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le raisonnement, c'est-à-dire sur l'évidence même de la vérité 1.

1. Socrate blåmait les physiologues de n'avoir pas eu ce sens des choses humaines qu'il louait chez les sophistes: il blåmait les sophistes d'avoir omis cette conception de la science, qu'il trouvait chez les physiologues. Les physiologues avaient appliqué la forme de la science à un objet qui la dépasse : les sophistes avaient négligé de l'appliquer à un objet qui la comporte et l'exige. La physique, c'était la science isolée de l'art et de la vie pratique, et se perdant en vaines spéculations; la sophistique, c'était l'art isolé de la science et réduit ainsi à une routine dangereuse. Socrate recueillit et combina les principes qui lui paraissaient viables dans chacune de ces deux disciplines, c'est-à-dire la forme scientifique, d'une part, et la préoccupation exclusive des choses humaines, d'autre part. En appliquant à l'objet de la sophistique la forme scientifique créée par les physiologues, on constituerait une sagesse utile comme l'art, universelle et communicable comme la science. (E. Boutroux, Socrate, p. 18.)

CHAPITRE II

PLATON

(429-348 av. J.-C.)

I. Platon et ses ouvrages. 1. Sa vie. 2. Ses ouvrages.

de sa philosophie.

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II. Morale et politique. — 1. Trois parties dans l'âme.

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3. Trois parties dans l'État. - 4. Les révolutions. III. Théorie des idées. 1. Doctrines antérieures. 3. Leurs caractères. 4. Le bien.

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IV. Théorie de la connaissance. 1. Quatre degrés. la caverne.

- 3. Mathématique et dialectique.

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2. Les vertus.

2. Les idées.

2. Allégorie de

V. La réminiscence et l'amour. - 1. Préexistence des âmes. 3. Mythe d'Eros. 4. Conclusion.

miniscence.

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Sl. PLATON ET SES OUVRAGES1.

1. Sa vie. Platon naquit à Égine, ou peut-être à Athènes, vers 429 av. J.-C. Il descendait de Solon et de Codrus par sa mère Périctionè, de Codrus encore par son père Ariston. Mais, suivant la légende, il était fils d'Apollon: enfant, les abeilles de l'llymette venaient déposer leur miel sur ses lèvres, et plus tard, quand on le présenta à Socrate, celui-ci avait rêvé la nuit précédente qu'un cygne se réfu

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1. Lire la Vie et les écrits de Platon, par M. Chaignet, et la Philosophie de Platon, de M. Fouillée. Dans cette étude, on insiste particulièrement sur le livre VI de la République, qui d'ailleurs est capital dans l'oeuvre entière de Platon.

giait dans son sein, pour s'envoler de là vers le ciel avec un chant mélodieux.

Pendant sa jeunesse, Platon s'occupa de gymnastique, et en même temps de musique, de peinture et de poesie. Le premier philosophe qu'il entendit, fut un disciple d'lléraclite, Cratyle; puis, à vingt ans, il s'attacha à Socrate Après la mort de son maitre, il se retira à Mégare, où il étudia sans doute la dialectique avec Euclide, en même temps qu'Hermogène lui enseignait les doctrines de Parmenide et des Eléates. Puis il s'embarqua pour Cyrène, où il apprit les mathématiques auprès de Théodore. Il y fit de grands progrès, et, plus tard, il ne devint pas moins célèbre comme géomètre que comme philosophe. Il passa en Égypte, mais la guerre l'empêcha de pousser jusqu'en Asie. Il lui restait à visiter la Grande-Grèce; à Tarente, il rencontra le philosophe Archytas, et s'instruisit dans les doctrines pythagorici-nnes; il acheta même les écrits de Philolaus. Enfin il se rendit en Sicile; Denys l'Ancien, qui régnait à Syracuse, l'accueillit fort bien d'abord, puis, mécontent de ses leçons et de ses conseils, le vendit comme esclave; il fut racheté par un ami qui le ramena à Athènes en 388 ou 587. C'est alors qu'il ouvrit dans les jardins d'Académus une véritable école qui garda le nom d'Académie. Il fit un second voyage en Sicile, et même un troisième, pour essayer avec Denys le Jeune l'application de ses théories politiques. Mais il ne fut guère plus heureux qu'il n'avait été avec Denys l'Ancien, et revint à Athènes, où il mourut à l'âge de quatre-vingt-un ans (348 ou 347).

2. Ses ouvrages.

La doctrine de Platon se trouve éparse dans de nombreux dialogues, dont on ne connait pas l'ordre chronologique, et dont quelques-uns même ne sont pas authentiques. En voici la classification le plus communément reçue 1° les dialogues, où il traite surtout des questions morales, le Charmide, le Lysis, le Laches, le Protagoras, le Gorgias, etc.; 2o d'autres où il se montre plutôt dialecticien, le Théétète, le Sophiste, le Parménide..., 3o enfin les plus importants de tous, où morale, dialectique et physique sout intimement unies et développées ensemble,

le Phèdre, le Banquet, le Phédon, le Philèhe, le Timée, la République, et les Lois, qui furent son dernier ouvrage.

Le principal personnage de ces dialogues est toujours Socrate; Platon n'y parait jamais. Il semble rapporter seulement les entretiens de son maître; et sans doute l'enseignement par la conversation, que celui-ci préférait à tout autre, donna lieu au genre littéraire dont les écrits de Platon restent le parfait modèle. On dit bien que Zénon d'Élée écrivait déjà des dialogues. On dit également que Platon rapporta de Sicile les Mimes de Sophron, et s'en inspira, au moins pour donner parfois à la parole de ses interlocuteurs. un tour vif et plaisant. Quelques anciens ont aussi prétendu qu'il s'était servi des comédies d'un autre Sicilien, Épicharme, et pour la forme dramatique et même pour la doctrine1. Il fit néanmoins une œuvre originale, que luimême caractérise en ces termes, l'opposant aux vaines discussions des sophistes « On n'a guère assisté jusqu'ici à de beaux et nobles entretiens, consacrés à la recherche de la vérité par tous les moyens possibles et dans la seule vue de la connaître; où l'on rejette bien loin tout vain ornement et toute subtilité; où l'on ne parle ni pour la gloire, ni par esprit de contradiction... »

3. Caractère de sa philosophie. Xénophon raconte que le sophiste Antiphon reprochait un jour à Socrate, qui prétendait former les jeunes gens à la vie publique, de ne point prendre part lui-même aux affaires. « Rendrai-je plus de services à l'État, répondit-il, en remplissant quelque fonction, que sije forme le plus possible de bons citoyens ? » Platon n'eût goûté qu'à demi cette réponse. Un philosophe ne doit pas se façonner lui seul sur le modèle dont il a l'idée, mais travailler à faire passer dans les mœurs et même dans les constitutions des peuples ses belles théories*. Sans doute, quand il a vécu tranquille, loin des agitations de la

1. E. Egger, Socrate et le dialogue socratique (Paris, 1879).

2. Rép., VI, c. xi, p. 499 A.

3. Mém., 1, vi, 15.

4. Rep, Vi, xm. 500 D : & ἐκεῖ ὁρᾷ, μελετῆσαι εἰς ἀνθρώπων ἤθη καὶ ἰδίᾳ καὶ δημοσία τιθέναι, καὶ μὴ μόνον ἑαυτὸν πλάττειν.

politique, comme le voyageur pendant l'orage, abrité derrière quelque petit mur contre les tourbillons de poussière et de pluie », sa vie n'a pas été malheureuse. Néanmoins il n'a pas rempli sa plus haute destinée, faute d'avoir rencontré une forme de gouvernement qui lui

convint1.

Platon se fait d'ailleurs du philosophe un portrait idéal. Toutes les qualités du cœur et de l'esprit doivent se rencontrer en lui, et, d'autre part, chez lui seul elles atteignent leur perfection: ce sont l'amour du vrai et la haine de tout mensonge, le dédain des plaisirs matériels et des richesses qui les procurent, la magnanimité, puis une grande facilité pour apprendre et retenir. enfin l'ordre, la mesure et la grâce. Lorsque tant de choses se trouvent réunies, quel citoyen serait, en effet, plus digne qu'on lui confiât le gouvernement de l'État??

Cependant, parmi les philosophes, si les uns, en petit nombre, sont peut-être les plus accomplis des hommes, ils vivent, inutiles à l'État; quant aux autres, ce sont des gens pervers et capables de tout ce qui est mal3.

Mais, si les uns sont inutiles, répond Platon, à qui la faute? On ne voit pas que les médecins aillent d'eux-mêmes s'offrir aux malades. De même, le sage attend, dans une réserve pleine de dignité, qu'on s'adresse à lui et qu'on le prie de s'occuper des affaires publiques. Et cela arrive quelquefois : lorsque la cité est en péril, on sait bien aller chercher l'homme qui seul est capable de la sauver. Mais, dans les temps ordinaires, il est méconnu, raillé même. Les matelots ne se moquent-ils pas de l'astronome, dont le regard semble toujours perdu dans le ciel? C'est lui néanmoins qui

1. Rép., VI, p. 496-7.

2. Platon, dans le livre VI, revient à plusieurs reprises sur les qualités qu'il exige du philosophe, c. 1, v et xv. Il les résume ainsi que μvýμov, εὐμαθής, μεγαλοπρέπης, εὔχαρις, φίλος τε καὶ ξυγγενὴς ἀληθείας, δικαιοσύνης, ἀνδρείας, σωφροσύνης. Au chap. xv, il insiste sur la difficulté de réunir à la fois certaines qualités intellectuelles et les qualités morales, džútys, par exemple, et Bɛbatón; elles sont presque incompatibles.

5. Rep., VI, m ; les uns sont ἐπιεικέστατοι, mais ἄχρηστοι ταῖς πόλεσι; les autres, πάνυ ἀλλόκοτοι, pour ne pas dire παμπόνηροι.

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