans le mécanisme fonctionnel de la parole, on aurait reconnu certainement que la coordination des mouvements de la parole n'est pas un fait élémentaire que l'on puisse rattacher à un organe déterminé, mais un enchaînement de phéno

mènes régulièrement produits par le mécanisme fonctionnel du cerveau, et présentant le caractère formel que nous avons assigné à tous les mouvements intelligents.

Cette recherche, dans tous les cas, aurait eu pour résultat de faire connaître les éléments divers, qui, bien qu'éloignés des lobes antérieurs, n'en concourent pas moins à la formation de la parole, et l'on aurait eu ainsi l'explication de certains faits en apparence contradictoires (troubles de la parole coïncidant avec des lésions des lobes postérieurs ou du cervelet) que l'on a invoqués contre la localisation absolue de la parole dans les lobes antérieurs.

La critique que nous venons de formuler, à propos de la parole et touchant les localisations de Gall, peut être appliquée à tous les organes de la phrénologie et à tous ceux qui ont imité plus ou moins ouvertement l'illustre réformateur. Cette critique peut être généralisée ainsi : Au lieu de déterminer le siége et le rôle fonctionnel des éléments qui concourent à l'activité cérébrale, recherche qui, à elle seule, constitue la physiologie de cet organe, les localisateurs n'ont songé qu'à localiser un ensemble de manifestations qui résultent du fonctionnement du cerveau, sans prétendre expliquer ce fonctionnement luimême. En d'autres termes, ils ont remplacé la vraie physiologie cérébrale par l'expression synthétique d'un certain nombre de phénomènes qu'ils ont affectée à telle ou telle autre partie du cerveau.

L'idée des localisations cérébrales, dont la première expression remonte très-haut dans l'histoire de la science, était un progrès réel, un premier pas vers la découverte de la vérité; mais les localisateurs ont mal appliqué cette idée féconde, et, en l'amoindrissant, ils sont parvenus à enfermer la physiologie cérébrale dans une impasse. Il est évident que les diverses manifestations de l'activité de l'esprit humain correspondent à l'activité de certains éléments anatomiques; mais ces localisations, si réelles et si précieuses à connaître, doivent être recherchées d'après des principes et des lois que les localisateurs n'avaient

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