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physique. On a prétendu que le vrai titre de ce dernier ouvrage serait Philosophie première ou Théologie, et que le titre petà tà pusixά (ce qui vient après la physique) aurait été inventé par l'éditeur Andronicus. Mais il semble que c'est bien ainsi qu'Aristote appelait déjà son grand ouvrage, qui avait pour objet ce qui est supérieur à l'expérience, ou le surnaturel1».

La méthode que suit Aristote, surtout dans les choses morales, rappelle tout à fait celle de Socrate. Il ne veut pas qu'on en aille chercher la raison dans des phénomènes physiques, comme faisaient les anciens physiologues, pas davantage dans des idées qui sont trop au-dessus de ce monde, comme avait fait Platon. N'examinons, dit-il, que ce qui est proprement de l'homme même. Mais il y apporte une critique et une analyse qu'on n'avait point vues jusque-là. Il étudie des faits, mais pour les juger ensuite et faire un choix parmi eux. Les opinions communes, les théories des philosophes, sont examinées au même titre que nos actes mêmes, et pour être soumises à un principe supérieur. Commençons, dit-il, par exposer ce que nos devanciers ont dit de bon et d'utile, et il refait ainsi l'histoire de certaines doctrines. Il approuve d'autre part ceux qui font des recueils de lois et de constitutions; c'est une œuvre utile au moins pour les personnes capables de discerner ce qui est bien et ce qui ne l'est pas3.

ou nos classes), mais qui, dans ces hornes, peut soutenir la comparaison avec le Systema naturæ de Linnée. Cette classification, basée sur la comparaison de quatre cents espèces animales environ, n'a subi aucune atteinte sérieuse des prodigieux accroissements du catalogue zoologique par vingt siècles de découvertes.

1. M. Alexis Pierron et Charles Zévort discutent cette question dans l'Introduction de la Métaphysique d'Aristote, traduite en français pour la première fois (Paris, 1840, 2 vol.), pages cà c. Ils s'appuient surtout sur ce texte d'Alexandre d'Aphrodisée : ἡ μὲν ἐπιζητουμένη νῦν αὐτή ἐστιν ἡ σοφία τε καὶ θεολογική, ἣν καὶ Μετὰ τὰ φυσικὰ ἐπιγράφει Schol. in Arist, εἰς τὸ Β, p. 603).

2. Eth. Nic., I. VIII, 1, 6.

3. Eh. Nic., I. X, fin. Lire l'Essai sur la morale d'Aristole, de M. OlléLaprune. M. F. Thurot parle ainsi de la Morale d'Aristote : « C'est le premier traité méthodique et complet sur cette importante matière; le premier ouvrage, à notre connaissance, où ce genre de considérations ait été présenté d'une manière suivie et dégagée de toutes celles avec lesquelles il a des rapports plus ou moins directs; mais Aristote, en séparant la morale de la poli

Mais son génie analytique éclate surtout dans la théorie de la démonstration et du syllogisme, aussi solide qu'elle est subtile, enfin dans cette discussion de notions qu'on trouve dans sa métaphysique et au moyen desquelles il pretend expliquer la nature entière et son premier principe.

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1. Doctrines antérieures. Le but de tous les hommes est le bonheur; aussi le plaisir est le principal ressort de leur activité.Aristote, dans le livre X de la Morale à Nicomaque, étudie d'abord le plaisir. Il rapporte à ce sujet deux opinions des philosophes: les uns disent que le bien est le plaisir, τἀγαθὸν ἡδονὴν λέγουσι, les autres que le plaisir est une chose tout à fait vile et méprisable, xouiềḥ paūλov. La première opinion est celle d'Eudoxe de Cnide, sorte d'épicurien avant Épicure, et l'autre est celle des Platoniciens.

Aristote examine les arguments d'Eudoxe et n'a point de peine à montrer que s'ils prouvent, en effet, que le plaisir est une bonne chose, ils ne prouvent pas pour cela que c'est la seule chose qui soit bonne 3.

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tique et en la traitant comme une science distincte, déclare qu'il ne la considere pas moins comme la base de la science sociale. (La Morale et la Politique d'Aristote, trad. Thurot, disc. prélim., p. xvi) « Le fruit le plus pur et le plus beau de la méthode socratique, c'est cette Éthique à Nicomaque, où, sans faire appel aux sciences physiques, sans demander à la métaphysique autre chose que l'élan de l'esprit et l'élévation du sentiment, Aristote a réduit en maximes ce que chaque homme ayant l'expérience de la vie peuse confusément sur les conditions de la vertu et du bonheur.» (E. Boutroux, Socrate fondateur de la science morale, p. 62.)

1. Tout ce livre X peut se diviser en deux parties: la première (1-vi), qui se rapporte au plaisir; la seconde (vi-1), au bonheur. Dans la première Aristote rappelle d'abord les opinions de ses devauciers et les discute, suivant son habitude (1, 1, 1), puis il donne sa propre théorie (v et v). Dans la seconde partie, Aristote examine en quoi peut consister le bonheur; est-ce dans le plaisir du jeu (vi), ou dans les vertus pratiqués, ou dans la pure théorie ou la science (vi et vin)? Quant au chapitre Ix. il est relatif à l'éducation qu'on doit donner aux enfants en vue de leur bonheur et marque, à la fin, la transition entre la Morale à Nicomaque et la Politique.

2. Eth. Nic., X, 1, 2.

3. Eth. Nic., X,

Quant à ceux qui regardent le plaisir comme une chose mauvaise, Aristote ne s'explique pas leur sentiment. Il se demande si ccs philosophes parlaient sérieusement, et croirait volontiers que c'est plutôt de leur part une exagération volontaire, pour retenir au moins à demi les hommes qui n'ont que trop de penchant vers le plaisir. Qu'arrive-t-il cependant? Les mêmes philosophes ne peuvent s'empêcher de rechercher eux aussi quelques plaisirs. Les voilà donc en désaccord avec leur doctrine; et cela suffit pour qu'on n'ajoute plus foi à ce qu'ils enseignent. Aristote en conclut qu'une sincérité parfaite est nécessaire aussi bien dans la science que dans la pratique de la vie, οἱ ἀληθεῖς τῶν λόγων οὐ μόνον προς τὸ εἶδεναι χρησιμώτατοι, ἀλλὰ καὶ πρὸς τὸν βίον.

Ceux qui séparent ainsi l'un de l'autre le bien et le plaisir distinguent avec Platon deux régions, celle des choses fixes et immuables, parfaites par conséquent, et celle des choses qui passent, toujours changeantes et inachevées. Le bien est dans la première; dans l'autre le plaisir, Mais Aristote conteste que le plaisir soit quelque chose d'imparfait. Sans doute il est variable et susceptible de plus et de moins, non pas cependant à la façon des nombres ni de la quantité, où l'on ne trouve en effet que des séries mouvantes et jamais achevées, mais comme la justice, la vertu, en un mot toutes les qualités: elles ont assurément plusieurs degrés, cela les empêche-t-il d'être des biens? La distinction platonicienne est donc vaine ici. Au reste, Aristote avoue que beaucoup de plaisirs sont mauvais, par exemple ceux du débauché. Mais ils ne prouvent rien contre les autres, pas plus que les hallucinations d'un malade contre les perceptions véritables.

Ainsi de ces deux opinions contraires, Aristote retient ce que l'une et l'autre ont de juste, et rejette ce qu'elles ont d'excessif et de faux; à Eudoxe il accorde que le plaisir, sans être le bien lui-même, est cependant une bonne chose; il reconnaît avec les Platoniciens que le plaisir peut devenir mauvais, sans être pour cela un mal en lui-même. Tous les plaisirs ne sont pas à rechercher comme des biens; mais

1. Elh. Nic., X, 1, 2-4.

quelques-uns méritent qu'on les recherche, outs tåɣalòv ý ἡδονὴ οὔτε πᾶσα αἱρετή.... εἰσί τινες αἱρεταί 1.

2. Analyse du plaisir. - Quels sont donc les caractères du plaisir? Aristote insiste sur ce qu'il y a d'un, de simple et d'indivisible en lui, et ses arguments valent encore contre ceux qui prétendent que toute sensation n'est qu'un mouve ment du cerveau. Un mouvement peut toujours se décomposer en parties, qu'on le considère dans l'espace ou dans le temps. Ce n'est donc jamais un tout achevé et parfait. A l'instant où il le deviendrait, il s'arrête, et cesse, par conséquent, d'être un mouvement: Mais une sensation, celle de la vue par exemple, est quelque chose de complet, v tɩ. On ne trouve en elle aucune division possible, ni par rapport à l'espace, ni même par rapport au temps elle est instantanée. C'est donc une véritable unité, comme un point, otty, Movάs. Dure-t-elle quelque temps, elle ne cesse pas pour cela d'être elle-même; mais l'action totale, en quoi elle consiste, continue'.

Si la sensation de plaisir apparaît comme un achèvement ou une fin, qu'est-ce donc qu'elle finit ou achève et perfectionne de la sorte? C'est, dit Aristote, tantôt l'acte de tel ou tel sens, tantôt celui de la pensée. En effet, lorsqu'une action s'accomplit parfaitement, on ressent un vif plaisir, comme la preuve que rien n'y manque, et qu'elle a désormais atteint le plus haut degré. Platon avait dit que le plaisir n'est que la satisfaction d'un besoin, et que toujours quelque douleur le précède; mais ce n'est vrai que pour certains plaisirs du corps pour les autres, il suffit que l'homme agisse, n'importe de quelle façon. Le plaisir accompagne toute action, il en marque l'achèvement heureux et facile, TeλEtoi τὴν ἐνέργειαν ἡ ἡδονή, il s'y ajoute comme à la jeunesse sa fleur, οἷον τοῖς ἀκμαίοις ἡ ὥρας.

Aristote recherche les conditions du plaisir : ce sont celles qui favorisent le plus la sensation; d'une part, des sens bien disposés pour saisir les objets, de l'autre des objets qui se

1. Eth. Nic., X, III, 3. 2. Eth Nic., X, iv, 1-5. 5. Eth. Nic., X, iv, 8.

prêtent le mieux du monde à cette action et qui la facilitent. Ce qui est vrai des sens, l'est encore plus de l'intelligence, et en un mot de toute espèce d'activité. Mais agir ainsi, n'est-ce pas sentir en soi comme une plénitude de vie, n'est-ce pas vivre d'une façon complète? A ce compte, l'amour du plaisir se confondrait avec l'amour de la vie. Aristote en convient; car les deux choses sont inséparables. Et d'avance il répond aux épicuriens et aux stoïciens futurs, qui soutiendront, les uns qu'on aime la vie seulement à cause du plaisir, divov tò Sñv alpoúusha, les autres que, si l'on tient au plaisir, c'est à cause de la vie pleine et entière dont il est l'accompagnement naturel, t to v 4. Les uns font ainsi du plaisir le but final de la vie, tandis que, pour les autres, ce but est la vie elle-même, ou l'action. La vie est une activité, ʼn Cún évepyeía tíg otty. Mais Aristote ne considère pas l'activité à part, en dehors du plaisir, qui serait chose indifférente; en revanche, celui-ci n'est pas distingué non plus de l'activité, ni recherché pour lui seul comme notre unique fin; point de plaisir, si l'on n'agit d'abord, et, quand on agit, qu'on le veuille ou non, il en résulte du plaisir1.

Tel est le point de vue auquel Aristote se place. Tandis que beaucoup jugeraient peut-être d'un acte par le plaisir, il juge au contraire des plaisirs par les actions. Si l'on ne considère pas celles-ci, les plaisirs se distinguent malaisément les uns des autres, et l'on est tenté de dire qu'ils se valent tous, ou que les plus grands doivent être préférés; et chacun demeure seul juge de ceux qui sont préférables pour lui. Mais les plaisirs ne se séparent pas des actions mêmes, et celles-ci sont loin de se valoir toutes; on s'en aperçoit à leurs conséquences, dont les unes sont bonnes et les autres mauvaises pour l'individu; de même les désirs ou les penchants qui nous y portent; de même aussi, par conséquent, les plaisirs qui sont comme le parfait achèvement de chacune d'elles.

1. "Ανευ τε γὰρ ἐνεργείας οὐ γίνεται ἡδονή, πᾶσαν τε ἐνέργειαν τελειοῖ ἡ geovn (Elh. Nic., X, iv, 11.)

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