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premier échantillon, comme cela arrive quand on généralise? Aussi ne peut-on s'empêcher de rappeler une critique. déjà faite au dix-huitième siècle par Bonnet à Condillac : «En général il m'a paru que l'auteur n'analyse pas assez; il va quelquefois par sauts. Ses idées ne sont pas si étroitement liées les unes aux autres qu'il n'y ait entre elles bien des vides et de grands vides. Souvent il passe à côté de questions importantes sans y toucher, il ne semble même pas se douter de leur importance1»

Néanmoins, en ce qui concerne la description et même la classification des faits de conscience, Condillac fit une œuvre durable, où l'on doit reconnaître « beaucoup de sagesse et d'exactitude, une clarté et une précision rares, beaucoup de sagacité et des observations très ingénieuses ». Mais le problème de « la génération de nos facultés » n'était pas résolu, ni cet autre du « passage de la sensation à l'objet », ni cet autre enfin de l'étendue et des limites de nos connaissances », que Locke avait posé, sans le résoudre, et que va reprendre, pour le traiter à fond, Emmanuel Kant.

1. Cité par M. Picavet dans sa consciencieuse édition de la I" partie du Traité des sensations (Delagrave, 1885), où l'on trouve un si grand nombre de renseignements.

1. Biographie.

CHAPITRE XVI

MONTESQUIEU

(1689-1755)

2. Les Lettres persanes et les Considérations. 3. Esprit des lois. Le contenu. 4. Méthode. 5. Plan.

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6. Pré

7. Livre I. Chapitre 1: rapport des lois avec les divers étres.

8. Chapitre : des lois de la nature.

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9. Chapitre : des lois

positives.

1. Biographie.

La vie de Montesquieu est une méditation incessante, en partie parmi les hommes, en totalité parmi les livres; il a observé la France, parcouru l'Europe, il a dévoré les écrits de son temps et du passé, d'abord les historiens de l'antiquité, qu'il a tous lus, puis les recueils de lois des peuples germaniques, Francs, Bourguignons, Frisons, Ripuaires, Lombards, etc., enfin les ouvrages de voyageurs récemment publiés, par exemple, ceux de Chardin et de Bernier, surtout le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes. Sa pensée toujours en travail est le concours de connaissances constamment accumulées et d'une réflexion constamment en éveil.

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, naquit au château de la Brède, près de Bordeaux, le 18 février 1689. Son père, Jacques de Secondat, descendait d'une famille qui avait été au service de Henri IV; sa mère, Marie-Françoise de Penel, se rattachait à une famille d'origine anglaise, depuis longtemps installée en Guyenne.

Son oncle paternel, baron de Montesquieu, était président à mortier au parlement de Bordeaux. Le jeune Charles-Louis fut également destiné à la magistrature.

Il perdit sa mère à sept ans et fut placé de bonne heure au collège de Juilly. Sorti du collège, il se mit à l'étude du droit. Son père mourut en 1713, et son oncle le recueillit. Celui-ci le fit nommer, en 1714, conseiller laïc au parlement de Bordeaux; en 1715, il lui fit épouser Jeanne de Lartigue, qui appartenait à la religion réformée; en 1716, il mourut, lui laissant ses biens, ses titres et sa charge.

Le jeune magistrat aimait les questions de droit; en revanche, il détestait la procédure. Il se mêla au monde, entra en 1716 à l'Académie des sciences, lettres et arts de Bordeaux. Il s'appliqua aux sciences de la nature; en 1719, il rédigea un Projet d'histoire physique de la terre ancienne et moderne. Deux ans après, en 1721, il publia, sous le couvert de l'anonyme et à l'étranger, les Lettres persanes, satire piquante des mœurs du temps, avec un ton trop souvent licencieux dans la première partie, mais qui dans la seconde s'élève progressivement. Le succès fut très vif, en revanche les vanitės meurtries se soulevèrent en 1725, il fut élu à l'Académie française et l'élection fut annulée. En 1728, il vendit sa charge et s'installa à Paris; de nouveau il se présenta, de nouveau il fut élu; cette fois, le cardinal de Fleury ratifia l'élection.

Il avait déjà rassemblé les premiers matériaux de l'Esprit des Lois. C'est alors que, pour étendre ses connaissances et à l'imitation de Descartes, il voyagea; il visita l'Autriche et la Hongrie, voulut pousser jusqu'à Constantinople, dut, en raison des événements, rebrousser chemin et passa à Venise, où il rencontra Law. Puis il parcourut l'Italie et au commencement de 1729 se trouva à Rome, d'où il gagna Naples. Remontant vers le nord, il se rendit en Allemagne, s'arrêta en Hollande, finalement gagna l'Angleterre. En dix-huit mois il avait parcouru une partie de l'Europe; dans les dix-huit. mois qui suivirent, il prolongea son séjour en Angleterre (octobre 1729-avril 1731). A travers ses allées et venues, il dirigeait son attention principalement sur les mœurs et les

institutions, beaucoup aussi sur les productions de l'art, nullement sur la nature il fut un homme de pensée, non de sentiment. Rentré en France, à l'imitation encore de Descartes, il fit succéder à une vie de déplacements et d'enquètes une vie de retraite, de lecture et de création. Il se retira dans son château de la Brède; il y publia, en 1724, les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, commencées en Angleterre. Ensuite il se donna tout entier à l'Esprit des Lois. La rédaction paraît avoir commencé en 1745, elle se prolongea jusqu'en 1748, année où l'ouvrage tout entier parut. On le loua, on le critiqua, faute de le comprendre. Une feuille janseniste, les Nouvelles ecclésiastiques, l'attaqua avec violence; le Journal de Trévoux, organe des Jésuites, fut plus modéré. Montesquieu répondit, en 1750, par la Defense de l'Esprit des Lois1. en faisant remarquer surtout que l'on « critique le livre qu'on a dans la tête, non celui de l'auteur ». Les attaques d'ailleurs disparurent dans le succès qui alla grandissant. En deux ans il y eut vingt-deux éditions et des traductions dans toutes les langues.

Montesquieu vécut encore quelques années, la vue à peu près perdue par l'excès de travail; il mourut à Paris, le 10 février 1755. Son influence fut considérable au xvme et au XIXe siècle. Si la Révolution s'est davantage réclamée de Rousseau et du Contrat social, après elle l'école libérale n'a pas cessé de demander ses inspirations à l'Esprit des Lois.

2. Lettres persanes et Considérations. - Montesquieu a encore publié d'autres écrits dont nous n'avons pas parlé; c'est que leur importance fut minime en regard des Lettres persanes, des Considerations sur la grandeur des Romains, de l'Esprit des Lois, qui sont ses principaux ouvrages. Tous les trois ont un même objet, à savoir les mœurs et les institutions humaines. De plus, les deux premiers préparent le troisième ils illustrent, chacun à sa manière, les principes dont l'Esprit des Lois donnera la théorie. Les Lettres persanes, c'est l'opposition de la France et de la Perse, de l'Europe et

1. Voir pour ces deux critiques et pour la Défense, Ed. Laboulaye, vol. VI.

de l'Asie, du Nord et du Midi, de la liberté et du despotisme; en d'autres termes, c'est la vie sociale rapportée au climat (Lett. cxxx1). Par contre, l'ouvrage des Considerations rapporte à des causes d'ordre exclusivement psychique le développement de Rome. Celui-ci tint à la perpétuité de la guerre; mais celle-ci, à son tour, eut pour raisons d'être le voisinage de peuples belliqueux, l'absence d'industrie, l'institution des consuls et du Sénat, bref des agents politiques, économiques ou moraux. Les sociétés humaines peuvent donc avoir leur principe d'organisation, soit hors d'ellesmêmes dans la nature physique, soit en elles-mêmes dans le monde de la pensée, soit enfin dans tous les deux ensemble. On ne doit pas perdre de vue cette diversité d'aspects en abordant l'Esprit des Lois.

3. Esprit des Lois. Le contenu. Ce qui frappe au premier abord dans l'Esprit des Lois, c'est l'extrême richesse du contenu. Avant Montesquieu, les philosophes, comme Machiavel, Hobbes, Bossuet, envisageaient uniquement le problème du gouvernement, et ils lui subordonnaient, à titre de conditions ou de résultats, tout le reste. Leur œuvre était une politique, ou plus exactement une « police ». Au contraire, Montesquieu s'attache avec le même intérêt à tout ce qui est matière à législation, c'est-à-dire à tout ce qui parait offrir le caractère d'un phénomène social. Rapports des citoyens entre eux, rapports des citoyens avec l'État, rapports des États entre eux, climats et terrains, commerce et monnaie, population, religion, tout est retenu, étudié, pesé. Le droit civil, le droit criminel, le droit international, l'économie politique, la géographie physique, l'anthropologie, l'histoire des institutions, la science mème des religions, tout au moins amorcée, toutes ont là, dans cette œuvre puissante, leur source commune. L'Esprit des Lois est un traité complet de sociologie.

4. Méthode.

Un second caractère, plus important encore, c'est le vif sentiment d'un déterminisme applicable aux phénomènes sociaux; par là surtout Montesquieu est novateur, et de ce qui était un art, il a fait une science Avant lui, en effet, surtout sous l'influence, alors domina

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