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Si l'on en excepte les mouvements du langage, le nombre d'éléments psychiques que l'on trouve dans l'exécution de tout mouvement est le même chez l'homme et chez l'animal. A ce point de vue l'homme et la bête ne se distinguent que par la nature même de ces éléments; mais cette différence est fondamentale et, à elle seule, elle suffit pour creuser l'abîme qui sépare le singe de l'être humain.

Pour établir cette différence aussi sérieusement qu'elle le mérite, nous examinerons séparément, sous les noms de mouvements de l'ètre sensible ou instinctifs, les mouvements de la bête, et sous les noms de mouvements intelligents certains mouvements spéciaux à l'homme.

Mouvements de l'être sensible.- Le mécanisme physiologique des mouvements étant le même chez l'homme et chez l'animal, comme nous l'avons vu tout à l'heure, nous nous appliquerons exclusivement à déterminer la nature, la valeur psychique et l'enchaînement des éléments qui entrent dans ce mécanisme.

Premier élément. La perception que provoque dans le cerveau l'excitant fonctionnel est le premier élément que nous ayons à considérer.

En général, les causes impressionnantes qui provoquent la perception, sont des objets complexes qui développent, non pas une perception simple, mais un ensemble de perceptions associées qui constitue ce que nous avons désigné sous le nom de notion sensible. L'animal n'a que des notions sensibles; il ne sent dans les causes impressionnantes que les caractères sensibles; en aucun cas il n'établit ce que nous avons appelé le rapport intelligent. La seule chose que la sensibilité fournisse qui ne soit pas dans les objets à l'état de caractère physique, c'est le sentiment agréable ou désagréable qui accompagne toute perception. Ce sentiment équivaut chez l'animal au rapport intelligent établi par l'intelligence, car c'est lui en définitive qui inspire tous les actes de la bète.

Le premier élément psychique est donc représenté par

une notion sensible. Nous ferons remarquer que l'établissement de ce fait a une importance majeure; il est évident que le mouvement exécuté doit revêtir les caractères de la notion qui l'a inspiré.

Deuxième élément. A la suite de l'excitation de la cause impressionnante et de la perception qu'elle provoque, nous trouvons le second élément constitué par le réveil des notions acquises.

Que sont, chez l'être exclusivement sensible, les notions acquises? Ces notions, nous l'avons prouvé, sont des notions sensibles et rien que des notions sensibles. L'animal n'établit pas de rapports intelligents, par conséquent il ne peut pas classer des notions intelligentes.

Il associe parfois des notions sensibles de manière à donner à ses actes une apparence d'intelligence; mais, dans ce cas, c'est nous qui établissons le rapport intelligent.

Troisième élément. Le réveil des notions acquises, sous l'influence de la perception actuelle, est suivi d'une sorte de comparaison qui porte principalement sur le sentiment agréable ou désagréable dont les caractères physiques de la notion sont l'occasion. L'animal ne compare pas les caractères physiques dans le but d'en retirer, comme nous, une notion intelligente capable d'inspirer les actes. Non, l'animal apprécie surtout, à l'occasion de ces caractères, le sentiment agréable ou désagréable, et c'est le plus fort de ces deux sentiments qui détermine le but à atteindre et le mouvement à exécuter. Tels sont le jugement et la comparaison de l'être exclusivement

sensible.

A partir de ce moment, de deux choses l'une ou bien le jugement ferme le cycle de l'activité psychique, et il n'y a pas de mouvement exécuté, ou bien le jugement. décide l'existence d'un but à atteindre et la nécessité d'un mouvement à provoquer. Dans ce dernier cas nous nous trouvons en présence du quatrième élément. Quatrième élément. Cet élément psychique est réduit

à peu de chose chez l'animal. Il suffit, en effet, que l'être sensible sente le but à atteindre ou à éviter pour que le désir qui l'anime provoque, dans les corps striés, l'excitation spéciale qui doit aboutir à la provocation des mouvements convenables.

Chez l'homme, le quatrième élément est représenté par l'exécution tacite, intra-cérébrale, du mouvement intelligent, mouvement préparé, calculé, soumis à l'épreuve des divers rapports intelligents. L'animal n'a besoin ni de préparation, ni de modèle; il voit un but, et il provoque pour l'atteindre les mouvements que la nature a mis tout prêts à sa disposition.

Cinquième élément.

C'est dans l'exécution du mouvement désiré que nous trouvons le cinquième et le dernier élément psychique.

Tout mouvement a besoin d'être dirigé ; mais il faut s'entendre sur cette direction. L'animal ne coordonne pas en mouvements d'ensemble les mouvements élémentaires qui concourent à un mouvement composé. Cette coordination est préétablie dans l'organisation. Nousmême, quand nous levons le bras, nous ne nous préoccupons pas de diriger la contraction des muscles nombreux qui concourent à cet acte.

Bien plus, l'animal qui vole, qui nage, qui saute, qui court, ne se regarde ni voler, ni nager, ni sauter, ni courir. Il ne dirige donc pas ses mouvements par le sens de la vue, ni par celui de l'ouïe. Le seul sens spécial en jeu dans ces circonstances est le sens du tact qui lui donne le sentiment de son activité, mais sans diriger les mouvements dans un sens déterminé. Qu'est-ce donc qui irige l'animal dans tous ces actes? Ce quelque chose, c'est le but à atteindre. L'animal voit, entend, odore le but ou les obstacles qui l'en éloignent, et cette sensation seule dirige ses mouvements.

Les organes du corps de l'animal sont des possibilités de mouvements organiquement préparés d'avance. Selon l'impulsion prédominante, l'animal excite tel ou tel autre

mouvement sans jamais se préoccuper de diriger directement les détails de son exécution. Ce qu'il dirige, ce sont les mouvements d'ensemble en vue d'atteindre un but déterminé, et les impressions qui proviennent de ce dernier président seules à cette direction.

Nous verrons bientôt combien l'homme diffère de la bête sur ce point particulier.

Les éléments psychiques que nous venons d'analyser présentent, chez l'être exclusivement sensible, des caractères tout à fait spéciaux; mais ces caractères ne peuvent avoir un intérêt utile qu'autant qu'ils sont mis en regard des caractères des mouvements intelligents. Nous établirons ce parallèle quand nous aurons caractérisé les mouvements intelligents. Préalablement, nous allons compléter nos idées sur les mouvements de l'être exclusivement sensible en donnant une classification physiologique de ces mouvements.

§ II.

CLASSIFICATION DES MOUVEMENTS PROVOQUÉS PAR L'ACTIVITÉ PSYCHIQUE CHEZ L'ÊTRE EXCLUSIVEMENT SENSIBLE.

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MOU

VEMENTS INSTINCTIFS.

Au point de vue exclusivement physiologique, cette classification devrait avoir pour base les divers appareils d'organes qui exécutent les mouvements: organes de translation, organes sensoriels, organes de l'expression; mais, comme nous l'avons remarqué dans notre physiologie du système nerveux (1), cette division nous entraînerait à une véritable étude zoologique qui se prêterait difficilement à l'expression des vues générales qui seules doivent nous occuper ici.

Partant de ce fait que le plaisir et la douleur, chez l'être exclusivement sensible, synthétisent tous les carac

(1) Voir cette classification dans notre Physiologie, p. 460.

tères de la notion, quand on n'envisage cette dernière qu'au point de vue des mouvements qu'elle peut provoquer, nous nous croyons suffisamment autorisé à adopter ces deux sentiments pour base de notre classification.

L'animal connaît d'abord le monde extérieur par le sentiment agréable ou désagréable qu'il réveille en lui. Ce sentiment, associé dans la mémoire avec la représentation des objets qui l'ont provoqué, devient l'origine des mouvements les plus variés, mais que l'on peut toujours distinguer par un des caractères suivants : caractères attractif, répulsif, expressif.

Mouvements attractifs. Ces mouvements se produisent sous l'impulsion des besoins et en présence des objets animés ou inanimés capables de satisfaire les besoins. Le désir de cette satisfaction, toujours agréable, est le mobile directeur de l'exécution de tous ces mouvements.

Le premier des mouvements attractifs se montre après la naissance lorsque l'animal, poussé par la faim, se meut en flairant vers la source vivifiante. Dans cet acte l'activité sensible est réveillée, non-seulement par le contact des mamelles et par l'arrivée du lait, mais aussi par les circonstances de milieu qui ont accompagné ces impressions. Il suit de là que, dans l'avenir, l'animal. de nouveau sollicité par le besoin de la faim, se rappellera non-seulement le sentiment agréable déjà éprouvé, mais encore les circonstances de milieu qui l'ont amené à cette satisfaction, et il dirigera ses mouvements en conséquence. Pour regagner la mamelle, il ne raisonne pas, il se souvient et il agit.

Plus tard, lorsque la source vivifiante est tarie, l'animal, dirigé par les sens, se meut vers un autre milieu, et, selon les organes que la nature lui a donnés, il fait sa proie d'un animal ou il se nourrit d'un végétal. Ce nouveau milieu aura dès lors le privilége de diriger les mouvements attractifs de la bête, grâce au souvenir du sentiment agréable de satisfaction qu'elle aura éprouvé.

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