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Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
Est venu dans ces lieux souffler la cruauté,
Un ministre ennemi de votre propre gloire...
Am.-De votre gloire ? moi ? Ciel! le pourriez-vous croire?
Moi qui n'ai d'autre objet ni d'autre Dieu....

....

Assu.-Tais toi.

Oses-tu donc parler sans l'ordre de ton Roi.
Est.-Notre ennemi cruel devant vous se déclare:
C'est lui; c'est ce ministre infidèle et barbare
Qui, d'un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
Contre notre innocence arma votre vertu.

Et quel autre, grand Dieu! qu'un Scythe impitoyable
Aurait de tant d'horreurs dicté l'ordre effroyable!
Partout l'affreux signal en même temps donné,
De meurtres remplira l'univers étonné:

On verra sous le nom du plus juste des princes,
Un perfide étranger désoler vos provinces;
Et dans ce palais même, en proie à son courroux,
Le sang de vos sujets regorger jusqu'à vous.
Et que reproche aux juifs sa haine envénimée ?
Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis ?
Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie,
Pendant que votre main sur eux appesantie
A leurs persécuteurs les livrait sans secours,
Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours,
De rompre des méchans les trames criminelles,
De mettre votre trône à l'ombre de ses ailes.
N'en doutez point, seigneur, il fut votre soutien,
Lui seul mit à vos pieds le Parthe et l'Indien,
Dissipa devant vous les innombrables Scythes,
Et renferma les mers dans vos vastes limites:
Lui seul aux yeux d'un juif découvrit le dessein
De deux traîtres tout prêts à vous percer le sein:
Hélas! ce juif jadis m'adopta pour sa fille.
Ass.-Mardochée ?...

Est.-Il restait seul de notre famille:
Mon père était son frère: il descend, comme moi,
Du sang infortuné de notre premier roi.

Plein d'une juste horreur pour un Amalécite,
Race que notre Dieu de sa bouche a maudite,
Il n'a devant Aman pu fléchir les genoux,
Ni lui rendre un honneur qui n'était dû qu'à vous.
De là, contre les juifs et contre Mardochée
Cette haine, seigneur, sous d'autres noms cachée.
En vain de vos bienfaits Mardochée est paré;
A la porte d'Aman est déjà préparé

D'un infâme trépas l'instrument exécrable....
Dans une heure au plus tard ce vieillard vénérable,
Des portes du palais par son ordre arraché,
Couvert de votre pourpre, doit y être attaché.
Assu. Quel jour mêlé d'horreur vient effrayer mon âme!
Tout mon sang de colère et de honte s'enflamme.
J'étais donc le jouet! (il se lève) Ciel, daigne m'éclairer!
Un moment sans témoins cherchons à respirer.
Appelez Mardochée; il faut aussi l'entendre.

(Assuérus sort, Esther se lève, et Aman aussi.)
Est.-Vérité que j'implore, hâte-toi de descendre!
Am.-D'un juste étonnement je demeure frappé,
Les ennemis des Juifs m'ont trahi, m'ont trompé.
J'en atteste du Ciel la puissance suprême ;
En les perdant, j'ai cru vous assurer vous-même ;
Le roi, vous le voyez, flotte encore interdit :
Princesse, en leur faveur employez mon crédit.
Quel sang demandez-vous ?

Est. Va traître, laisse moi :
Les Juifs n'attendent rien d'un méchant tel que toi.
Misérable, le Dieu vengeur de l'innocence,
Tout prêt à te juger tient déjà sa balance:
Bientôt son juste arrêt te sera prononcé.

Tremble; son jour approche, et ton règne est passé.
Am.-Oui, ce Dieu, je l'avoue, est un Dieu redoutable;
Mais veut-il que l'on garde une haine implacable?
C'en est fait; mon orgueil est forcé de plier :
L'inexorable Aman est réduit à prier.

(11 se jette à ses genoux.)

Par le salut des Juifs, par ces pieds que j'embrasse,
Par ce sage vieillard, l'honneur de votre race,

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Daignez d'un Roi terrible appaiser le couroux,
Sauvez Aman, qui tremble à vos sacrés genoux.

(Assuérus rentre suivi de ses gardes; et voyant Aman aux genoux d'Esther.

Ass.-Quoi! le traître sur vous porte ses mains hardies!
Ah! dans ses yeux confus je lis ses perfidies,
Et son trouble appuyant la foi de vos discours,
De tous ses attentats me rappelle le cours.

(Se tournant vers les gardes.)
Qu'à ce monstre à l'instant l'âme soit arrachée.
Et que devant sa porte, au lieu de Mardochée,
Appaisant par sa mort et la terre et les cieux,
De mes peuples vengés il repaisse les yeux.

(Aman est emmené par les gardes, tandis que Mardochée est introduit par Hydaspe. Assuérus s'approchant de lui.)

Ass.-Mortel, chéri du Ciel, mon salut et ma joie,
Aux conseils des méchans ton roi n'est plus en proie.
Mes yeux sont dessillés, le crime est confondu;
Viens briller près de moi dans le rang quì t'est dû.
Je te donne d'Aman les biens et la puissance;
Possède justement son injuste opulence.

Je romps le joug funeste où les Juifs sont soumis:
Je leur livre le sang de tous leurs ennemis.

A l'égal des Persans je veux qu'on les honore,

Et que tout tremble au nom du Dieu qu'Esther adore.
Rebâtissez son temple, et peuplez vos cités.
Que vos heureux enfans dans leurs solennités,
Consacrent de ce jour le triomphe et la gloire,
Et qu'à jamais mon nom vive dans leur mémoire.
Que veut Asaph ?

Asa.-Seigneur, le traître est expiré :
Par le peuple en fureur, à moitié déchiré.

On traîne, on va donner en spectacle funeste
De son corps tout sanglant le misérable reste.

Mar.-Roi, qu'à jamais le Ciel prenne soin de vos jours.
Le péril des Juifs presse, et veut un prompt secours.
Ass.-Oui, je t'entends, allons, par des ordres contraires,
Révoquer d'un méchant les ordres sanguinaires.

Est.-0 Dieu! par quelle route inconnue aux mortels, Ta sagesse conduit ses desseins éternels !

TROISIÈME PARTIE.

Poésies descriptives, tirées de plusieurs Poëmes; et principales Scènes

de Mérope et de Zaïre*.

Morceaux tirés du Poëme des Jardins :

Introduction.

par Delille.

Le doux printemps revient et ranime à la fois
Les oiseaux, les zéphirs, et les fleurs, et ma voix.
Pour quel sujet nouveau dois-je monter ma lyre?
Ah! lorsque d'un long deuil la terre enfin respire,
Dans les champs, dans les bois, sur les monts d'alentour,
Quand tout rit de bonheur, d'espérance et d'amour;
Qu'un autre ouvre aux grands noms les fastes de la gloire,
Sur son char foudroyant qu'il place la victoire,
Que la coupe d'Atrée ensanglante ses mains;
Flore a souri: ma voix va chanter les jardins.

Je dirai comment l'art embellit les ombrages,
L'eau, les fleurs, les gazons, et les rochers sauvages,
Des sites, des aspects sait choisir la beauté,
Donne aux scènes la vie et la variété.

Pour traiter un sujet si riche et si fertile, Dont le charme autrefois avait tenté Virgile, Muse, n'empruntons point d'ornement étranger: Viens, de mes propres fleurs mon front va s'ombrager; Et comme un rayon pur colore un beau nuage Des couleurs du sujet jé teindrai mon langage.

Antiquité de l'Art de cultiver les jardins. L'art innocent et doux que célèbrent mes vers, Remonte aux premiers jours de l'antique univers.

* Voyez dans l'Avertissement ce qui regarde cette troisième Partie.

Dès que l'homme eut soumis les champs à la culture,
D'un heureux coin de terre il soigna la parure:
Et plus près de ses yeux, il rangea sous ses lois
Des arbres favoris, et des fleurs de son choix.
Du simple Alcinoüs le luxe encore rustique
Décorait un verger: d'un art plus magnifique
Babylone éleva des jardins dans les airs.

Quand Rome au monde entier eut envoyé des fers,
Les vainqueurs, dans des parcs ornés par la victoire,
Allaient calmer leur foudre et reposer leur gloire.
La sagesse autrefois habitait les jardins,

Et d'un air plus riant instruisait les humains;
Et si les Dieux offraient un Elisée aux sages,
Etaient-ce des palais ? c'étaient de verts bocages.

Sur l'Embellissement et le Choix du Terrain.
Pour embellir les champs simples dans leurs attraits,
Gardez-vous d'insulter la nature à grands frais:
Ce noble emploi demande un artiste qui pense,
Prodigue de génie et non pas de dépense.
Moins pompeux qu'élégant, moins décoré que beau,
Un jardin à mes yeux est un vaste tableau.

Soyez peintre, les champs, leurs nuances sans nombre,
Les jets de la lumière et les masses de l'ombre,
Les arbres, les rochers, et les eaux, et les fleurs,
Ce sont là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs.
La nature est à vous, et votre main féconde
Dispose, pour créer, des élémens du monde.

Mais avant de planter, avant que du terrein
Votre bêche imprudente ait entamé le sein;
Pour donner aux jardins une forme plus pure
Observez, connaissez, imitez la nature.
N'avez-vous pas souvent, aux lieux infréquentés,
Rencontré tout-à-coup ces aspects enchantés,
Qui suspendent vos pas, dont l'image chérie
Vous jette en une douce et longue rêverie?
Saisissez, s'il se peut, leurs traits les plus frappans,
Et des champs apprenez l'art de parer les champs.
Voyez aussi les lieux qu'un goût savant décore;
Dans ces tableaux choisis vous choisirez encore :

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