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Fragmens des Géorgiques Françaises, ou l'Homme des Champs. Poëme par Delille.

(Après une courte Introduction, le poëte veut prouver que, pour se plaire à la campagne, il faut oublier le luxe et les amusemens de la ville.)

Ce sont les vrais plaisirs, les vrais biens que je chante; Mais peu savent goûter leur volupté touchante : Pour les bien savourer, c'est trop peu de nos sens; Il faut un cœur paisible et des goûts innocens..

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Ce riche qui, d'avance, usant tous les plaisirs,
Ainsi que son argent, tourmente ses désirs,
S'écrie à son lever : "Que la ville m'ennuie!
"Volons aux champs; c'est là qu'on jouit de la vie.”
Il part, il vole, arrive, et retrouve l'ennui,
Qui l'attend à la grille, et se traîne avec lui.
A peine il a de l'œil parcouru son parterre,
Visité son Kiosk, et sa nouvelle serre,
Les relais sont mandés; lassé de son château,
Il veut aller bailler à l'opéra nouveau.
Ainsi changeant toujours de dégoûts et d'asile,
Il accuse les champs, il accuse la ville;

Tous deux sont innocens; le tort est à son cœur :
Un vase impur aigrit la plus douce liqueur.

Le calme heureux des champs craint une pompe vaine;
L'orgueil produit le faste, et le faste la gêne...

Peinture des Agrémens de la Campagne dans les différentes Saisons et à diverses Heures de la Journée.

Et quel charme les champs ne promettent-ils pas
A des yeux exercés, à des sens délicats?
Insensible habitant des rustiques demeures,
Sans distinguer les lieux, les saisons et les heures,
Le vulgaire au hasard jouit de leur beauté.
Le sage veut choisir : tantôt la nouveauté
Prête aux objets naissans sa grâce enchanteresse;
Tantôt c'est leur déclin dont l'aspect l'intéresse:
Son cœur vole au plaisir que l'instant a produit,
Et cherche à retenir le plaisir qui s'enfuit:

A toute heure il jouit; soit qu'une fraîche aurore
Donne la vie aux fleurs qui s'empressent d'éclore,
Soit
que l'astre du monde, en achevant son tour,
Jette languissamment les restes d'un beau jour.
Etudions aussi les momens de l'année:
L'année a son aurore ainsi que la journée.
Le jeune papillon qui, sur les fleurs nouvelles,
S'envole, frais, brillant, épanoui comme elles,
Jouit moins au sortir de sa triste prison,
Que le sage au retour de la belle saison.

Déjà sur nos côteaux, sur nos monts, dans nos plaines,
Tout est gazon, zéphire, ou ruisseaux ou fontaines;
Les beaux jours au poëte inspirent les beaux vers:
Le chêne s'est éteint dans nos foyers déserts;
Adieu des paravents l'ennuyeuse clôture;
Adieu, livres poudreux, adieu, grave lecture,
Le grand livre des champs vient de s'ouvrir; je cours
Du ruisseau, libre enfin, reconnaître le cours ;
Du premier rossignol entendre le ramage,
Voir le premier bouton, voir le premier feuillage,
Et renaître moi-même avec l'ombre et les fleurs.
Si du printemps nouveau l'on chérit les faveurs,
Les beaux jours expirans ont aussi leurs délices.
De la belle saison j'ai béni les prémices;
Dans l'automne, ces bois, ces soleils palissans,
Intéressent mon âme en attristant mes sens.
Le printemps nous inspire une aimable folie,
L'automne, les douceurs de la mélancolie.
On revoit un beau jour avec ce vif transport
Qu'inspire un tendre ami dont on pleurait la mort.
Son départ, quoique triste, à jouir nous invite:
Ce sont les doux adieux d'un ami qui nous quitte;
Chaque instant qu'il accorde on aime à le saisir ;
Et le regret lui-même augmente le plaisir.
Majestueux été, pardonne à mon silence!
Admirant ton éclat je crains ta violence,
Et je n'aime à te voir, en tes plus doux instans,
Qu'avec l'air de l'automne ou les traits du printemps.
Que dis-je ? ah! si tes jours fatiguent la nature,
Que tes nuits ont de charme! et quelle fraîcheur pure

Vient remplacer des cieux le brûlant appareil!
Combien l'œil, fatigué des pompes du soleil,
Aime à voir de la nuit la modeste courrière
Revêtir mollement de sa pâle lumière

Et le sein des vallons et le front des côteaux,
Se glisser dans les bois et trembler sous les eaux....
Quelquefois dans les champs l'hiver retient mes pas :
L'hiver a ses beautés.. J'aime à voir les frimats
Sur les arbres blanchis, et la glace brillante
En lustres azurés à la roche pendante :

Et quel plaisir encore lorsqu'échappé dans l'air,
Un rayon du printemps vient embellir l'hiver,
Et tel qu'un doux souris qui naît parmi les larmes,
A la campagne en deuil rend un moment ses charmes !

La Pêche à la Ligne; la Chasse aux Oiseaux, etc.

Sous ces saules touffus, dont le feuillage sombre,
A la fraîcheur de l'eau joint la fraîcheur de l'ombre,
Le pêcheur patient prend son poste sans bruit,
Tient sa ligne tremblante, et sur l'onde la suit:
Penché, l'œil immobile, il observe avec joie,
Le liège qui s'enfonce et le roseau qui ploie.
Quel imprudent, surpris au piége inattendu,
A l'hameçon fatal demeure suspendu ?
Est-ce la truite agile, ou la carpe dorée,
Ou la perche étalant sa nageoire pourprée,
Ou l'anguille argentée errant en longs anneaux,
Ou le brochet glouton qui dépeuple les eaux ?

Au peuple ailé des airs voulant livrer la guerre,
Le chasseur prend son tube, image du tonnerre:
Il l'élève au niveau de l'oeil qui le conduit;
Le coup part, l'éclair brille et la foudre le suit.
Quels oiseaux va percer la grêle meurtrière ?
C'est le vaneau plaintif errant sur la bruyère;
C'est toi, jeune alouette, habitante des airs,
Qui meurs en préludant à tes tendres concerts....

Vrai Bonheur champêtre.

Ne l'oublions jamais; à la ville, au village, Le bonheur le plus doux est celui qu'on partage. Heureux ou malheureux, l'homme a besoin d'autrui; Il ne vit qu'à moitié s'il ne vit que pour lui. Vous donc à qui des champs la joie est étrangère, Ah! faites-y le bien, et les champs vont vous plaire.

Pour goûter le bonheur il faut de la bonté:
Tout se perd dans le bruit d'une vaste cité ;
Mais, au sein des hameaux, le château, la chaumière,
Et l'oisive opulence et l'active misère,

Nous offrent de plus près leur contraste affligeant;
Et le riche y voit mieux les maux de l'indigent.

Oh! d'un simple hameau si le ciel m'eût fait maître,
Je saurais en jouir.... Heureux, digne de l'être,
Je voudrais m'entourer de jardins et de champs,
De vergers, et surtout de visages riants;
La faim ne viendrait pas attrister ma fortune,
En offrant à mes yeux sa pâleur importune.
J'inviterais le pauvre aux rustiques travaux:
Il trouverait chez moi la bêche, les rateaux ;
Et bientôt assuré d'un modeste salaire,
Par son activité bannirait sa misère.

A l'indigent malade assurez des secours, Souvent des maux cruels viennent troubler ses jours. De vos appartemens choisissez le moins vaste; Tenez-y disposé avec ordre et sans faste, Le dépôt précieux des remèdes divers Par votre charité incessamment offerts. Souvent à vos bienfaits joignez votre présence; Votre aspect consolant doublera leur puissance: Menez-y vos enfans; qu'ils viennent sans témoin Offrir leur don timide au timide besoin.

Que surtout votre fille, en marchant sur vos traces, Avec cette pudeur qui relève les grâces,

Comme un ange apparaisse à l'humble pauvreté,
Et fasse en rougissant l'essai de sa bonté.

C'est ainsi que leurs mœurs des vôtres sont l'image,
Votre exemple est leur dot, leurs vertus votre ouvrage.
Coeurs durs, qui payez cher de fastueux dégoûts,
Ah! voyez ces plaisirs, et soyez-en jaloux.

Portrait d'un Curé de Campagne.

Voyez-vous ce modeste et pieux presbitère ?
Là vit l'homme de Dieu, dont le saint ministère
Du peuple réuni présente au Ciel les vœux,
Ouvre sur le hameau tous les trésors des cieux,
Soulage le malheur, consacre l'hyménée,
Bénit et les moissons, et les fruits de l'année,
Enseigne la vertu, reçoit l'homme au berceau,
Le conduit dans la vie, et le suit au tombeau....
Par ses sages conseils, sa bonté, sa prudence,
Il est pour le village une autre providence ;
Quelle obscure indigence échappe à ses bienfaits!
Dieu seul n'ignore pas les heureux qu'il a faits.
Souvent dans ces réduits où le malheur assemble
Le besoin, la douleur et le trépas ensemble,
Il paraît; et soudain le mal perd son horreur,
Le besoin sa détresse, et la mort sa terreur....

Fragmens de l'Imagination: Poëme par Delille.
Naissance et Prodiges des Arts.

D'abord, avec ses mains, l'homme creusait la terre, Aux monstres des forêts ses mains livraient la guerre ; Au lieu des vins pourprés, de la jaune moisson, Les glands étaient ses mets, un torrent sa boisson; Le carnage, ses jeux; sa couche, le feuillage; Les forêts, son séjour; son abri, leur ombrage. Mais l'esprit inventeur enfin fut excité Par l'aiguillon pressant de la nécessité; Les arts prirent naissance; et l'heureuse industrie Vint cultiver la terre, et défricher la vie : Le blé sort du sillon; et de son jus brillant, La vigne fait jaillir le nectar pétillant.

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