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LA ROSE ET LE BUISSON.... par le Bailly.

Une rose croissait à l'abri d'un buisson,,
Et cette rose un peu coquette
N'aimait point son humble retraite.

C'était même à l'entendre une horrible prison.
Son gardien lui disait, patience, ma chère,
Profite de mon ombre, elle t'est salutaire :
C'est elle du midi qui t'épargne les feux.
Grâces à mes dards épineux,

Des insectes rongeurs tu ne crains point l'outrage;
Je te défends encore des vents et de l'orage;
Chéris donc ton asile obscur ;

Il n'est pas beau, mais il est sûr.
Mais la rose n'en veut rien croire,
Vivre ainsi c'est vieillir sans gloire.
Un bucheron paraît: Accours, dit-elle, ami.
Sois mon libérateur, fais tomber sous ta hache
Ce vilain buisson qui me cache.
Le manant empressé n'en fait pas à demi,
Il abat le buisson; partant plus de tutelle;
La rose de s'en réjouir,
Elle va donc s'épanouir,

Charmer tous les regards, attirer autour d'elle
Le folâtre essaim des zéphirs:
Elle sera des roses la plus belle.

O fortuné destin, o comble de plaisirs !
Tandis que la jeune orgueilleuse

Rêve ainsi le bonheur et vit d'enchantement,
Voilà qu'une chenille affreuse

A découvert sa tige, y grimpe lentement,
Et sur son bouton frais se traîne insolemment.
Un escargot plus vil encore,

Vient souiller ses attraits naissans ;
Le soleil à son tour de ses rayons brulans
La frappe; elle se décolore.

Dans le chagrin qui la dévore,

Elle songe au buisson, mais regrets superflus;

Ce doux abri n'existe plus :

Qu'arrive-t-il enfin ? la Rose
Se fane et tombe à peine éclose.
N'oubliez pas cette leçon,

Innocentes beautés, orgueil de vos familles,
Vos mamans, voilà le buisson;

Croissez toujours à l'ombre; ou gare les chenilles.

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A certaine linotte un jour on enleva

par Aubert.

Son plus cher trésor, sa couvée,

Une perfide main avait fait ce coup-là.
C'était le premier fruit d'un heureux hymenée!
Jugez de sa vive douleur:

Elle va conter son malheur

Dans tout le voisinage. On la plaint, mais qu'y faire ?
-Il faut vous consoler, lui dit-on, vos petits
Sont peut-être en bon lieu, bien choyés, bien nourris.
Hélas, répond la tendre mère,

Quand la main du trépas les aurait respectés,

Leur perte pour mon cœur en est-elle moins dure? D'un autre, ils prennent leur pâture;

Par un autre, ils sont caressés:

Un autre a le plaisir de les voir à toute heure:
J'en suis seule privée.... Il faudra que j'en meure!
-Mais si l'on à pour eux des soins vifs, empressés?..
On n'en aura jamais assez :

Cet autre, est-ce une mère attentive, zélée,
Sachant ce qu'il leur faut, et ce qui leur nuirait?
Cette main qui sous eux arrange le duvet
Par l'amour est-elle guidée ?

Tels sont les soucis d'une mère
Pour ceux qui lui doivent le jour :

Sa tendresse est jalouse, inquiète, sincère;
C'est le chef-d'œuvre de l'amour.

LA ROSE ET LA LAVANDE.... Fable par

Fière de fixer autour d'elle

Un essaim léger de flatteurs,

Dans un parterre une rose nouvelle
Avec orgueil étalait ses couleurs.

Jouy.

Elle se croyait un prodige,
Et peut-être l'aurait été,
Si, par son dangereux prestige,
L'amour-propre n'eut tout gâté.
Du haut de sa tige épineuse

Elle insulte à toutes ses sœurs :

"Le lis n'a point d'éclat; l'œillet n'a point d'odeurs ; "Pour la jonquille langoureuse

"On n'en dit rien, et sans la tubéreuse, "Elle le serait la dernière des fleurs.

"De ce narcisse pâle et blême "Que je plains le sort rigoureux ! "Comme autrefois le malheureux "Est réduit à s'aimer lui-même. "La violette, en se cachant aux yeux, "De bon sens nous offre un modèle. "Je ne dis rien de l'immortelle, "On doit respecter ses ayeux. "Quelle autre fleur peut-on, de bonne foi "Mettre en parallèle avec moi ?" Près d'elle était l'humble lavande, Qui naît et croît sans ornement: "Je prends, dit-elle, ici l'engagement "De satisfaire à la demande.

"Donnez-moi deux jours seulement."

-Je vous en donne cent, répondit l'arrogante,
Balançant sa tête élégante,

Deux suffiront, je crois.-La seconde journée *
Commence à peine, et la rose est fanée;
Plus d'odeur, plus de coloris;
Tout est passé par un retour funeste
De ses appas qu'un seul jour a flétris,
L'épine est tout ce qui lui reste.
Bientôt pour comble de tourmens
Autour de la lavande elle voit ses amans.
"Connaissez-moi, lui dit sa modeste rivale,
"Et gardez-vous de redouter

"Qu'à vos maux je veuille insulter !
"Mais souffrez un trait de morale.

"Hier des fleurs on vous nommait la reine ;

"Et l'on me regardait à peine.
"Du temps, victimes toutes deux,

Pourquoi donc aujourd'hui m'adresse-t-on des vœux ?
"Il faut le dire sans détour ;

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"Vos attraits ne brillent qu'un jour;
"Aucun charme ne les remplace :
"Comme vous je perds ma fraîcheur;
"Mais plus heureuse en ma disgrâce,
"Je conserve encor mon odeur."

O vous à qui s'adresse cette fable,

Jeunes filles, songez-y bien;

La beauté du bonheur n'est qu'un frêle soutien ;
Assurez-vous un appui plus durable.
Fleur si brillante des beaux ans

Doit bientôt vous être ravie :

Parfum d'esprit, de vertus, de talens,
Se répand sur toute la vie.

LES DEUX MONTRES....

par Dorat.

Un horloger venait de faire emplette

De deux montres: l'une sans art

Pour le dehors semble au premier regard
Valoir à peine qu'on l'achète ;
Mais au dedans elle est parfaite ;
Le mouvement en est exquis;
Les ressorts en sont bien finis.

C'est Julien le Roi qui l'a faite.

L'autre à l'extérieur éblouit tous les yeux;
Le diamant l'enrichit de ses feux :

Son aiguille étincelle élégamment taillée;
Elle s'enorgueillit de sa boîte emaillée;
Mais son allure est brusque, et son pas étourdi;
A dix heures souvent, elle marque midi.
Quoiqu'il en soit, dans la boutique

Entrent deux acheteurs: l'un français élégant
Laisse à la porte un train brillant ;
L'autre n'a rien de magnifique,
C'est un anglais qui sagement vêtu
Se plaît à rester inconnu.
Notre élégant que l'éclat doit séduire,

S'empare du petit trésor,

Les diamans, l'émail et l'or,

La boîte aussi, tout le frappe et l'attire.

-Le prix ? mille écus-bon: de sa bourse il les tire,
Et dupe à si grands frais n'achète qu'un joujou.
L'Anglais, pour peu d'argent, emporte un bon ouvrage;
Car il a pris la montre au modeste entourage,
Il a besoin d'un meuble et non pas d'un bijou.

LE PORTRAIT.... par La Motte.

Qui ne veut être peint une fois dans sa vie?
Son portrait achevé, certain homme eut envie
D'avoir l'avis de ses amis

Qu'il croyait gens très-experts en peinture.
Quand le tableau devant leurs yeux fut mis,
Regardez bien, dit-il, car il s'agit de voir
Si je suis attrappé, si c'est là ma figure.
Votre figure, dit l'un, on vous a fait tout noir;
Vous êtes blanc-Cette bouche grimace,
Dit un autre-Ce nez n'est pas bien à sa place,
Reprend un tiers; je voudrais bien savoir
Si vous avez les yeux si petits et si sombres,
Et puis à quoi servent ces ombres ?
Ce n'est pas vous enfin, il faut y retoucher.
Le peintre a beau s'écrier, se fâcher,
Sur cet arrêt; il faut qu'il recommence.
Les connaisseurs assemblés de nouveau
Sur la parfaite ressemblance,
Condamnent encor tout l'ouvrage.
On vous allonge le visage,

On vous creuse la joue, on vous ride la peau,
On vous fait laid, sexagenaire,
Et flatterie à part, vous êtes jeune et beau.
Messieurs, leur dit le peintre, il faut encore refaire,
Je m'engage à vous satisfaire,

Ou j'y brûlerai mon pinceau.

Les connaisseurs partis, l'artiste dit à l'homme,
Vos amis, par leur nom, il faut que je les nomme,

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