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de l'homme; mais il faut avouer que, dans certains cas, elle réalise de vrais prodiges.

Quoi de plus admirable que de voir les espèces animales distinguer, avec un flair inconnu à l'homme, les plantes nutritives et saines de celles qui ne le sont pas ! Et cependant les animaux n'ont point fait un cours de botanique. Ils voient une plante, ils l'odorent, et leur sensibilité est impressionnée agréablement ou désagréablement. Dans le premier cas, ils se l'incorporent; dans le second, ils la laissent. Telle est le secret d'une science qui ne les trompe jamais.

L'animal fuit aussi bien le membre zélé de la Société protectrice des animaux que le braconnier le plus endurci. C'est qu'il ne juge l'homme qu'à ses caractères sensibles, et qu'il n'établit pas le rapport intelligent qu'il peut y avoir entre un honnête homme et un fripon.

On a souvent dit que les animaux établissent des rapports de nombre; qu'ils peuvent compter jusqu'à un certain nombre d'individus. Cela n'est pas. L'intelligence seule établit des rapports intelligents.

Il résulte de ce qui précède que la notion sensible d'un objet est constituée par l'ensemble des perceptions élémentaires que la sensibilité découvre dans cet objet. Ces perceptions représentent les caractères sensibles, associés dans le souvenir, au moyen desquels l'animal établit une distinction entre les diverses notions. Mais il ne faut pas oublier que, dans cette distinction, le sentiment agréable ou désagréable fatalement lié à chaque perception joue un rôle de premier ordre. Ce rôle est analogue à celui que joue le rapport intelligent dans l'acquisition de toute notion intelligente. De même que la sensibilité goute l'agréable ou le désagréable, de même l'intelligence sent les rapports de toute nature.

Un chien qui a été battu par un homme armé d'un bâton fuira toujours à la rencontre de la même image. Pourquoi cela? Parce que l'impression douloureuse est associée dans son cerveau avec la vue du bâton entre les

mains de l'homme, et que désormais le réveil de l'une de ces sensations provoquera fatalement le réveil de l'autre. Si le chien avait la connaissance intelligente, il ne fuirait pas indistinctement à la vue de tout homme armé d'un bâton, et ce qu'il n'acquerra que par la suite en associant la vue d'un bâton à des impressions moins désagréables, il l'acquerrait tout de suite par la notion intelligente, c'est-à-dire en établissant des rapports intelligents.

Ni l'agréable ni le rapport ne sont perçus par un sens spécial l'un est l'attribut inséparable de la sensibilité; l'autre est l'attribut de l'intelligence.

Après avoir ainsi déterminé ce que l'on doit entendre par notion sensible, nous essayerons de classer physiologiquement ces notions afin d'avoir quelque idée de la constitution de l'instrument cérébral chez les animaux.

Toute notion sensible, reposant nécessairement sur une perception, il nous a paru logique d'adopter pour les notions sensibles le classement que nous avons établi pour les perceptions.

Dans un premier groupe nous rangeons les notions sensibles qui sont constituées par les perceptions dont la cause est dans l'évolution de la vie organique : la notion des divers besoins, depuis le besoin de la faim et de la soif jusqu'au besoin de sentir et de mouvoir.

Dans le deuxième groupe nous réunissons les notions qui reposent sur les perceptions fonctionnelles de plaisir et de douleur.

Dans le troisième groupe nous mettons les notions qui reposent sur les perceptions sensorielles.

Dans le quatrième groupe se trouvent toutes les notions qui reposent sur les perceptions résultant de l'activité de nos organes.

L'avantage de ce classement s'impose directement à notre intellect. Il suffit, en effet, de faire l'énumération des notions sensibles dans l'ordre indiqué, en se rappelant les caractères propres à chaque groupe de percep

tions, pour éviter la confusion dans laquelle sont tombés la plupart des auteurs sur ce sujet.

Les notions du premier groupe s'acquièrent en distinguant les besoins entre eux.

Il en est de même des notions du deuxième groupe, que nous acquérons par l'expérience des divers plaisirs et des douleurs variés, et en établissant entre eux des comparaisons dont le souvenir recueille le résultat.

Les notions du troisième groupe comprennent ce que l'on désigne habituellement, mais à tort, sous le nom de perceptions extérieures. Les sensations qui résultent de l'activité des organes sont des perceptions extérieures, puisqu'elles proviennent de l'action de nos mouvements sur un des cinq sens, et cependant on ne doit pas les classer parmi les perceptions extérieures, dont elles se distinguent par des caractères tout à fait formels.

Les notions du quatrième groupe n'avaient jamais été classées nulle part, par la raison bien simple qu'on n'avait pas jusqu'ici déterminé l'existence des perceptions sur lesquelles elles reposent. Cependant elles ont une grande importance, puisqu'elles président à la mécanique instinctive de tous les animaux.

Privé de cet ordre de notions, l'animal n'aurait pas la notion sensible de ses actes; il serait réduit à un simple mécanisme. Il est évident que si Descartes eût connu ces notions parfaitement définies, il n'eût pas inventé l'automatisme des bêtes, invention malheureuse et qui exerce encore sur quelques esprits une influence fàcheuse.

C'est à ce quatrième groupe de notions sensibles que se rapportent la plupart des actes des animaux, que l'on confond généralement avec les actes de l'homme, quand on dit, par exemple, qu'un animal parle, demande, etc., etc., Dans toutes ces circonstances l'animal exprime instinctivement un vif désir par des moyens. mimiques ou sonores qui résultent de l'activité involontaire de ses organes. Ces moyens accompagnent le désir, mais ne sont pas voulus.

Connaissant la manière dont se développe la notion sensible; connaissant surtout l'influence que le sentiment agréable ou désagréable exerce sur la détermination de l'animal, il n'est pas un acte de ce dernier que l'on ne puisse facilement expliquer, à une condition cependant : c'est qu'on se méfiera de la tendance qui nous pousse à accorder aux animaux ce qui est exclusivement dans notre cervelle.

L'homme, lui aussi, acquiert les notions sensibles. Cela lui arrive toutes les fois qu'il se borne, dans ses distinctions, à recueillir les caractères sensibles d'un objet sans faire intervenir les nobles prérogatives de l'intelligence. Ces prérogatives consistent, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, à créer des caractères distinctifs d'après les rapports intelligents que l'homme établit entre ses diverses perceptions.

En résumé:

La notion sensible est celle qui résulte d'une certaine activité fonctionnelle de l'âme ayant pour but d'établir, d'après des caractères exclusivement sensibles, une distinction formelle entre une perception et les autres notions déjà acquises.

Le souvenir est indispensable dans cette distinction. Le sentiment agréable ou désagréable qui accompagne fatalement toute notion sensible est un des éléments les plus importants de la notion, non pas comme caractère sensible, car il n'y a pas de sens spécial pour percevoir l'agréable et le désagréable, mais comme association utile à la conservation de la notion.

Il y a des notions simples et des notions complexes : les premières reposent sur une seule perception élémentaire; les secondes reposent sur un ensemble de perceptions formant un tout distinct d'un autre tout.

Il y a autant de notions sensibles qu'il y a de perceptions, et le classement des unes est identique à celui des

autres.

L'homme acquiert des notions aussi bien que l'animal;

mais, à ce point de vue, l'homme est souvent inférieur à la bête. Heureusement, grâce à la notion intelligente que lui seul possède, l'homme, s'il le veut, est incomparablement supérieur au plus sensible de tous les animaux.

§ II.

DE LA NOTION INTELLIGENTE.

L'homme partage avec les animaux la prérogative d'acquérir des notions sensibles; mais lui seul est capable de se donner la notion intelligente, et cela pour deux motifs qu'il est utile de formuler tout de suite :

1° Parce que le principe de vie chez l'animal ne possède que les attributs de la sensibilité, tandis que, chez l'homme, ce même principe est tout à la fois sensible et intelligent. Grâce à ce dernier pouvoir, l'âme humaine est susceptible de sentir autre chose que les impressions spéciales qui lui arrivent à travers les nerfs de la sensibilité; elle comprend, c'est-à-dire elle sent les rapports de toute nature qui existent entre les divers objets de ses impressions; elle sent particulièrement les rapports qui existent entre ce qui est elle et ce qui n'est pas elle. Pour acquérir la notion intelligente, il faut donc être d'abord intelligent.

2o Parce que l'activité fonctionnelle fondamentale nécessaire à l'acquisition d'une notion intelligente exige une certaine organisation cérébrale que l'on ne trouve que chez l'homme. Ces détails d'organisation sont encore peu connus; mais nous savons d'une manière générale que le cerveau de l'homme est plus volumineux que celui de n'importe quel animal; nous savons encore que les circonvolutions qui participent à la manifestation du langage n'existent que chez l'homme.

A ces deux motifs, nous pourrions en joindre un troisième non moins éloquent.

La sensibilité cherche dans les impressions le senti

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