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J'espérais que du temps la main tardive et sûre
Justifierait les dieux en vengeant leur injure,
Qu'Egiste reprendrait son empire usurpé;
Mais le crime l'emporte, et je meurs détrompé.
Egiste va se perdre à force de courage:

Il désobéira, la mort est son partage.

(Pendant cette scène on entend des cris, des coups contre les portes, le bruit des armes; on voit des soldats qui se battent, une foule de peuple qui sort du temple.)

Eur.-Entendez-vous ces cris dans les airs élancés ? Nar.-C'est le signal du crime.

Eur.-Ecoutons.

Nar.-Frémissez.

Eur. Sans doute qu'au moment d'épouser Polifonte La reine en expirant a prévenu sa honte.

Tel était son dessein dans son mortel ennui.
Nar.-Ah! son fils n'est donc plus. Elle eût vécu pour lui.
E.-Le bruit croît, il redouble, il vient comme un tonnerre,
Qui s'approche en grondant, et qui fond sur la terre.
Nar.-J'entends de tous côtés les cris des combattans,
Les sons de la trompette, et les voix des mourans.
Du palais de Mérope on enfonce la porte.

Eur.-Ah! ne voyez-vous pas cette cruelle escorte,
Qui court, qui se dissipe, et qui va loin de nous?
Nar.-Va-t-elle du tyran servir l'affreux courroux ?
Eur.-Allons voir à l'instant s'il faut mourir ou vivre.
Nar.-Hélas, d'un pas égal que ne puis-je vous suivre!
O dieux! rendez la force à ces bras énervés,
Pour le sang de mes rois autrefois éprouvés ;
Que je donne du moins les restes de ma vie.
Hâtons nous ! quel spectacle! est-ce vous, Isménie,
Sanglante, inanimée, est-ce vous que je vois ?

Ism.-Ah! laissez moi reprendre et la vie et la voix.

(En effet elle est pâle, échevelée: ses habits sont teints de sang. Un peuple immense la suit en désordre; quelques fem mes la soutiennent, pendant que Narbas lui parle.)

Nar.-Mon fils est-il vivant? Que devient notre reine? İsm.-De mon saisissement je reviens avec peine..

Par les flots de ce peuple entraînée. . . . en ces lieux....
Nar.-Que fait Egiste?

Ism.-(avec force) Il est. . le digne fils des dieux.
Egiste, il a frappé le coup le plus terrible.
Non, d'Alcide jamais la valeur invincible

N'a d'un exploit si rare étonné les humains.

Nar.-O mon fils! ô mon roi, qu'ont élevé mes mains !
Ism.-La victime était prête, et de fleurs couronnée ;
L'autel étincelait des flambeaux d'hymenée;

Polifonte, l'œil fixe, et d'un front inhumain,
Présentait à Mérope une odieuse main.
Le prêtre prononçait les paroles sacrées ;
Et la reine, au milieu des femmes éplorées,
S'avançant tristement, tremblante entre mes bras,
Au lieu de l'hymenée invoquait le trépas:

Le peuple observait tout dans un profond silence.
Dans l'enceinte sacréé en ce moment s'avance
Un jeune homme, un héros semblable aux immortels :
Il court, c'était Egiste, il s'élance aux autels :
Il monte, il y saisit, d'une main assurée,
Pour les fêtes des dieux la hache préparée.

Les éclairs sont moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappait ce monstre audacieux.

Meurs, tyran, criait-il; dieux, prenez vos victimes!
Erox, qui de son maître a servi tous les crimes,

Erox, qui dans son sang voit ce monstre nager,
Lève une main hardie, et pense le venger.
Egiste se retourne, enflammé de furie,
A côté de son maître il le jette sans vie....
Le tyran se relève; il blesse le héros :
De leur sang confondu j'ai vu couler les flots.
Déjà la garde accourt avec des cris de rage.
Sa mère.... ah, que l'amour inspire de courage!
Quel transport animait ses efforts et ses pas !
Sa mère....elle s'élance au milieu des soldats :
C'est mon fils; arrêtez, cessez, troupe inhumaine
C'est mon fils; déchirez sa mère, et votre reine,
Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté.
A ces cris douloureux le peuple est agité.

Un gros de nos amis, que son danger excite,
Entre elle et les soldats vole et se précipite.
Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés :
Des enfans écrasés dans les bras de leurs mères,
Les frères méconnus, immolés par leurs frères,
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirans :
On marche, on est porté sur les corps des mourans..
Je cours, je me consume....et le peuple m'entraîne,
Me jette en ce palais, éplorée, incertaine..
Hélas! j'ignore encore si la reine est sauvée,
Si de son digne fils la vie est conservée,

.....

Si le tyran n'est plus.... le trouble, la terreur,
Tout ce désordre horrible est encore dans mon cœur....
Nar.-Arbitre des humains, divine providence !
Achève ton ouvrage, et soutiens l'innocence:
A nos malheurs passés mesure tes bienfaits.
O ciel ! conserve Egiste, et que je meure en paix.
Ah! parmi ces soldats ne vois-je point la reine?

(Mérope entre en désordre au milieu du peuple: on voit dans le lointain le corps de Polifonte que des soldats ont traîné hors du temple.)

Mer.-Guerriers, prêtres, amis, citoyens de Messène, Au nom des dieux vengeurs, peuples, écoutez-moi. Je vous le jure encore, Egiste est votre roi :

Il a puni le crime, il a vengé son père.

Celui que vous voyez traîné sur la poussière,

C'est un monstre, ennemi des dieux et des humains:
Dans le sein de Cresfonte il enfonça ses mains.
Cresfonte mon époux, mon appui, votre maître,
Mes deux fils, sont tombés sous les coups de ce traître :
Il opprimait Messène, il usurpait mon rang;
Il m'offrait une main fumante de mon sang.

(Courant vers Egiste qui arrive la hache à la main)

Celui que vous voyez, vainqueur de Polifonte,
C'est le fils de vos rois, c'est le sang de Cresfonte;
C'est le mien; c'est le seul qui reste à ma douleur:
Quels témoins voulez-vous plus certains que mon cœur ?

Regardez ce vieillard; c'est lui dont la prudence
Aux mains de Polifonte arracha son enfance.
Les dieux ont fait le reste.. et si vous en doutez
Reconnaissez mon fils aux coups qu'il a portés,
A votre délivrance, à son âme intrépide,

Ah! quel autre jamais qu'un descendant d'Alcide,
Nourrri dans la misère, à peine en son printemps,
Eût pu venger Messène, et punir les tyrans..

(Euriclès entre suivi d'un graud nombre de citoyens.) Eur.-Ah! montrez-vous, Madame, à la ville calmée : Du retour de son roi la nouvelle semée,

Volant de bouche en bouche, a changé les esprits.
Nos amis ont parlé, les cœurs sont attendris:
Le peuple impatient verse des pleurs de joie;
Il adore le roi que le ciel lui renvoie;
Il bénit votre fils, il bénit votre amour;
Il consacre à jamais ce redoutable jour.
Chacun veut contempler son auguste visage;

On veut revoir Narbas; on veut vous rendre hommage.
Le nom de Polifonte est partout abhorré;

Celui de votre fils, le vôtre est adoré.

O roi venez jouir du prix de la victoire;

Ce prix est notre amour; il vaut mieux que la gloire.
Egi-Elle n'est point à moi : cette gloire est aux dieux.
Ainsi que
le bonheur la vertu nous vient d'eux.

Allons monter au trône, en y plaçant ma mère !

Et vous, mon cher Narbas, soyez toujours mon père.

Principales Scènes de Zaïre.

Tragédie en cinq Actes, par Voltaire..

Introduction.-La Palestine avait été enlevée aux Princes chrétiens par le conquérant Saladin. Noradin, Tartare d'origine, s'en était rendu maître. Orosmane, fils de Noradin, jeune homme plein de grandeur d'âme, commençait à régner avec gloire à Jérusalem; il méprisait la mollesse des soudans, et traitait avec douceur les esclaves chrétiens dont son sérail et ses états étaient remplis. Parmi ses esclaves, il s'était trouvé un enfant pris au sac de Césarée sous le règne de Noradin. Cet enfant ayant été racheté par des Chrétiens, à l'âge de neuf ans, avait été mené en France, où le Roi, Louis IX, avait daigné prendre soin de son éducation et de sa fortune. Nérestan, c'etait le nom qu'on lui avait donné en France, étant retourné en Syrie, fut fait prisonnier une seconde fois, et enfermé parmi les esclaves d'Orosmane. Il trouva dans la captivité une jeune personne avec qui il avait été fait prisonnier autrefois à Césarée. Cette jeune personne, qu'on nommait Zaïre, était regardée par les autres femmes esclaves comme étant née chrétienne, parce qu'on avait trouvé sur elle un petit ornement qui renfermait une croix, et qu'elle avait conservée. Une de ces esclaves, nommée Fatime, qui avait été enfermée dans le sérail, à l'âge de dix ans, tachait d'instruire Zaïre de ce qu'elle savait de la religion de ses pères. Nérestan, animé du zèle qu'avaient alors les chevaliers français, se proposa de racheter, du bien qu'il avait laissé en France, dix chevaliers et les deux esclaves Zaïre et Fatime, espérant pour elles la protection de la reine dont il était connu. Il eut la hardiesse de demander au soudan Orosmane la permission de retourner en France sur sa parole, et le soudan eut la générosité de le permettre. Nérestan partit et fut plus de deux ans hors de Jérusalem. Pendant ce temps

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