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Tantôt sur l'Océan, soufflant sous un ciel pur,
De sa surface à peine il effleure l'azur,

Et tantôt s'élançant sur ces plaines profondes,
Il frappe, élève, abaisse et tourmente les ondes;
Et, troublant en tout sens cet humide chaos
Arme l'air contre l'air, les flots contre les flots.
Malheur au nautonnier! Dans sa barbare joie
Le brigand, sur la côte attend déjà sa proie.
Dans son cours plus égal, l'autre plus régulier,
Parcourt des mers du Sud le sein hospitalier,
Et lorsque, poursuivant sa course périlleuse,
Le vaisseau que battait une mer orageuse,
A laissé loin de lui le brûlant Equateur,
Heureux, il trouve enfin ce vent consolateur,
Embaumé des parfums que le rivage exhale.
Le nocher suit en paix sa route orientale;
Et sur les flots unis sans crainte et sans effort,
Par ce souffle constant il est conduit au port.
Laisse-t-il ces beaux lieux ? des rives de l'aurore
Guide fidèle et sûr, ce vent le pousse encore;
Et, comme à son voyage, utile à son retour,
Soumet les faibles vents qui règnent alentour...
Partez, heureux nochers, pour ces fertiles bords!
Des pays étrangers rapportez les trésors,
Cet or, ces diamans dont l'Europe est avare,
Et ces frêles tissus dont la beauté se pare;
Par les nœuds du commerce unissez l'Univers,
Mais ne lui portez pas nos vices et nos fers.

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Instinct et Sort des Oiseaux.

Avec combien d'adresse, instruits par la nature, Les oiseaux de leurs nids combinent la structure! Chaque race choisit et la forme et le lieu;

L'une en ces longs tuyaux où pétille le feu,
Sous nos toîts, sur nos murs hospitaliers pour elle,
Construit de ses enfans la demeure nouvelle ;

L'autre au chêne orgueilleux, ou bien à l'arbrisseau,
De ses jeunes enfans confia le berceau.

Là, des œufs maternels nouvellement éclose,
Sur le plus doux coton la famille repose...

Par un soin prévoyant, d'autres placent leurs nids
Au lieu le plus propice à nourrir leurs petits;
Ici l'amour craintif les cache sous la terre,
Là, de leurs ennemis pour éviter la guerre,
Il les pend aux rameaux: mollement balancés,
Dans ce léger hamac les enfans sont bercés....
Quel bien manque à vos vœux, intéressans oiseaux ?
Vous possédez les airs, et la terre, et les eaux;
Sous la feuille tremblante un zéphir vous éveille;
Vos couleurs charment l'oeil, et vos accens l'oreille;
Vos désirs modérés ignorent à-la-fois

Et les vices du luxe, et la rigueur des lois :
Un
coup d'aile corrige une amante coquette;
Un coup de bec suffit à sa simple toilette.
Si vous prenez l'essor vers des bords reculés,
Vous êtes voyageurs et non pas exilés ;
Le bocage qui vit votre famille éclore
Sur le même rameau vous voit bâtir encore;
Même ombrage reçoit vos amoureux penchans,
Et les mêmes échos répondent à vos chants.
Hélas! à notre sort ne portez point envie ;
Un seul de vos printemps vaut toute notre vie.

Fragmens du Poëme de la Pitié....par Delille.

(Le poëte peint ce sentiment tel qu'un bon cœur l'éprouve et l'exerce à l'égard de tous les êtres souffrans.)

Glorieux attribut de l'homme, roi du monde,
La pitié de ses biens est la source féconde....
Ecoutez la pitié, secourez vos égaux;

Ajoutez à vos biens en soulageant leurs maux.
Tout ce que Dieu soumit à votre obéissance
Doit sentir vos bienfaits, bénir votre puissance.

Pitié envers les Animaux.

O vous qui fécondez ou qui peuplez nos champs,
Soyez d'abord ici le sujet de mes chants:
Innocens animaux, le Dieu de la nature

Vous forma, je le sais, d'une argile moins pure;

Il ne l'anima point d'un rayon immortel,
Et nous seuls sommes nés co-héritiers du Ciel ;
Mais placés ici-bas nous habitons ensemble,

Et

par des nœuds communs le besoin nous rassemble.. Cependant je l'ai vu, j'ai vu des animaux

Courbés injustement sous d'énormes fardeaux,
L'homme s'armer contre eux, et comme leur paresse,
Par de durs traitemens châtier leur faiblesse.
J'ai vu, les nerfs roidis et les jarrets tendus,
Tomber ces malheureux sur la terre étendus.
J'ai vu du fouet cruel les atteintes funestes
De leurs esprits mourans solliciter les restes;
Et de coups redoublés accablant leur langueur,
Par l'excès des tourmens ranimer leur vigueur....
Parcourez Albion, cette terre chérie,

Albion, des coursiers indulgente patrie;

C'est là que de leur race entretenant l'honneur,
L'homme instruit leur instinct et soigne leur bonheur.
Des Arabes errans les hordes inconstantes,

Qui, près de leurs chevaux, reposent sous des tentes,
Avec moins de plaisir veillent à leurs besoins.
Le coursier est sensible à ces généreux soins:
Aussi que la carrière à ses yeux se présente,
L'homme à peine contient sa fougue impatiente;
Sans le fouet meurtrier, sans l'éperon sanglant,
Il part, entend son maître, et l'emporte en volant,
Touche le but, revient, et fier, levant la tête,
Semble d'un pied superbe applaudir sa conquête....

Effets de la Pitié envers lés Coupables.

Le criminel même a des droits sur notre âme:
Souvent pour expier un attentat infâme,
Des pensers généreux le funeste abandon
Pour remonter vers eux, n'attend que le pardon;
Et le vice épuré par un remords sublime,
A nos cœurs étonnés sait arracher l'estime.
Relevez, s'il se peut, son courage abattu :
Le remords a souvent conduit à la vertu.
Eh! qui ne connaît pas le consolant spectacle
Qu'étale des bandits ce vaste receptacle,

Cette Botany-Bay, sentine d'Albion,
Où le vol, la rapine et la sédition

En foule sont vomis, et purgeant l'Angleterre,
Dans leur exil lointain vont féconder la terre.
Là, l'indulgente loi, de sujets dangereux
Fait d'habiles colons, des citoyens heureux,
Sourit au repentir, excite l'industrie,
Leur rend la liberté, des mœurs, une patrie:
Je vois de toutes parts les marais dessechés,
Les déserts embellis, et les bois défrichés.
Imitez cet exemple; à leur prison stérile
Enlevez ces brigands, rendez leur peine utile;
Et qu'arrachant aux fers le remords vertueux
Le pardon change en biens des maux infructueux,

Pitié envers la Vieillesse, ou Modèle d'Amour filial,
Episode tiré du Spectator.

Eh! qui ne connaît pas quelle volupté pure
A l'amour filial attacha la nature !
Fidélia le prouve; elle dont Adisson

A la postérité transmit l'aimable nom.

La mort à son enfance avait ravi sa mère;

Mais ses traits enchanteurs en offraient à son père
La douce ressemblance et le vivant portrait;

De ce père chéri le cœur l'idolâtrait..

Au ciseau de Scopas, même au pinceau d'Apelle,
Cette fille touchante eût servi de modèle.

Un amant l'adorait.... d'un père les besoins
Remplissaient tout son cœur, occupaient tous ses soins ;
Son âme, dévouée à ces doux exercices,

De leur vieux domestique enviait les services.
Elle-même à son père offrait ses vêtemens,
Lui préparait ses bains, soignait ses alimens;
Elle-même, à genoux, ajustait sa chaussure,
Peignait avec orgueil sa blanche chevelure;
Près de lui rassemblait ses meubles favoris,
Ses amis de l'enfance, et ses livres chéris.

Tandis que la beauté méditait des conquêtes,
Se parait pour le bal, les festins et les fêtes,

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Elle, auprès du vieillard, au coin de leurs foyers,
Ecoutait le récit de ses exploits guerriers;
Tantôt pinçait son luth, tantôt avec adresse
Lui chantait les vieux airs qui charmaient sa jeunesse,
Le conduisait, le soir, au lieu de son sommeil ;
Veillait à son chevet, épiait son réveil;

Dressait pour lui la table, et des plantes d'Asie
Lui versait de sa main l'odorante ambroisie;
Vainement ses amis lui disaient quelquefois :
"Faut-il vivre toujours sous ces austères lois ?
"Et même avant l'hymen connaissant le veuvage,
"En ces pieux ennuis couler votre jeune âge?
"Vous les regretterez.... Non, ma mère, à sa mort,
"D'un père en cheveux blancs m'a confié le sort.
"De frivoles plaisirs si la foule s'amuse,

"Pour moi, mon cœur jouit des biens qu'il se refuse.
"Je jouis quand je vois, au sortir du sommeil,
"D'un rayon de gaîté briller son doux réveil;

"Je jouis quand le soir, prolongeant ma lecture, "J'endors près de son lit les douleurs qu'il endure. "Je jouis quand le jour, appuyé sur mon bras, "Il peut de mon secours aider ses faibles pas. "Dans des liens nouveaux ma jeunesse engagée, "Par deux objets chéris se verrait partagée; "Réservant pour un autre une part de mes soins, Quoique l'aimant toujours, je le soignerais moins. "Non, j'en jure aujourd'hui par l'ombre de ma mère, "Rien ne pourra jamais me séparer d'un père." Tel était son langage. Ah! dans tous les enfans Puissions-nous admirer ces vertueux penchans!......

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Causes de la Révolution française, en 1789-Ses Malheurs; Pitié envers ses Victimes,

Oui, de nos propres mains nous creusant des abîmes, Nous payons chèrement la dette de nos crimes. Tant que d'un Dieu suprême on adore les lois, La pitié dans les cœurs fait entendre sa voix; Mais quand un peuple impie outrage sa puissance, Alors elle se tait, et voilà sa vengeance.

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