Page images
PDF
EPUB

Au sortir de la chasse, ou des travaux rustiques,
Sa maison le rappelle à ses dieux domestiques;
Sa maison, doux séjour de la paternité,
Est le premier berceau de la société.

Mais avant de semer, de planter, de construire,
Combien de jours perdus! en vain dans son empire
Le ciel avait pour lui jeté de toutes parts,
Avec profusion, la matière des arts;

En vain, dans son esprit, la nature en silence,
Avait de leurs secrets déposé la semence ;

Leurs germes inféconds reposaient dans son sein;
Nul instrument n'aidait son ignorante main,
Et ses bras désarmés languissaient sans adresse.
Mais enfin le fer vint seconder leur faiblesse :
Il abat les forêts, il dompte les torrens ;
De l'outre mugissante il déchaîne les vents;
Par leur souffle irrité l'ardent fourneau s'allume;
J'entends le lourd marteau retentir sur l'enclume!
L'urne, aux flancs arrondis, se durcit dans le feu;
Il fait crier la lime, il fait siffler l'essieu,
Ou sur le frêle esquif, hasarde un pied timide.
Tournez, fuseaux légers! cours, navette rapide,
Et venant, revenant par le même chemin,
Dans le lin, en glissant, entrelace le lin.

Les jours sont loin encore, où la riche peinture
Sur des tissus plus beaux tracera la nature,
Où, figurant le ciel, l'homme et les animaux,
Le peintre, sans les voir, formera ses tableaux :
Ils viendront ces beaux jours. Cependant l'industrie
Allége à chaque instant le fardeau de la vie :
L'équilibre puissant nous révèle ses lois,
Et par des poids rivaux on balance les poids;
A l'aide d'un lévier l'homme ébranle la pierre,

Par la grue enlevée elle a quitté la terre.

L'art s'avance à grands pas; mais c'est peu que ses soins Satisfassent aux cris de nos premiers besoins:

Bientôt accourt le luxe et sa pompe élégante;

Du lion terrassé la dépouille sanglante

Dès long-temps a fait place aux toisons des brebis;
Un jour un noble ver filera ses habits.

[ocr errors]

La beauté se mirait au cristal d'une eau pure, La glace avec orgueil réfléchit sa figure. L'ombre, le sable et l'eau lui mesuraient les jours; Un balancier mobile en divise le cours ; Des rouages savans ont animé l'horloge, Et la montre répond au doigt qui l'interroge. Quel Dieu sut mettre une âme en ces fragiles corps? Comment sur le cadran qui cache leurs ressorts, Autour des douze sœurs qui forment sa famille, Le temps, d'un pas égal, fait-il marcher l'aiguille? Art sublime! par lui, la durée a ses lois,

Les heures ont un corps et le temps une voix.

A tous ces grands secrets un seul manquait encore; Ma divinité parle, et cet art vient d'éclore :

Avant lui d'un seul lieu, d'un seul âge entendus,
Pour le monde et les temps les arts étaient perdus :
Cet art conservateur en prévient la ruine.
Quand le bienfait est pur, qu'importe l'origine ?
Des vils débris du lin que le temps a détruit,
Empâtés avec art et foulés à grand bruit,
Vont sortir ces feuillets où le métal imprime
Ce que l'esprit humain conçut de plus sublime.
Un amas de lambeaux et de sales chiffons
Eternise l'esprit des Plines, des Buffons;
Par eux le goût circule et plus prompte qu'Eole
L'instruction voyage et le sentiment vole.
Trop heureux si l'abus n'en corrompt pas le fruit.
Mais veux-tu voir en grand ce que l'art a produit?
Regarde ce vaisseau destiné pour Neptune,
Favori de la gloire, ou cher à la fortune,

Qui doit braver un jour, navigateur hardi,

Ou les glaces du Nord ou les feux du Midi :
Quelle majestueuse et fière architecture!

Le calcul prévoyant dessina sa structure.
Dans sa coupe légère, avec solidité,
Il réunit la force à la rapidité.

Emporté par la voile, et dédaignant la rame,
Le chêne en est le corps, et le vent en est l'âme :
L'aimant fidèle au pôle, et le timon prudent
Dirigent ses sillons sur l'abime grondant,

L'équilibre des poids le balance sur l'onde;
Son vaste sein reçoit tous les trésors du monde.
La foudre arme ses flancs; géant audacieux,
Sa carêne est dans l'onde, et ses mâts dans les cieux.
Long-temps de son berceau l'enceinte l'emprisonne;
Signal de son départ, tout-à-coup l'airain tonne :
Soudain, lassé du port, de l'ancre et du repos,
Aux éclats du tonnerre, aux cris des matelots,
Au bruit des longs adieux mourans sur les rivages,
Superbe, avec ses mâts, ses voiles, ses cordages,
Il part, et devant lui chassant les flots amers,
S'empare fièrement de l'empire des mers.

L'Architecture.

Pourrais-je t'oublier, auguste Architecture,
Qui domptes des rochers la rebelle nature ?
Le marbre sous tes mains se découpe en festons,
Se taille en chapiteaux, se déploie en frontons,
S'arrondît en volute, en frise se façonne,
S'allonge en architrave, ou s'élance en colonne :
Et des proportions la savante beauté

A joint la symétrie à la variété.

Cependant qui l'eût cru? pour des formes si belles, La nature à notre art n'offrait point de modèles ; L'imagination seule en fit tous les frais.

Je sais que nos aïeux, au sortir des forêts,
Des arbres imitant les voûtes végétales
Courbèrent en arceaux leurs vastes cathédrales :
Mais ces formes sans goût, le goût les rejeta :
Image de leurs troncs, la colonne resta.

Alors des temples Grecs et des palais antiques,
L'art plus majestueux releva les portiques,
Et le ciseau qui fit les dieux et les héros,
Tailla pour leur séjour les marbres de Paros.
Enfin vint Michel Ange; et son audace extrême
Prétend surpasser Rome et la Grèce elle-même.
Il commande; à sa voix accourent tous les arts;
Il veut que son chef-d'œuvre, attachant les regards,
Avec l'immensité joigne encor l'élégance,

Soit simple, mais hardi, grand sans extravagance,

(C'est dans le poëme qu'il faut lire les tableaux de la poésie, de la musique, et des autres arts, enfans de l'imagination.)

[ocr errors][merged small]

Toi qu'après la bonté l'homme chérit le mieux ;
Toi qui naquit un jour du sourire des Dieux,
Beauté ! je te salue.... hélas d'épais nuages*
A mes yeux presqu'éteints dérobent tes ouvrages,
Source de voluptés, de délices, d'attraits,
Sur trois règnes divers tu répands tes bienfaits:
Tantôt, loin de nos yeux, dans le flanc de la terre
En rubis enflammés tu transformes la pierre;
Tu donnes en secret leurs couleurs aux métaux,
Au diamant ses feux, et leur lustre aux cristaux...
Tantôt nous déployant ta pompe éblouissante,
Pour colorer l'arbuste, et la fleur et la plante,
D'or, de pourpre et d'azur tu trempes tes pinceaux ;
C'est toi qui dessinas ces tilleuls, ces ormeaux,
Tant d'arbres élégans, et ces platanes sombres,
Qui cherchent la fraîcheur, le silence et les ombres.
Dans le monde animé qui ne sent tes faveurs ?
L'insecte dans la fange est fier de ses couleurs.
Ta main du paon superbe étoile le plumage ;
D'un souffle tu créas le papillon volage;
Toi-même au tigre horrible, au lion indompté,
Donnas leur menaçante et sombre majesté,
A tous les animaux tu donnas leur parure:
Mais tu traitas en roi le roi de la nature.
L'homme seul eut de toi ce front majestueux,
Ce regard noble et doux, fier et voluptueux,
Du sourire, des pleurs l'intéressant langage:
Pour l'homme tu formas ton plus charmant ouvrage:
Il voyait en naissant les globes radieux;
Sa compagne naquit, elle éclipsa les cieux :
Toi-même t'applaudis en la voyant éclore :
Dans le reste on t'admire, et dans elle on t'adore.

* L'auteur commençait à perdre la vue :

Sur la Grâce et la Pudeur.

De ces accords parfaits l'univers enchanté Vit éclore un pouvoir plus sûr que la beauté, Qui toujours l'embellit, qui souvent la remplace, Qui nous plaît en tous lieux, en tout temps, c'est la grâce; Mais comment définir, expliquer ses appas ? Ah! la grâce se sent et ne s'explique pas. Rien n'est plus varié que ses teintes légères : L'oeil se plaît à saisir ses formes passagères ; Elle brille à demi, se fait voir un moment, C'est un parfum dans l'air exhalé doucement; C'est cette fleur qu'on voit négligemment éclore, Et qui prête à s'ouvrir semble douter encore: L'esprit qui, sous son voile, aime à la deviner, Joint au plaisir de voir celui d'imaginer....

Avec le même charme, aimable en toute chose,
Elle parle, se tait, agit ou se repose;
De l'enfance naïve elle est le premier don
A la nature elle doit son facile abandon......
Il faut pour la trouver la rencontrer sans peine :
Elle craint la recherche et redoute la gêne;
L'air d'effort lui déplaît; et lorsque dans sa main
Vénus tient en riant les marteaux de Vulcain,
Un air d'aisance encore embellit la déesse :
Le caprice sied bien à cette enchanteresse ;
Où l'oublie, elle vient; on la cherche, elle fuit;
C'est la Nymphe échappant au berger qui la suit....
Mais je vois la Pudeur s'avancer sur sa trace:
Ah! qui peut séparer la pudeur de la grâce ?
L'imagination, de ses regards discrets,

Ose à peine entrevoir les innocens secrets,
Et de son trouble heureux, de sa rougeur aimable,
Elle admire tout bas le charme inexprimable ;
Le vice audacieux s'arrête à son aspect;
Et le désir lui-même est glacé de respect,
Craignant ses propres yeux, elle-même s'ignore ;
Même quand elle est seule elle est modeste encore.
Sa décence la voile aux regards curieux;
Et la Vénus pudique est vêtue à nos yeux.

« PreviousContinue »