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verrons bien s'il est permis de faire entrer la passivité dans l'activité de l'âme.

Dans ses rapports avec la vie organique, c'est-à-dire avec les corpuscules divers qui sont le siége du mouvement vital, l'âme est essentiellement active. C'est grâce à elle que les éléments sont vivants et aptes à faire la physique et la chimie de la vie. Une cellule non animée, non vivante, ne fera jamais de la bile en vertu des propriétés de la matière dont elle est composée. Cette activité est incessante depuis la naissance jusqu'à la mort.

Les conditions physiologiques de l'action de l'âme sur les éléments de la vie organique sont l'aliment et le milieu. Faute d'aliment la matière organique s'épuise et échappe à l'action de l'âme. Il en est de même du milieu respirable, qui est aussi nécessaire à la matière que l'aliment. Nous passerons sous silence les autres conditions du milieu.

Dans ses rapports avec la vie fonctionnelle, c'est-à-dire avec l'activité fonctionnelle des divers organes, l'âme est également active, mais cette activité revêt une forme éminemment variable, selon l'ordre de fonctions où on l'examine.

Mais, avant d'aller plus loin, établissons ce fait général et commun à toutes les fonctions, que l'excitant fonctionnel est indispensable à la mise en train de toute fonction. Point d'exception à cette loi physiologique que nous avons posée le premier.

L'estomac, le foie, les poumons, le cœur, ne fonctionnent que sous l'influence de l'excitant qui leur est propre l'aliment, l'air, le sang.

Le muscle ne fonctionne que sous l'influence de l'excitation nerveuse.

Le cerveau, considéré au point de vue de la vie de relation, ne fonctionne, lui aussi, que sous l'influence d'une impression sentie. Cette loi, dont l'importance n'échappera à personne, est la conséquence d'une autre loi qu'on peut formuler ainsi : L'exercice de toute fonction est inter

mittent. L'estomac, le foie, le poumon, le cœur se reposent, les muscles également; le sommeil est la période de repos de la fonction cérébrale. Toute fonction se repose, si je puis m'exprimer ainsi; la vie organique seule ne se repose jamais.

Cela posé et donné comme ce qu'il y a de plus formel, de plus fondamental en physiologie, reprenons notre sujet. L'excitant fonctionnel provoque l'activité fonctionnelle des organes en agissant sur les nerfs sensitifs, et ceux-ci, à leur tour, agissent sur les nerfs moteurs qui tiennent sous leur dépendance les mouvements de la fonction. Mais ici se présente une distinction capitale et fort utile à connaître.

L'excitant fonctionnel peut être senti ou non senti. Dans les fonctions de nutrition nous ne le sentons pas si nous sommes en état normal. Dans les fonctions de relation, où le moi est toujours présent, nous le sentons nécessairement, car c'est lui qui éclaire, inspire ou détermine nos divers modes d'activité.

Il est évident que l'activité de l'âme ne se présente pas sous la même forme dans ces deux ordres de fonctions. Dans les premières l'âme agit comme puissance active, mais non sensible, non consciente. Dans les secondes, au contraire, elle agit avec conscience, car elle sent et elle sait qu'elle sent. Ces deux modes de l'activité de l'âme sont soumis aux mêmes lois de l'excitant fonctionnel et de l'intermittence de la fonction. Une seule chose les distingue: la nature de la fonction.

Dans ses rapports avec le cerveau l'âme devient sensible, intelligente et capable de provoquer des mouvements dont elle perçoit les effets, tandis que, dans ses rapports avec les autres organes, elle préside à des fonctions qui s'accomplissent sans doute avec intelligence (intelligence prévue, harmonie préétablie), mais dont le but est tout autre que le développement de la sensibilité, de l'intelligence et du mouvement provoqué et perçu.

Si on veut bien comprendre les problèmes de l'âme, il

ne faut jamais perdre de vue que l'âme spécialise ses puissances dans les divers organes, et que la manifestation de ces puissances est soumise aux lois de la physiologie. Ce n'est pas nous qui le voulons. Cela est.

Après avoir établi les propositions qui précèdent, nous pouvons laisser de côté les rapports de l'âme avec la vie. organique et avec les fonctions de nutrition, pour la considérer exclusivement dans ses rapports avec les fonctions de relation, et particulièrement avec les fonctions du cerveau.

Par suite de son union à la matière cérébrale. l'âme ne manifeste ses attributs fonctionnels qu'à deux conditions: 1° Il faut qu'elle sente le besoin de fonctionner.

2o Il faut qu'elle trouve dans l'excitant fonctionnel le motif et la détermination de son fonctionnement.

Nous examinerons successivement ces deux conditions: 1° Les lois de l'organisation sont telles que chaque organe trouve en lui-même la disposition naturelle à fonctionner. Pour certains organes, cette disposition se traduit par un sentiment très-vif que nous appelons faim, soif. Pour d'autres, pour le cerveau, cette disposition est un sentiment de besoin qui pousse l'âme à fonctionner en ouvrant la porte des sens et en provoquant des mouvements. Le premier mobile de l'activité de l'âme se trouve ainsi en elle-même, ou plutôt dans les conditions physiologiques qui résultent de son union avec la matière cérébrale.

2o Mais, pour que le fonctionnement d'un organe soit efficace, il ne suffit pas que cet organe soit prêt et poussé à fonctionner, il faut encore que sa fonction s'exerce en vue du but pour lequel elle a été créée.

L'estomac qui fonctionnerait à vide ne remplirait pas. réellement sa fonction. Or, ce quelque chose qui rend le fonctionnement efficace, c'est l'excitant fonctionnel. L'aliment est l'excitant fonctionnel de l'estomac. Les impressions senties sont l'excitant fonctionnel de l'âme dans ses rapports avec le cerveau.

Le cerveau, sollicité par le besoin à provoquer l'exercice des sens et du mouvement musculaire, ne fonctionne réellement qu'à partir du moment où une impression sentie vient le déterminer et lui fournir 'en même temps l'occasion de s'exercer.

Pour embrasser dans tout son ensemble l'importance de l'excitant fonctionnel au point de vue de l'activité de l'âme, il ne faut point oublier que toute impression sentie peut jouer le rôle d'excitant, et que, par conséquent, les notions acquises, les perceptions de souvenir doivent être considérées comme des excitants fonctionnels possibles.

Dans l'enfance, alors que l'âme est comme une tabula rasa, les perceptions extérieures jouent le plus souvent le rôle d'excitant fonctionnel; mais, à mesure que l'esprit s'enrichit de notions acquises, celles-ci, réveillées dans le souvenir, jouent tout comme les premières le rôle d'excitant fonctionnel. Disons en passant que la méconnaissance de cette dernière condition est la principale cause de l'erreur des idéalistes.

Entre le moment du réveil et le moment du sommeil, l'âme est en état d'activité fonctionnelle continue, mais ce mode d'activité varie avec la nature de l'excitant fonctionnel. Celui-ci est d'abord un paysage, une couleur, une saveur, une douleur; puis c'est un souvenir agréable, une pensée triste, une volition; la rencontre d'une personne change le mode fonctionnel, et ainsi de suite jusqu'au moment où, fatiguée, épuisée par cet exercice, varié sans doute, mais continu, l'âme ferme de nouveau la porte des sens et de la périphérie corticale du cerveau pour prendre un repos nécessaire et réparateur.

Si l'on ajoute au tableau précédent cette considération, que le mode d'activité appelé volonté ne fait pas exception. à la règle, on n'objectera rien à la proposition suivante : L'âme trouve en elle-même la disposition naturelle à l'activité; mais l'accomplissement réel de cette activité n'est possible qu'avec l'intervention de l'excitant fonctionnel.

Nous soulignons à dessein cette proposition, parce

qu'elle laisse entrevoir les liens physiologiques qui mesurent la liberté relative de l'homme. L'homme est libre dans sa pensée; mais il ne peut pas faire que son âme ne soit enchaînée à certaines conditions physiologiques.

Après avoir ainsi posé les conditions de l'activité de l'âme, nous pouvons à présent considérer cette activité en elle-même et décider enfin si l'âme est active ou passive dans toutes les circonstances où elle nous montre un de ses attributs.

Pour nous, la réponse n'est pas difficile: l'âme est active partout où elle se montre. C'est ce qu'il faut prouver.

Les psychologues, et avec eux la plupart des penseurs, frappés de la corrélation nécessaire qui existe entre les causes impressionnantes provenant de l'organisme ou du monde extérieur et le réveil de la sensibilité, ont admis que l'âme est passive quand elle subit l'influence de ces causes. Rien n'est plus trompeur que la logique apparente de ce raisonnement.

En effet, pour manifester un de ses attributs essentiels qui est la sensibilité, l'âme n'a qu'à se soustraire à sa destinée en ne fonctionnant pas. Le sentiment du besoin ne tarde pas à la faire devenir sensible. Ou bien encore l'excitant fonctionnel n'a qu'à se présenter, et l'âme se montre aussitôt sous forme de sensibilité. Dans ces diverses circonstances, l'âme a reçu une influence qui est en dehors d'elle, cela n'est pas douteux. Mais cette influence, de quelque nature qu'elle soit, ne fait pas que l'âme sur laquelle elle s'exerce soit passive. De ce que la poudre exige le contact du feu pour s'enflammer, dira-t-on que l'explosion est un phénomène passif?

Il en est ainsi de l'âme pour devenir sensible, elle requiert l'influence de l'excitant fonctionnel ou du besoin; mais, une fois devenue sensible, elle représente une puissance essentiellement active par elle-même, capable de transformer les causes impressionnantes en perception d'abord, en notion acquise ensuite.

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