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Les plus accommodans, ce sont les plus habiles.
On hasarde de perdre, en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à-peu-près votre compte.

LE COCHE ET LA MOUCHE.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moines, vieillards, tout était descendu;
L'atelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit le gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire,
Va, vient, fait l'empressée; il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit,
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin,
Qu'aucun aide aux chevaux à se tirer d'affaire;
Le moine disait son bréviaire;

Il prenait bien son temps. Une femme chantait;
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la mouche aussitôt.
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ça, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.
Äinsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires:

Ils font partout les nécessaires,

Et partout importuns devraient être chassés.

LE LIEVRE ET LA TORTUE.

Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. Sitôt? êtes-vous sage ?
Répartit l'animal léger.

Ma commère, il fant vous purger
Avec quatre grains d'ellébore.
Sage ou non je parie encore.
Ainsi fut fait et de tous deux
On mit près du but les enjeux;
Savoir quoi ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.
Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire,
J'entends de ceux qu'il fait, lorsque près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue,

Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard, il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains; la tortue arriva la première.
He bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison;
De quoi vous sert votre vitesse?

Moi l'emporter! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.
On n'en voyait point d'occupés,
A chercher le soutien de leur mourante vie :
Nul mets n'excitait leur envie,
Ni loups, ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie :
Les tourterelles se fuyaient,
Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit, mes chers amis,
Je crois que le ciel à permis

Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidens
On fait de pareils dévoumens.

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait ? nulle offense:
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger:

Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard; vous êtes trop bon Roi:
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non, vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur;

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances
Les moins pardonnables offenses.

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit, j'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense
Quelque esprit aussi me poussant.

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue :

Je n'en n'avais nul droit; puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue,
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.

Sa peccadille fut jugé un cas pendable :
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable

D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugemens de cour vous rendront blanc ou uoir.

LA BESACE.

Jupiter dit un jour: que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur:
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire
Il peut le déclarer sans peur;

Je mettrai remède à la chose.
Venez singe; parlez le premier et pour cause;
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.
Etes-vous satisfait? Moi, dit-il, pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché :
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché :

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Jamais s'il me veut croire il ne se fera peindre.
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre,
Tant s'en faut; de sa forme il se loua très-fort,
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c'était une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles :
Il jugea qu'à son appétit
Dame baleine était trop grosse,

Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant pour elle un colosse.
Jupin les renvoya s'étant censurés tous ;

Du reste contens d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tous tant que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,

Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes : On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.

Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,

Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui : Il fit pour nos défauts la poche de derrière,

Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

Fragment de l'Epitre de Boileau Despréaux*,
A M. de Lamoignon, Avocat-Général.

Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la campagne est mon unique asile.
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ?
C'est un petit village†, ou plutôt un hameau,
Bâti sur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine aux pieds des monts que son flot vient laver,
Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever,
Qui, partageant son cours en diverses manières,
D'une rivière seule y forment vingt rivières.

* Tableau d'une retraite champêtre. Hautile près de la Roche-Guyon.

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