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D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace, La plaintive Elégie, en longs habits de deuil, Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil. . . . Il faut que le cœur seul parle dans l'élégie.

L'Ode, avec plus d'éclat et non moins d'énergie,
Elevant jusqu'au Ciel son vol ambitieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les dieux;
Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière,
Mène Achille tremblant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis....
Son style impétueux souvent marche au hasard:
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art....
Apollon de son feu est toujours très-avare.
On dit qu'à ce propos, qu'un jour ce Dieu bizarre,
Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du Sonnet les rigoureuses lois,

Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille,
La rime avec deux sons frappathuit fois l'oreille;
Et qu'ensuite six vers artistement rangés,
Fussent en deux tercets par le sens partagés,
Surtout de ce poëme il bannit la licence;
Lui-même en mesura le nombre et la cadence;
Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.
Du reste il l'enrichit d'une beauté suprême :
Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme.
L'Epigramme plus libre, en son tour plus borné,
N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.
Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l'Italie en nos vers attirées.
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appas courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux inonda le Parnasse.
Le Madrigal d'abord en fut enveloppé,
Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé ;
La tragédie en fit ses plus chères délices,
L'élégie en orna ses douloureux caprices.

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Mais la raison blessée ouvrit enfin les yeux,
Les chassa pour jamais des discours sérieux..
Tout poëme est brillant de sa propre beauté.
Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté ;

La Ballade, asservie à ses vieilles maximes,
Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes.
Le Madrigal plus simble et plus noble en son tour,
Respire la douceur la tendresse et l'amour.
L'ardeur de se montrer et non pas de médire,
Arma la vérité du vers de la Satyre:
Lucile le premier osa la faire voir,

Aux vices des Romains présenta le miroir;
Vengea l'humble vertu de la richesse altière;
Et l'honnête homme à pied du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjouement;
On ne fut plus ni fat ni sot impunément ;
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure.
Perse en ses vers obscurs, mais serrés et pressans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.
Juvenal, élevé dans les cris de l'école,
Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole :
Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités,
Etincellent pourtant de sublimes beautés....
Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
De ces maîtres savans disciple ingénieux,
Regnier, seul parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles....
D'un trait de ce poëme, en bons mots si fertile,
Le Français, né malin, forma le Vaudeville.
Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant,
La liberté française en ses vers se déploie:
Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie....

Les Règles de la Tragédie, de la Comédie, et du Poëme épique font la Matière du troisième Chant.

O vous qui d'un beau feu pour le théâtre épris,
Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages,
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui, toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encore redemandés ?
Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue.
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur
Souvent ne nous remplit d'une doucé terreur,
Ou n'excite en notre âme une pitié charmante,
En vain vous étalez une scène savante:

Vos froids raisonnemens ne feront qu'attiédir
Un spectateur, tonjours paresseux d'applaudir....
Que dès les premiers vers l'action préparée
Sans peine du sujet applanisse l'entrée:
Je me ris d'un auteur, qui lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut, d'abord ne sait pas m'informer;
Et qui, débrouillant inal une pénible intrigue
D'un divertissement me fait une fatigue....
Le sujet n'est jamais assez tôt expliqué.

Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué.
Un rimeur, sans péril, delà les Pyrénées,
Sur la scène en un jour renferme des années:
Là souvent le héros d'un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon au dernier.
Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Nous voulons qu'avec art l'action se ménage;
Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli
Tienné jusqu'à la fin le théâtre rempli.

Jamais au spectateur n'offrez rien d'incroyable:
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas :
L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas.
Que le trouble toujours croissant de scène en scène,
A son comble arrivé, se débrouille sans peine.

L'esprit ne se sent point plus vivement frappé,
Que, lorsqu'en un sujet d'intrigue enveloppé
D'un secret tout-à-coup la vérité connue,
Change tout, donne à tout une face imprévue...
Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux,
Chez nous pour se produire est un champ périlleux.
Un auteur n'y fait pas de faciles conquêtes;
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes :
Chacun le peut traiter de fat et d'ignorant;
C'est un droit qu'à la porte on achète en entrant.
Il faut qu'en cent façons, pour plaire, il se replie;
Que tantôt il s'élève, et tantôt s'humilie;
Qu'en nobles sentimens il soit par-tout fécond;
Qu'il soit aisé, solide, agréable, profond:
Que de traits surprenans sans cesse il nous réveille;
Qu'il coure dans ses vers de merveille en merveille;
Et que tout ce qu'il dit facile à retenir,

De son ouvrage en nous laisse un long souvenir..
Des succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naquit la comédie antique.
Là le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisans,
Distilla le venin de ses traits médisans.

Aux accès insolens d'une bouffonne joie,

La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proie....
Enfin de la licence on arrêta le cours :

Le magistrat, des lois emprunta le secours,
Et rendant par édit les poëtes plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages;
Le théâtre perdit son antique fureur:
La comédie apprit à rire sans aigreur,
Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir.
L'avare, des premiers, rit du tableau fidèle
D'un avare souvent tracé sur son modèle ;
Et mille fois un fat, finement exprimé,
Méconnut le portrait sur lui-même formé.
Que la nature donc soit votre étude unique....
D'un air beaucoup plus grand la poésie épique,

Dans le vaste récit d'une longue action,
Se soutient par la fable et vit de fiction.
Là pour nous enchanter tout est mis en usage;
Tout prend un corps, une âme, un esprit, un visage.
Chaque vertu devient une divinité :

Minerve est la prudence, Vénus est la beauté.
Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C'est Jupiter armé pour effrayer la terre;

Un orage terrible aux yeux des matelots,
C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots;
Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse,
C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans cet amas de nobles fictions,

Le poète s'égaie en mille inventions,

Orne, élève, embellit, agrandit toutes choses,

Et trouve sous sa main des fleurs toujours écloses....
Sans tous ces ornements le vers tombe en langueur;
La poésie est morte, ou rampe sans vigueur;
Le poète n'est plus qu'un orateur timide,
Qu'un froid historien d'une fable insipide.

Voulez-vous long-temps plaire et jamais ne lasser?
Faites choix d'un héros propre à m'intéresser,
En valeur éclatant, en vertus magnifique;
Qu'en lui jusqu'aux défauts, tout se montre héroïque;
N'offrez point un sujet d'incidens trop chargé,
Le seul courroux d'Achille avec art ménagé,
Remplit abondamment une Iliade entière:
Souvent trop d'abondancé appauvrit la matière.
Soyez vif et pressé dans vos narrations :
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions....
De figures sans nombre égayez votre ouvrage;
Que tout y fasse aux yeux une riante image:
On peut être à la fois et pompeux et plaisant :
Et je hais un sublime ennuyeux et pésant. . .
On dirait que pour plaire, instruit par la nature,
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture :
Son livre est d'agrémens un fertile trésor :
Tout ce qu'il a touché se convertit en or ;
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grâce;
Partout il divertit et jamais il ne lasse.

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