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Le passage de l'âme non sensible à l'état d'âme sensible n'est-il pas d'ailleurs un mode d'activité? Quand l'âme n'est point sensible, elle n'est pas moins active. sous une autre forme : elle préside à la vie intime des cellules cérébrales. En devenant sensible, elle change tout simplement son mode d'activité.

Cette démonstration nous paraît péremptoire; mais elle pourrait paraître incomplète si nous n'ajoutions pas aussitôt que l'activité de l'âme sensible apparaît surtout d'une manière éclatante dans les actes de la pensée, où jusqu'à présent on ne l'avait pas même soupçonnée.

Ainsi donc l'âme, en tant qu'elle est revêtue de sa forme sensible, est essentiellement active et ne saurait être autrement. Une puissance telle que l'âme ne devrait jamais être appelée passive, pas plus qu'on ne dirait d'un ressort comprimé qu'il représente une puissance passive.

L'âme est une puissance qui n'est ni servie ni empêchée par des organes; elle est unie selon certaines lois à des organes, et, toutes les fois qu'on la sollicite par des moyens conformes à ces lois, elle se montre comme une puissance variée dans ses modes, et non comme quelque chose qu'on appelle passif. Nous n'admettons pas de puissance passive. Une puissance est ou n'est pas. La forme sensible de l'âme est un mode d'activité qu'on pourrait et qu'on devrait appeler activité sensible.

La démonstration de l'activité psychique par les conditions fonctionnelles peut paraître suffisante. Cependant nous pouvons recourir à une démonstration nouvelle en considérant cette activité dans ses rapports avec les éléments anatomiques. Nous pensons même donner par ce moyen une idée tout à fait exacte et précise de ce qu'on doit entendre par activité de l'âme.

Et, d'abord, nous prions le lecteur de se défaire de cette idée fausse qui nous représente l'âme comme un chef d'armée parcourant un champ de bataille par luimême ou par l'intermédiaire de ses lieutenants.

L'âme ne se déplace pas ainsi; elle est partout indissolublement unie (pendant la vie) avec l'élément matériel, et elle manifeste des pouvoirs spéciaux sur place et selon l'élément matériel qu'elle anime. Dans les couches optiques, elle perçoit et connaît; dans la périphérie corticale du cerveau, elle localise sous forme de mouvement in posse les résultats sensibles de son activité et les possibilités du souvenir; dans les corps striés, elle montre son aptitude à provoquer les mouvements. L'âme décentralise ainsi ses pouvoirs dans les trois centres principaux de l'organe cérébral, mais sans cesser d'être une. Le secret de cette unité dans la multiplicité s'explique par la connaissance des liens anatomiques et fonctionnels qui unissent ces trois centres. Grâce aux fibres nerveuses qui les unissent, ces organes n'en font qu'un, et, grâce aux lois fonctionnelles, l'un de ces organes ne saurait entrer en activité sans que l'activité des deux autres ne fût immédiatement réveillée.

Il suit de là que, si l'activité des couches optiques, par exemple, vient à être mise en jeu par l'excitant fonctionnel, l'activité des autres centres ne tarde pas également à se montrer, mais successivement.

Telle est l'activité de l'âme considérée à un point de vue général : une activité sensible et motrice mise en jeu par l'excitation des perceptions actuelles ou de souvenir.

Pour la connaitre d'une manière tout à fait complète, nous l'examinerons sous les divers modes d'activité sensible, d'activité motrice, d'activité fonctionnelle et d'activité fondamentale.

§ II.

ACTIVITÉ SENSIBLE ET INTELLIGENTE.

(Sensibilité et intelligence des auteurs.)

D'après ce que nous venons dire, l'âme exerce ses

pouvoirs en des lieux différents, mais sans cesser d'être une. Il suit de là qu'elle est tout entière dans chacun de ses modes d'activité, et qu'on ne saurait la considérer dans l'état physiologique agissant sous la forme de l'un de ses attributs sans la coopération des autres. Cependant nous pensons que l'on peut, au point de vue didactique et après avoir fait ses réserves, examiner séparément l'activité sensible et l'activité motrice. Nous nous occuperons d'abord de la première.

Pour les uns, la sensibilité est une propriété de la matière « L'animal, dit Cabanis, est une combinaison sentante, apte à recevoir certaines impressions et à exécuter certains mouvements (1). » La sensibilité est répandue partout « Vivre, c'est sentir, » dit encore le même auteur (2).

Cette façon de considérer la sensibilité conduit à admettre une sensibilité sans sensation dans les viscères. « Cette croyance, dit Cabanis, est un point fondamental dans l'histoire de la sensibilité physique (3). »

Pour d'autres, ce n'est pas la sensibilité qui est un peu partout, c'est l'intelligence elle-même :

«La physiologie, dit M. Cl. Bernard, établit clairement. que la conscience a son siége exclusivement dans les lobes cérébraux. Mais, quant à l'intelligence elle-même, si on la considère d'une manière générale, comme une force qui harmonise les différents actes de la vie, les règle et les approprie à leur but, les expériences physiologiques nous démontrent que cette force n'est pas concentrée dans un seul organe cérébral supérieur, et qu'elle réside au contraire, à des degrés divers, dans une foule de centres nerveux inconscients, échelonnés tout le long de l'axe cérébro-spinal, et qui peuvent agir d'une façon indépendante, quoique subordonnés hiérarchiquement les

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uns aux autres (1). » (Discours à l'Académie française, dans la Revue des Cours scientifiques du 29 mai 1869.)

:

Évidemment, ni Cabanis ni M. Cl. Bernard n'avaient une idée bien juste de ce que l'on doit entendre par sensibilité et intelligence. La sensibilité de Cabanis n'est autre chose que le principe de vie lui-même répandu partout et présidant à tout mouvement de l'organisme. Mais Cabanis n'a pas su voir que ce principe uni à la matière manifeste ses attributs essentiels d'une manière variable selon les organes qu'il anime dans le foie, il préside à la formation de la bile; dans les muscles, à la confection des fibres contractiles et à la contraction; dans certaines parties du système nerveux, enfin, au développement de la sensibilité. Toutes les parties de l'organisme peuvent fournir une cause impressionnante capable de provoquer les manifestations de la sensibilité, mais la sensibilité ne se développe que dans un organe déterminé dans le cerveau. Il n'y a donc pas dans les viscères une sensibilité sans conscience. Cette contradiction dans les termes est d'ailleurs blessante pour le bon sens. On sent ou on ne sent pas là où on ne sent pas, il n'y a pas sensibilité.

En plaçant l'intelligence dans des centres inconscients, M. Cl. Bernard compromet singulièrement les caractères de l'intelligence, dont l'attribut essentiel, précisément, réside dans la conscience. Une intelligence sans conscience n'est pas l'intelligence. M. Cl. Bernard a évidemment confondu la véritable intelligence, dont le siége exclusif est dans le cerveau, avec les dispositions anatomiques prévues qui, dans la moelle, président aux mouvements élémentaires dont l'intelligence ne dirige pas l'exécution. Ces organes inconscients constituent l'harmonie préétablie du corps vivant, et, à ce titre, ils représentent l'intelligence du Créateur et non celle de l'homme.

La conséquence de cette manière de voir est facile à

(1) Cl. Bernard, Discours à l'Académie française.

éduire : du moment que des centres inconscients sont intelligents, l'intelligence n'est plus un principe déterminé, c'est la sensibilité, la matière, tout ce qu'on voudra, car on n'y regarde pas de si près. Déjà même quelques physiologistes ont appelé les actes de la pensée des actes réflexes. Cette dénomination nous paraît être le fruit d'un manque de réflexion réflexe.

Il est assez difficile de justifier le dédain très-accentué que les psychologues professent pour la sensibilité. Réduite par les uns à la simple faculté de sentir le plaisir et la douleur, elle est délaissée par les autres comme un objet malsain qu'il ne faut toucher qu'avec beaucoup de précaution. Cependant, comme il n'est pas possible de lui refuser une toute petite place dans l'entendement, « on se tirera de cette difficulté, dit Ad. Garnier, en réservant le nom d'entendement pur ou raison pure à l'intelligence qui agit sans l'intermédiaire du corps » (1). On se tirera de cette difficulté! Les psychologues comprennent donc toute l'importance de la sensibilité? Et pourquoi ne veulent-ils pas l'avouer? La perception cependant est le seul phénomène de la vie qui puisse donner à une doctrine spiritualiste sa raison d'être.

Les psychologues, dans cette circonstance, poussent à l'extrême, on ne comprend pas pourquoi, l'opposition des sens à la raison. Aristote, et après lui les scolastiques, ont insisté sans doute beaucoup sur cette opposition; les Pères de l'Église y ont même puisé des arguments très-précieux pour la prédication de la morale; mais les uns et les autres ont fait une juste part à la sensibilité, qu'ils considèrent comme une des facultés, une des fonctions de l'âme (2).

Loin d'entr'ouvrir faiblement la porte à la sensibilité, pour la laisser pénétrer dans l'entendement, on devrait, selon nous, la lui ouvrir toute grande, de peur qu'elle

(1) Ad. Garnier, Traité des facultés de l'âme, t. III, p. 427.

(2) Aristote, de Anima, II. Saint Thomas, t. III, p. 229, trad. de M. Lachat, Paris, 1873.

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