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Aux femmes laides des amans,
Des attraits même à la vieillesse,
Aux fous le prix de la sagesse,

Et la science aux ignorans,

1

Avec ma poudre il n'est rien dans la vie
Dont bientôt on ne vienne à bout:

Par elle on obtient tout, on sait tout, on fait tout;
C'est la grande encyclopédie.

Vite je m'approchai pour voir ce beau trésor :
C'était un peu de poudre d'or.

L'AVEUGLE ET LE PARALYTIQUE.

Aidons-nous mutuellement;

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère,

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au Ciel de terminer leur vie,
Mais leurs cris étaient superflus;
Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint: il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Etait sans guide, sans soutien,
Sans avoir même un pauvre chien,
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva
Que l'aveugle à tâtons au détour d'une rue,

Près du malade se trouva.

Il entendit ses cris, son âme en fut émue;
Il n'est tels que les malheureux

Pour se plaindre les uns les autres.

J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres; Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux. Hélas, dit le perclus, vous ignorez, mon frère, Que je ne puis faire un seul pas: Vous-même, vous n'y voyez pas;

A quoi nous servira d'unir notre misère ?
A quoi? répond l'aveugle, écoutez; à nous deux
Nous possédons le bien à chacun nécessaire :
J'ai des jambes et vous des yeux :

Moi je vais vous porter, vous vous serez mon guide:
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés;
Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez;
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide
Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous; yous y verrez pour moi.

LE CHATEAU DE CARTES.

Un bon mari, sa femme et deux jolis enfans
Coulaient en paix leurs jours dans le simple héritage,
Où paisibles, comme eux, vécurent leurs parens.
Ces époux partageant les doux soins du ménage,
Cultivaient leur jardin, recueillaient leur moisson;
Et le soir, dans l'été, soupant sous le feuillage,
Dans l'hiver devant leurs tisons,'

Ils prêchaient à leurs fils la vertu, la sagesse,
Leur parlaient du bonheur qu'on y trouve toujours.
Le père par un conte égayait ses discours,
La mère par une caresse.
L'aîné de ces enfans, né grave, studieux,
Lisait et méditait sans cesse :

Le cadet vif, léger, mais plein de gentillesse,
Sautait, riait, ne se plaisait qu'aux jeux.
Un soir, selon l'usage, à côté de leur père,
Assis près d'une table où s'appuyait la mère,
L'aîné lisait Rollin; le cadet, peu soigneux
D'apprendre les hauts faits des Romains ou des Parthes,
Employait tout son art, toutes ses facultés
A joindre, à soutenir, par les quatre côtés,
Un fragile château de cartes:

Il n'en respirait pas d'attention, de peur,
Tout-à-coup voici le lecteur

Qui s'interrompt: Papa, dit-il, daignez m'instruire
Pourquoi certains guerriers sont nommés conquérans,
Et d'autres fondateurs d'empires.

Ces deux noms sont-ils différens ?

Le père méditait une réponse sage,
Lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
Après tant de travail, d'avoir pu parvenir
A placer son second étage,

S'écrie: Il est fini! Son frère murmurant,

Se fâche, et d'un seul coup détruit son long ouvrage ;
Et voilà le cadet pleurant.
Mon fils, répond alors le père,
Le fondateur c'est votre frère,
Et vous êtes le conquérant.

LES DEUX JARDINIERS.

Deux frères jardiniers avaient par héritage
Un jardin dont chacun cultivait la moitié :
Liés d'une étroite amitié,

Ensemble ils faisaient leur ménage.

L'un d'eux appelé Jean, bel esprit, beau parleur,
Se croyait un très-grand docteur ;
Et Monsieur Jean passait sa vie
A lire l'almanach, à regarder le temps,
Et la girouette et les vents.
Bientôt donnant l'essor à son rare génie,
Il voulut découvrir comment d'un petit pois
Tant d'autres naissent à la fois;
Par quel secret mystère
Cette feve jettée au hazard dans la terre,
En se retournant dans son sein,

Place en bas sa racine et pousse en haut sa tige.
Tandis qu'il y rêve, il néglige

D'arroser son terrain;
Ses épinards et sa laitue

Sêchent sur pied: le vent du Nord lui tue
Ses figuiers qu'il ne couvre pas,

Point de fruit au marché; point d'argent dans la bourse,
Et le pauvre docteur, avec ses almanachs

N'a que son frère pour ressource.
Celui-ci, dès le grand matin

Travaillait en chantant quelque joyeux refrain,
Bêchait, arrosait tout du pêcher à l'oseille;
Sur ce qu'il ignorait, sans vouloir discourir

Il semait bonnement pour pouvoir recueillir:
Aussi dans son terrain tout venait à merveille;
Il avait des écus, des fruits et du plaisir,
Ce fut lui qui nourrit son frère ;

Et quand Monsieur Jean tout surpris
S'en vint lui demander comment il pouvait faire:
Mon ami, lui dit-il, voici tout le mystère :
Je travaille, et tu réfléchis.

Lequel rapporte davantage ?
Tu te tourmentes, je jouis:

Qui de nous deux est le plus sage ?

LE ROI ET LES BERGERS.

Certain monarque un jour déplorait sa misère,
Et se lamentait d'être roi.

Quel pénible métier, disait-il, sur la terre?
Est-il un seul mortel contredit comme moi ?
Je voudrais vivre en paix, on me force à la guerre;
Je chéris mes sujets; je les charge d'impôts;
J'aime la vérité; l'on me trompe sans cesse ;
Mon peuple est accablé de maux ;

Je suis accablé de tristesse.

En vain partout je cherche des avis,
Je prends tous les moyens, inutile est ma peine,
Plus j'en fais, moins je réussis.

Notre monarque alors aperçoit dans la plaine
Un troupeau de moutons maigres, de près tondus,
Des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères,
Et des béliers sans force, au milieu des bruyères,
Dispersés, bélans, éperdus.

Leur conducteur Guillot allait, venait, courait,
Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,
Tantôt à cet agneau qui demeure derrière,
Puis à sa brebis la plus chère;

Et tandis qu'il est d'un côté,

Un loup prend un mouton et l'emporte bien vite.
Le berger court; l'agneau qu'il quitte
Par une louve est emporté.

Guillot tout haletant s'arrête,
S'arrache les cheveux, ne sait plus où courir,
Et de son poing frappant sa tête,
Il demande au Ciel de mourir.
Voilà bien ma fidèle image,

S'écria le monarque; et les pauvres bergers,
Comme nous autres rois, entourés de dangers,
N'ont pas un plus doux esclavage.
Cela console un peu. Comme il disait ces mots,
Il découvre en un pré le plus beau des troupeaux,
Des moutons gras, pouvant marcher à peine,
Des béliers grands et fiers, tous en ordre paissans,
Des brebis fléchissant sous le poids de leur laine,
Près de leurs agneaux bondissans.

Leur berger mollement étendu sous un hêtre,
Faisait résonner l'air de son hautbois champêtre.
Le Roi tout étonné, disait: Ce beau troupeau
Sera bientôt détruit: les loups ne craignent guère
Les pasteurs amoureux qui chantent leur bergère;
On les écarte mal avec un chalumeau:

Ah! comme je rirais !.. Dans l'instant le loup passe
Comme pour lui faire plaisir;

Mais à peine il paraît que, prompt à le saisir,
Un chien s'élance et le terrasse.
Aubruit qu'ils font en combattant,
Deux moutons effrayés s'écartent dans la plaine:
Un autre chien part, les ramène,

Et

pour rétablir l'ordre il suffit d'un instant. Le berger voyait tout couché dessus l'herbette, Et ne quittait point sa musette.

Alors le Roi, presqu'en courroux,

Lui dit: Comment fais-tu ? Les bois sont pleins de loups,
Tes moutons gras et beaux sont au nombre de mille;
Et sans en être moins tranquille,
Dans cet heureux état toi seul les maintiens?

Sire, dit le berger, la chose est fort facile;

Tout mon secret consiste à choisir de bons chiens.

C

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