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physiologiquement avant nos travaux. Cet état s'explique très-bien d'après la théorie que nous venons de formuler, et, à son tour, l'hallucination elle-même, bien comprise, apporte un témoignage de plus en faveur de la théorie. L'halluciné, en effet, est celui chez lequel la couche corticale, lésée en un de ses points, provoque dans le centre. de perception non plus une perception normale de souvenir, mais une perception réelle par suite de l'extension de l'excitation morbide aux nerfs qui, d'habitude, provoquent la perception réelle. L'hallucination est souvent intermittente; elle n'est alors que l'exagération simple de l'état normal sur un point spécial, avec conservation des conditions de l'état normal sur les autres points. Mais souvent aussi elle est continue et elle caractérise alors la démence (1).

D'après les explications qu'on vient de lire, il est possible de se faire une idée de la représentation matérielle de toutes nos connaissances dans le cerveau. On peut, avec quelque apparence de raison, considérer que cette représentation a lieu sous la forme d'une cellule dont l'activité mise en jeu serait capable de réveiller, dans le centre de perception, la notion qu'elle représente.

Le mécanisme selon lequel les perceptions actuelles se transforment en acquisitions cérébrales, en perceptions acquises, nous permet de jeter quelque lumière sur la plupart des phénomènes de l'âme qui jusqu'à présent étaient restés inexplicables.

1° Il était impossible, avec les idées reçues, de s'expliquer comment l'âme, séparée du corps, n'est pas continuellement présente dans le passé comme dans le présent, car un esprit pur ne peut pas se cacher une partie de lui-même. Avec notre théorie tout s'explique : l'âme est toujours présente; mais elle est liée à certaines con

(1) Voir pour plus de développements sur ce sujet notre Physiologie de la voix et de la parole, p. 801, et notre Physiologie du système nerveur, p. 809.

ditions matérielles d'existence, et, grâce à ces conditions, elle peut appliquer séparément son activité: soit aux notions qui représentent le passé, soit aux notions qui représentent le présent. Grâce à ces conditions, elle reste une, indivisible, tout en jouissant des prérogatives attachées à la divisibilité de la matière. Elle emprunte, en effet, à la division de la matière la possibilité d'ètre affectée de toutes les façons possibles et de la façon la plus claire, la plus distincte, sans cesser d'être une.

2o Avec la théorie de l'àme spirituelle, séparée du corps, il est impossible d'expliquer comment un esprit pur peut tenir en réserve, définitivement ou temporairement, toutes les notions qui représentent l'intelligence de l'homme. Avec notre théorie, l'explication s'impose d'ellemême à la raison. Du moment, en effet, que chaque perception distincte se donne une certaine forme dans la vie spéciale des cellules de la substance grise, toute notion reste un fait acquis, car nous pouvons, à volonté, nous donner la perception de chaque notion en provoquant l'activité de la cellule à laquelle cette notion correspond. A ce point de vue, le cerveau peut être considéré comme un appareil de réduction comparable à un appareil photographique de réduction microscopique. Il résume dans un simple mouvement moléculaire des phénomènes qui exigeraient, pour être représentés par l'industrie humaine. ou même par les signes du langage, des éléments nombreux et des formules très-compliquées.

3o Avec la théorie de l'àme distincte du corps, comment expliquer ces mystérieuses incitations qui nous font rechercher les plaisirs de l'àme avec la même vivacité qui nous pousse vers les satisfactions nécessaires?

Comment expliquer encore ces impulsions instinctives ou intelligentes qui nous font aimer ou détester le mal, fuir ou rechercher le bien, le vrai, le beau? Un esprit pur peut-il être une belle àme ou une àme horrible? Et, dans l'affirmative, que deviendraient la justice divine et le mérite des actes humains?

Tous ces problèmes sont insolubles quand on considère l'âme séparée du corps. Au contraire, avec notre théorie, ils rentrent dans les conditions de l'explication scientifique.

Si l'on se rappelle en effet: 1° que tout organe a été créé en vue de remplir une fonction; 2° qu'un besoin, un sentiment d'appel, a été attaché à chaque organe pour éveiller la sollicitude du moi à l'égard de l'accomplissement de la fonction; 3° qu'un sentiment de plaisir, sorte de récompense, a été attaché à l'exercice de toute fonction; si l'on se rappelle et si l'on est bien pénétré de ces vérités, de ces nécessités physiologiques, on comprendra que les incitations mystérieuses qui nous font rechercher les plaisirs de l'âme ne sont autres que les besoins propres des cellules cérébrales qui retentissent comme les autres besoins dans le centre de perception. Ces besoins, appelés appétits matériels quand ils sollicitent une satisfaction matérielle, prennent dans le cerveau les noms d'impulsion, d'incitation, mais ce ne sont pas moins des besoins.

En vue de la destinée physiologique pour laquelle elle a été créée, l'âme a ses besoins, ses sollicitations nécessaires qui doivent être entendus. Mais, comme un esprit pur ne saurait trouver en lui les conditions matérielles qui président au développement du besoin, l'âme a été unie aux cellules cérébrales qui lui fournissent ces conditions. Les cellules ébranlent la cloche, et l'âme entend le son.

Dans ces analyses délicates, il ne faut jamais perdre de vue que, si l'âme a été intimement unie au corps, c'est que cela a paru nécessaire. C'est à nous de savoir faire la part de l'un et de l'autre, de découvrir autant que possible les motifs de cette union.

Dans le cas qui nous occupe, les motifs de l'union de l'âme et du corps nous paraissent évidents soumettre toutes les manifestations de l'âme aux sollicitations pressantes du besoin. Toutes les puissances de l'âme se trou

vant disséminées dans des appareils organiques, aucune d'elles ne pouvait ainsi se soustraire à l'appel du besoin, aucune d'elles ne pouvait échapper à sa destinée physiologique. C'est ainsi que les idées et les sentiments fondamentaux de l'âme trouvent dans l'union de cette dernière avec le corps les conditions qui obligent, qui commandent leur manifestation (1).

4° Avec la théorie de l'âme distincte du corps, il nous paraît difficile d'expliquer la nécessité qui nous est imposée d'étudier attentivement les objets de nos impressions afin de les graver dans le souvenir. Un esprit pur, ce nous semble, devrait garder immédiatement le souvenir de tout ce qu'il perçoit. Avec notre théorie, cette difficulté disparaît. On comprend, en effet, que le mouvement propre correspondant à une perception acquise ne s'établisse pas définitivement du premier coup. Nous nous trouvons ici en présence d'un mouvement, et, comme tous les mouvements exécutés par nos organes, celui-ci exige un certain apprentissage, à moins qu'une impression très-vivement sentie ne lui impose violemment ses conditions d'existence.

5o Notre théorie seule enfin permet d'indiquer la base sur laquelle est fondé le classement régulier de toutes les perceptions acquises. Il est évident, pour tous ceux qui ont réfléchi sur ce sujet, que nos perceptions se classent méthodiquement dans notre esprit, sans que notre intelligence intervienne dans les conditions fondamentales de ce classement.

La science peut nous donner sans doute des règles convenables sur la succession logique des connaissances que nous devons acquérir; mais elle ne nous enseigne pas à classer nos perceptions. Ces dernières se classent d'ellesmêmes dans leurs rapports naturels et dans les conditions

(1) Nous n'entendons parler ici que des conditions normales de l'existence. Il est évident que souvent les cris du besoin sont tumultueux, incompris, et que l'éducation doit fournir à l'homme l'occasion de se reconnaitre.

les meilleures pour favoriser les actes de la pensée. Or comment expliquer ce classement méthodique, dans la supposition d'une âme spirituelle séparée du corps? Cela n'est pas possible. Au contraire, en considérant qu'à chaque perception distincte correspond la vie propre d'une cellule placée dans la substance grise des circonvolutions, on est conduit à admettre l'existence d'un classement régulier représenté par des éléments distincts.

Cependant, si le fait fondamental n'est pas douteux pour nous, nous ne saurions décrire les particularités de ce classement organique. Ce que nous savons de positif sur ce point, c'est que la perte de l'association des perceptions acquises (démence) coïncide avec une lésion plus ou moins étendue de la couche corticale du cerveau; c'est que l'état hallucinatoire s'accompagne de lésions isolées dans la même région; c'est que, dans la plupart des maladies fébriles s'accompagnant de délire (fièvre typhoïde, scarlatine, rougeole, etc.), l'inflammation de la couche corticale qui provoque ce délire (méningite) laisse souvent après elle des traces qui entretiennent, pendant plus ou moins longtemps, une amnésie partielle ou générale.

Quant aux localisations spéciales, nous n'en connaissons qu'une bien positive, c'est le siége de la mémoire des mots qu'il ne faut pas confondre avec la mémoire des idées. Nous voyons des malades qui peuvent penser écrire, mais non parler. Ceux-ci présentent généralement une lésion qui siége au niveau de la troisième circonvolution des lobes frontaux.

L'expérimentation sur le cerveau des chiens vivants n'a pu, sur ce point, que nous donner des indications générales. Les chiens chez lesquels nous avons détruit la couche corticale odorent, voient, souffrent, entendent, mais semblent avoir perdu la mémoire et l'association des perceptions qui, dans les conditions normales, imprime à leurs mouvements un caractère logique.

Nous devons nous contenter, pour le moment, de re

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