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Vos amis sont des ignorans.
Si vous voulez, je les y prends;

D'un semblable tableau nous couperons la tête,
Vous mettrez la vôtre en son lieu;

Qu'ils reviennent demain, l'affaire sera prête.
J'y consens, dit notre homme ; à demain donc, adieu.
La troupe des experts le lendemain s'assemble.
Le peintre leur montrant le portrait d'un peu loin,
Cela vous plaît-il mieux ? Dites, que vous en semble;
J'ai retouché la tête avec le plus grand soin.-
Pourquoi nous rappeler? pour voir cette ébauche ?
S'il faut parler de bonne foi

Vous l'avez pris encore à gauche ;
Ce n'est point du tout lui.

Vous en avez menti,
Messieurs, dit la tête, c'est moi.

Les Fables qui suivent sont de Florian*.

LA FABLE ET LA VÉRITÉ.

La vérité toute nue

Sortit un jour de son puits:

Ses attraits, par le temps, étaient un peu détruits;
Jeunes, vieux, fuyaient à sa vue.
La pauvre vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
A ses yeux vient se présenter
La Fable richement vêtue,
Portant plumes et diamans,

La plupart faux, mais très-brillans.
Eh! vous voilà! bon jour, dit-elle :
Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La vérité répond: Vous le voyez, je gèle:
Aux passans je demande en vain

De me donner une retraitė;

* Pour un plus grand nombre de Fables de Florian, voyez dans l'Introduction à ce Parnasse.

Je leur fais peur à tous: hélas! je le vois bien;
Vieille femme n'obtient plus rien.

Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la Fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien

Mais aussi, Dame Vérité,

reçue :

Pourquoi vous montrer toute nue?

Cela n'est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous;
Qu'un même intérêt nous rassemble.

Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble;
Chez le sage, à cause de vous,

Je ne serai point rebutée;

A cause de moi, chez les fous,
Vous ne serez point maltraitée:

Servant, par ce moyen, chacun selon son goût,
Grâce à votre raison et grâce à ma folie,

Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.

LA MÈRE, L'ENFANT, ET LES SARIGUES*.
Maman, disait un jour à la plus tendre mère,
Un enfant péruvien sur ses genoux assis,
Quel est cet animal qui, dans cette bruyère
Se promène avec ses petits?

Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle,
Du sarigue c'est la femelle.

Nulle mère pour ses enfans

N'eut jamais plus d'amour, de soins plus vigilans.
La nature a voulu seconder sa tendresse
Et lui fit près de l'estomac

Une poche profonde, une espèce de sac
Où ses petits, quand un danger les presse,
Vont mettre à couvert leur faiblesse.

Fais du bruit, tu verras ce qu'ils vont devenir.
L'enfant frappe des mains; la sarigue attentive
Se dresse et d'une voix plaintive,
Jette un cri; les petits aussitôt d'accourir

* Espèce de Kangaroo.

Et de s'élancer vers la mère,

En cherchant dans son sein leur retraite ordinaire. La poche s'ouvre; les petits

En un moment y sont blottis ;

Ils disparaissent tous; la mère avec vitesse
S'enfuit emportant sa richesse.

La Péruvienne alors dit à l'enfant surpris:
Si jamais le sort t'est contraire,
Souviens-toi du sarigue; imite-le, mon fils;
L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.

LA BREBIS ET LE CHIEN.

La brebis et le chien de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
Ah! disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
Toi, esclave de l'homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,
Tu reçois pour prix de ton zèle,
Des coups, et souvent le trépas.
Moi qui tous les ans les habille,
Moi qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu'un de ma famille
Assassiné par ces méchans:

Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,

Travailler pour eux seuls et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste!

Il est vrai, dit le chien, mais crois-tu plus heureux
Les auteurs de notre misère ?

Va, ma sœur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire.

LE BOUVREUIL ET LE CORBEAU.

Un bouvreuil, un corbeau, chacun dans une cage
Habitait le même logis.

L'un enchantait par son ramage
La femme, le mari, les gens, tout le ménage;
L'autre les fatiguait sans cesse par ses cris;
Il demandait du pain, du rôti, du fromage,

Qu'on se pressait de lui porter,
Afin qu'il voulût bien se taire.
Le timide bouvreuil ne faisait que chanter
Et ne demandait rien; aussi pour l'ordinaire
On l'oubliait: le pauvre oiseau
Manquait souvent de grain et d'eau.

Ceux qui louaient le plus de son chant l'harmonie,
N'auraient pas fait le moindre pas

Pour voir si l'auge était remplie ;

Ils l'aimaient pourtant bien, mais ils n'y pensaient pas :
Un jour on le trouva mort de faim dans sa cage;
Ah! quel malheur, dit-on; las! il chantait si bien !
De quoi donc est-il mort? Certes, c'est grand dommage.
Le corbeau crie encore et ne manque de rien.

LE JEUNE PRINCE.

Un jeune prince avec son gouverneur,
Se promenait dans un bocage,
Et s'ennuyait, suivant l'usage;
C'est le profit de la grandeur.

Un rossignol chantait sous le feuillage;
Le prince l'aperçoit et le trouve charmant ;
Et comme il était prince, il veut dans le moment
L'attrapper et le mettre en cage.
Mais, pour le prendre, il fait du bruit,
Et l'oiseau fuit.

Pourquoi donc, dit alors Son Altesse en colère,
Le plus aimable des oiseaux

Se tient-il dans les bois farouche et solitaire,
Tandis que mon palais est rempli de moineaux.
C'est, lui dit le Mentor, afin de vous instruire
De ce qu'un jour vous devez éprouver.
Les sots savent tous se produire;
Le mérite se cache, il faut l'aller trouver.

LA FAUVETTE ET LE ROSSIGNOL.

Une fauvette dont la voix

Enchantait les échos par sa douceur extrême,
Espéra surpasser le rossignol lui-même,
Et lui fit un déti. L'on choisit dans les bois

Un lieu propre au combat; les juges se placèrent:
C'étaient le linot, le serin,

Le rouge-gorge, et le tarin.

Tous les autres oiseaux derrière eux se perchèrent. Deux vieux chardonnerets et deux jeunes pinsons Furent les gardes du camp; le merle était trompette; Il donne le signal. Aussitôt la fauvette

1 De

Fait entendre les plus doux sons:

Avec adresse elle varie

ses accens filés la touchante harmonie,
Et ravit tous les cœurs par ses tendres chansons;
L'assemblée applaudit. Bientôt on fait silence;
Alors le rossignol commence :
Trois accords purs, égaux, brillans,

Que termine une juste et parfaite cadence,
Sont le prélude de ses chants.
Ensuite son gosier flexible

Parcourant sans effort tous les tons de sa voix,
Tantôt vif et pressé, tantôt lent et sensible,
Etonne et ravit à-la-fois.

Les juges cependant demeuraient en balance:
Le linot, le serin, de la fauvette amis,

Ne voulaient point donner le prix:
Les autres disputaient; l'assemblée en silence -
Ecoutait leurs doctes avis,
Lorsqu'un geai s'écria, victoire à la fauvette!
Ce mot décida sa défaite;
Pour le rossignol aussitôt

L'aréopage ailé tout d'une voix s'explique.
Ainsi le suffrage d'un sot
Fait plus de mal que la critique.

LE CHARLATAN.

Sur le Pont-Neuf, entouré de badauds,
Un charlatan criait à pleine tête:
Venez, Messieurs, venez faire l'emplette

Du grand remède à tous les maux.
Je vends une poudre admirable
Qui donne de l'esprit aux sots,

De l'honneur au frippon, l'innocence au coupable,

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