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CHAPITRE PREMIER.

De l'activité psychique en général.

§ I.

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APERÇU HISTORIOUE ET CRITIQUE. CARACTÈRES DE L'ACTISES CONDITIONS ANATOMIQUES ET

VITÉ PSYCHIQUE.

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PHYSIOLOGIQUES. DIVISION DE L'ACTIVITÉ PSYCHIQUE EN ACTIVITÉ SENSIBLE, ACTIVITÉ MOTRICE, ACTIVITÉS FONCTIONNELLES, ACTIVITÉS FONDAMENTALES.

Les perceptions que nous avons énumérées dans la première partie sont sans contredit des modes d'activité du principe de vie. La cellule qui perçoit nous montre, en effet, le principe de vie en acte. Mais cette activité élémentaire n'est pas celle dont nous allons nous occuper ici. Expliquons-nous.

Les perceptions simples qui se développent dans les couches optiques ne sont absolument rien par ellesmêmes au point de vue des choses de l'esprit, La perception ne devient réellement quelque chose que si l'attention s'en empare pour la soumettre à l'activité de l'âme. Après l'imprégnation de l'âme, la perception a perdu de sa simplicité; elle est quelque chose de plus elle s'est transformée en perception acquise, en notion, et, dès lors, elle représente un des éléments fondamentaux de l'activité psychique. Or ce résultat n'a pas été obtenu d'emblée en vertu d'un attribut particulier de l'âme; celle-ci a sans

doute transformé la perception selon les possibilités qu'elle doit à son essence; mais c'est essentiellement par son activité que la transformation a eu lieu.

Cette activité est la même qui préside au développement des phénomènes de mémoire, à la détermination des mouvements, à l'exécution des actes de la pensée. C'est cette activité fécondante, grandiose, incomparable, que nous allons nous efforcer de montrer avec ses véritables caractères.

Nous trouvons peu de chose touchant l'activité dans les ouvrages de physiologie. Il est vrai que, lorsqu'on se contente de dire que la pensée, la volonté, etc., sont des propriétés des cellules cérébrales, « un mode de la névrilité », comme dit M. Robin, on n'a pas besoin de s'occuper de l'activité. Remplacer toutes les activités fonctionnelles du cerveau par un mot est une façon très-remarquable de comprendre et de résoudre les difficultés de la physiologie cérébrale. Mais ce procédé de simplification ne saurait satisfaire le goût très-positif de ceux qui, en physiologie, ne se contentent pas de philosophie positive. Il leur faut, c'est leur faible, un peu plus d'idées appuyées sur les faits de l'observation ou de l'expérimentation; il leur faut, pour tout dire, autre chose que la maigre métaphysique renfermée dans le mot propriété.

Cependant il est un physiologiste qui a parlé de l'activité en termes plus que flatteurs. M. Virchow, de Berlin, l'habile propagateur des idées de Goodsir, transfigurant en théorie cellulaire les idées de Broussais, trouve la caractéristique de la vie dans l'activité. « Vivre, c'est sentir, »>< avait dit Cabanis. « Vivre, c'est agir,» dit M. Virchow. L'un vaut l'autre. Cette activité, ajoute M. Virchow, n'est suscitée par aucune cause innée, et, pour la provoquer, il faut nécessairement une irritation. La doctrine de Broussais, portée sur ce terrain, est encore moins viable qu'ailleurs.

En effet, d'après le langage moderne, qui a appliqué le mot activité à tout mouvement de la matière, l'activité

n'est pas plus caractéristique de la vie que de tout autre. phénomène.

La matière vivante est excitable; personne ne le conteste. Mais la matière qui produit un son sous l'influence du choc n'est-elle pas également excitable? L'électricité agissant sur un appareil télégraphique n'est-elle pas un excitateur, et l'appareil une matière excitée?

Il ne faut donc pas dire que la caractéristique de la vie est l'activité, car toute matière, d'après le langage moderne, nous le répétons, est susceptible de montrer un certain mode d'activité qui lui est propre.

Pour que cette manière de voir eût une apparence de raison, il faudrait dire en quoi consiste le mode d'activité de la matière vivante et distinguer ce mode de tous les autres. Là est vraiment la question, le vrai problème physiologique, et c'est ce que M. Virchow a oublié de nous faire connaître (1).

Cela ne nous étonne pas. Pour établir cette distinction, il eût fallu faire un progrès sur Bichat et sur Broussais ; il eût fallu distinguer les modes d'activité de la vie organique des modes d'activité de la vie fonctionnelle; il eût fallu enfin établir ce fait que, si la vie fonctionnelle réclame l'intervention d'une irritation que nous appelons l'excitant fonctionnel, la vie organique s'accomplit d'une façon continue, depuis la naissance jusqu'à la mort, ne demandant que les conditions nécessaires (non l'excitation) à son entretien.

Ceci est de la physiologie en progrès, et M. Virchow n'en était pas arrivé à cet ordre d'idées. Sans cela il eût indiqué les caractères par lesquels l'activité vitale se distingue de toutes les autres activités, et établi ainsi, sur une base inébranlable, une des caractéristiques de la vie.

L'activité devait singulièrement embarrasser ceux des psychologues qui avaient conçu l'âme distincte du corps.

(1) Virchow, Pathologie cellulaire, p. 239 et suivantes.

Il est difficile, en effet, de se figurer cette âme douée. d'activité. Aussi sont-ils généralement très-peu prolixes sur ce sujet; une page leur suffit, et ils s'accordent pour ne donner le nom d'activité qu'à l'exercice de la volonté, comme le voulait Descartes. Ils ajoutent néanmoins dans les dépendances de l'activité: 1° le jeu de notre faculté motrice; 2° les connaissances qui résultent directement de l'activité de l'âme sans le secours des sens; 3o l'inclination, qui nous pousse vers les objets ou nous en éloigne (1).

Ajoutons que les mêmes psychologues considèrent comme un état passif de l'âme tout phénomène psychique qui n'entre pas dans les conditions que nous venons d'énumérer.

Toutes ces propositions reposent sur la croyance à l'existence d'une faculté maîtresse immatérielle, assez prépondérante pour être confondue par quelques-uns avec l'âme elle-même, et reconnue par tous sous le nom de volonté.

Cette prétendue faculté immatérielle est tout simplement un mode de l'activité fonctionnelle de l'âme, s'exerçant dans certaines conditions physiologiques déterminées. Ce mode d'activité porte le nom de volonté, et on le distingue, par ce mot, des autres modes d'activité. Ni plus, ni moins. L'erreur provient ici de ce que la physiologie cérébrale n'était pas faite, et qu'on ne pouvait pas l'inventer. On l'inventait bien dans un sens, puisqu'à la place des fonctions on mettait des facultés immatérielles; mais cette physiologie surnaturelle, cette œuvre de l'imagination humaine ne pouvait pas indéfiniment remplacer l'œuvre vraie, le chef-d'œuvre de la nature.

Ce n'est point ici le lieu de démontrer en quoi consiste l'activité volontaire. Nous prions le lecteur de voir plus loin le chapitre consacré à ce mode d'activité. Bornons-nous à dire que la volonté n'est pas l'activité; c'est un certain

(1) Garnier, loc. cit., t. I, p. 359.

mode de l'activité de l'âme, tout comme la faculté motrice n'est qu'un mode de cette même activité.

Quant au mode d'activité de l'âme qui nous enrichit de connaissances « sans le secours des sens », c'est la pensée elle-même s'exerçant, avec le concours obligé de la fonction-langage, sur les notions acquises et selon les lois de la logique. Dans ces circonstances, l'âme est sans contredit active, mais avec le secours de la matière qui donne une forme à cette activité. D'où il suit qu'elle est active, dans des conditions essentiellement physiologiques et non immatérielles.

En considérant enfin l'inclination comme «< une sorte d'activité résultant d'une faculté immatérielle »>, les psychologues professent non-seulement une idée contraire. aux données de la physiologie, mais encore ils se laissent aller dans la contradiction la plus frappante.

L'inclination, en effet, est une chose sentie, un sentiment qui nous pousse, il est vrai, vers quelque chose; mais ce sentiment lui-même ne fait pas partie de l'activité, à moins qu'on ne confonde le sens de tous les mots. L'inclination est une perception dont la cause est dans notre organisme, et cette cause est un besoin. Or les besoins, les passions, d'après le dire même des psychologues, seraient des états passifs de l'âme, et non des modes d'activité. Par conséquent, il y a contradiction flagrante à professer que l'inclination est un mode d'activité de l'âme.

Pour se faire une juste idée de l'activité psychique, il ne faut pas perdre de vue que l'âme, considérée comme principe de vie, a été unie intimement au corps, et que, par le fait de cette union, ses manifestations de toute nature sont soumises aux conditions physiologiques. C'est la méconnaissance de ces conditions qui a égaré la plupart des penseurs, soit sur les questions fondamentales, soit sur les détails.

Nous allons d'ailleurs examiner les conditions de l'activité psychique d'après les lois de la physiologie, et nous

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