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Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,
Et de noyers souvent du passant insultés.
Le village au-dessus forme un amphithéâtre :
L'habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre ;
Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,
Chacun sait de sa main creuser son logement.
La maison du seigneur, seule un peu plus ornée,
Se présente au dehors de murs environnée.
Le soleil en naissant la regarde d'abord,
Et le mont la défend des outrages du Nord.
C'est-là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes désirs,
J'achète à peu de frais de solides plaisirs:
Tantôt un livre en main, errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries:

Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construis,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui:
Quelquefois, aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce, en badinant, le poisson trop avide;
Ou d'un plomb qui suit l'œil, et part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l'air.
Une table, au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique:
Là, sans s'asujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain;
La maison le fournit, la fermière l'ordonne,
Et mieux que Bergerat l'appétit l'assaisonne.
O fortuné séjour! ô champs aimés des cieux!
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous seuls oublier tout le monde !

Fragment de l'Epitre de Boileau Despréaux, Au Marquis de Seignelay, Secrétaire-d'Etat, mort en 1690, Fils du Ministre Colbert.*

Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur,
Seignelay, c'est en vain qu'un ridicule auteur,

L'auteur, en faisant l'éloge du Vrai fait celui du père et du fils sans l'insipidité qui accompagne ordinairement les louanges.

Prêt à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange,
Croit te prendre aux filets d'une sotte louange.
Aussitôt ton esprit, prompt à se révolter,

S'échappe, et rompt le piége où l'on veut l'arrêter....
Tout éloge imposteur blesse une âme sincère:
Si, pour faire sa cour à ton illustre père,
Quelque novice auteur, d'un faux zèle emporté
Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La solide vertu, la vaste intelligence,

Le zèle pour son roi, l'ardeur, la vigilance,
La constante équité, l'amour pour les beaux arts,
Lui donnait les vertus d'Alexandre ou de Mars;
Et, pouvant justement l'égaler à Mécène,
Le comparait au fils de Pélée ou d'Alcmène,
Ses yeux, d'un tel discours faiblement éblouis,
Bientôt dans ce tableau reconnaîtraient Louis;
Et, glaçant d'un regard la muse et le poëte,
Imposeraient silence à sa verve indiscrète.

Un cœur noble est content de ce qu'il trouve en lui,
Et ne s'applaudit point des qualités d'autrui....
Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable ;
Il doit régner partout, et même dans la fable:
De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.

Sais tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces, Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes? Ce n'est pas que leurs sons agréables, nombreux, Soient toujours à l'oreille également heureux; Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gêne la mesure, Et qu'un mot quelquefois n'y brave la censure; Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur, Partout se montre aux yeux, et va saisir le cœur, Que le bien et le mal y sont prisés au juste, Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste; Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit, Ne dit rien aux lecteurs qu'à soi-même il n'ait dit.... Mais peut-être, enivré des vapeurs de ma muse, Moi-même en ma faveur, Seignelay, je m'abuse. Cessons de nous flatter. Il n'est esprit si droit Qui ne soit imposteur ou faux par quelque endroit

Sans cesse on prend le masque, on quitte la nature,
On craint de se montrer sous sa propre figure.
Rarement un esprit ose être ce qu'il est ;

Par là le plus sincère assez souvent déplaît.....
Ne crois pas toutefois, sur ce discours bizarre,
Que, d'un frivole encens malignement avare,
J'en veuille sans raison frustrer tout l'univers.
La louange agréable est l'âme des beaux vers:
Mais je tiens, comme toi, qu'il faut qu'elle soit vraie,
Et que son tour adroit n'ait rien qui vous effraie;
Alors tranquillement tu la sais écouter;

Et sans crainte à tes yeux on pourrait t'exalter;
Mais, sans t'aller chercher des vertus dans les nues,
Il faudrait peindre en toi des vérités connues,
Décrire ton esprit ami de la raison,

Ton ardeur pour ton roi puisée dans ta maison;
A servir ses desseins ta vigilance heureuse;
Ta probité sincère, utile, officieuse,

Tel qui hait à se voir peint en de faux portraits,
Sans chagrin voit tracer ses véritables traits...

Satire de Boileau adressée à Molière.*

Rare et fameux esprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail et la peine;
Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sait à quel coin se marquent les bons vers;
Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime,
Enseigne moi, Molière, où tu trouves la rime.
On dirait, quand tu veux, qu'elle te vient chercher ;
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher,
Et sans qu'un long détour t'arrête ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé qu'elle même s'y place.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fis devenir rimeur,

Le sujet de cette satyre est la difficulté de trouver la rime et de la faire accorder avec la raison. L'auteur s'est appliqué à les concilier toutes deux, en n'employant dans cette pièce que des rimes très-exactes.

Dans ce rude métier où mon esprit se tue,
En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.
Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au soir;
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir;
Si je veux d'un pédant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure:
Si je pense exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile, et la rime Quinaut :
Enfin, quoi que je fasse ou que je veuille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Triste, las et confus, je cesse d'y rêver;
Et maudissant vingt fois le démon qui m'inspire,
Je fais mille sermens de ne jamais écrire.
Mais, quand j'ai bien maudit et Muses et Phébus,
Je la vois qui paraît quand je n'y pense plus.
Aussitôt, malgré moi, tout mon feu se rallume,
Je reprends sur-le-champ le papier et la plume,
Et de mes vains sermens perdant le souvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor si pour rimer, dans sa verve indiscrète,
Ma muse au moins souffrait une froide épithète,
Je ferais comme un autre; et, sans chercher si loin,
J'aurais toujours des mots pour les coudre au besoin:
Si je louais Philis en miracles feconde,

Je trouverais bientôt, à nulle autre seconde,

Je voulais vanter un objet nompareil,

Je mettrais à l'instant, plus beau que le soleil ;
Enfin, parlant toujours d'astres et de merveilles,
De chefs-d'œuvre des cieux, de beautés sans pareilles ;
Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hazard,
Je pourrais aisément, sans génie et sans art,
Et transposant cent fois et le nom et le verbe,
Dans mes vers recousus mettre en pièces Malherbe.
Mais mon esprit, tremblant sur le choix de ses mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne saurait souffrir qu'une phrase insipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vide.
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers renferma sa pensée,
Et, donnant à ses mots une étroite prison,
Voulut avec la rime enchaîner la raison!
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,

Mes jours pleins de loisir couleraient sans envie :
Je n'aurais qu'à chanter, rire, boire d'autant,
Et comme un gras chanoine, à mon aise et content,
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mon cœur exempt de soins, libre de passion,
Sait donner une borne à son ambition;
Et fuyant des grandeurs la présence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune;
Et je serais heureux si, pour me consumer,
Un destin envieux ne m'avait fait rimer.

Mais depuis le moment que cette frénésie
De ses noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu'un démon jaloux de mon contentement,
M'inspira le dessein d'écrire poliment,
Tous les jours, malgré moi, cloué sur un ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin passant ma vie en ce triste métier,
J'envie en écrivant, le sort de Pelletier.*

Bienheureux Scuderit, dont la fertile plume
Peut tous les mois sans peine enfanter un volume!
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être formés en dépit du bon sens :

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire,
Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu'importe que le reste y soit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux règles de l'art asservir son génie!
Un sot, en écrivant, fait tont avec plaisir:
Il n'a point en ses vers l'embarras de choisir ;
Et, toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,

* Poëte du dernier ordre, qui faisait tous les jours un Sonnet.

Frère de Mlle de Scuderi, auteur de plusieurs romans.

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