Page images
PDF
EPUB

CHAMPEAUX & SES SEIGNEURS

I

Champeaux a tiré de sa situation sur les rivages de la baie du Mont Saint-Michel ses diverses affixes, et a été appelé Champeaux-sur-Grève, Champeaux-sur-Mer et Champeaux près la Mer et au Bocage. Cette commune compte 360 hectares de superficie. Sa population de 500 habitants n'a guère varié depuis les Mémoires sur la Généralité de Caen, par l'intendant NicolasJoseph Foucault, Marquis de Magny, en 1697, où l'on lit: << Champeaux paye 632 livres de tailles, 100 taillables. » Bornée par l'Océan, qu'elle domine de ses hautes falaises, et par la lande de Beuvais, cette paroisse puise dans cette solitude marine et terrienne je ne sais quelle mélancolie, qui porte à se souvenir et à rêver. M. Fulgence Girard a écrit dans la France Maritime : « Au nord se dressent Carolles et Champeaux, falaises escarpées, qui portent encore les débris des châteaux féodaux dont jadis elles menaçaient le pays. Ces châteaux le protégeaient plutôt contre les descentes des Bretons et des Anglais. Lorsque, en 1803, le premier Consul fit fortifier les côtes de la Manche contre l'Angleterre, un corps-de-garde surmonta les falaises de Champeaux. Ce corps-de-garde, admirablement situé, se découvre d'Avranches, d'où ce point de la côte produit l'effet d'un promontoire. L'administration des domaines le vendit vers 1875 moyennant 42 francs, et, en 1883, un de nos collègues de la Société d'Archéologie l'acquit comme un but de promenade et un abri contre le soleil et la pluie pendant la saison des bains.

Les évêques d'Avranches possédaient, près de l'église, un manoir dont il reste quelques débris. D'autres ruines, à l'entrée de la lande de Beuvais, rappellent la maladrerie Saint-Blaize dont la fondation remonte au xe siècle. « Un titre de 1320, dit M. Le

» Héricher, dans son Avranchin monumental et historique, établit » qu'il y avait alors cinq lépreux à la chapelle Saint-Blaize-deChampeaux. » Cette maladrerie se composait d'une terre de 45 vergées, un étang, une chapelle, tous les bâtiments nécessaires et un cimetière. Elle possédait en outre 40 acres (l'acre valait 80 ares) dans la lande de Beuvais, des rentes sur le fief de la Fovellière, à Angey, et 40 boisseaux annuels de froment sur le fief de Tourville, de l'Abbaye de la Lucerne. En vertu d'un édit du mois de décembre 1672, elle fut donnée à la Congrégation de Saint-Lazare, et en 1694, elle fut réunie à l'hôpital d'Avranches, conjointement avec celles de Malloué, de Bacilly, de Genêts, et plus tard celle de Moidrey, à charge d'en acquitter les fondations religieuses, et de recevoir les malades pauvres de ces paroisses, en proportion des revenus. A cette maladrerie appartenait la foire Saint-Blaize, qui fut transférée à Avranches. Beaucoup des anciens titres ont disparu. L'abbé Cacquevel, curé de Champeaux et chapelain de Saint-Blaize de 1633 à 1669 les avait confiés sur récépissé à Jacques de La Hache, seigneur de Roumilly, à qui ils ne furent pas réclamés. Mgr César Le Blanc, évêque d'Avranches, par ordonnance du 5 octobre 1744, prononça la réunion définitive des chapelles de Saint-Nicolas, de Malloué et de Saint-Blaize, à l'hôpital d'Avranches, et la commission administrative de cet établissement décida qu'elles fussent démolies, le 17 décembre suivant.

L'église de Champeaux placée sous le patronage de SaintVigor, fut reconstruite au xvre siècle, et un porche latéral y fut ajouté en 1617. Son pittoresque campanier à trois tinterelles triangulaires, ornées de pinacles, de gargouilles et d'armoiries, reste unique dans la contrée. Il reçut deux nouvelles cloches au mois d'octobre 1869. Il est regrettable qu'une sacristie plus moderne ait détruit ou masqué l'élégante fenêtre du chevet.

Le Livre-Noir de l'Abbaye de la Lucerne rapporte que cette église fut donnée à ce monastère au XIe siècle, par Roger de Champeaux, et cette donation fut confirmée par l'évêque d'Avranches et approuvée par le puissant seigneur Guillaume de Saint-Jean, suzerain du fief de Champeaux. Peu après, Etienne de Champeaux la ratifia de nouveau. Deux Bulles d'Urbain III en 1186, et d'Innocent III, en 1213, comprennent cette église parmi les biens de la Lucerne. Les Prémontrés la possédèrent jusqu'à la Révolution, et un de leurs religieux la desservait avec le titre de prieur, sauf des intervalles causés par des provisions obtenues en Cour de Rome par des prêtres séculiers. Le 7 avril 1786, frère Jean-Baptiste-Nicolas Rodon prenait possession du prieuré-cure de Saint-Vigor, en vertu de

nomination par le Révérendissime Père Claude Dutot, 39o abbé de Sainte-Trinité de la Lucerne. D'après le Pouillé du diocèse d'Avranches, ce bénéfice rendait 600 livres en 1648; en 1697, les Mémoires de Foucault le réduisent à 400 livres. Un arrêt de la Chambre Souveraine de Rouen, du 4 juillet 1856, le déchargea de la taxe imposée pour son colombier,

II

Le donjon féodal fut remplacé au xviie siècle par le château actuel. Le plan, trop grandiose, n'a été exécuté qu'en partie. Bâti tout près de l'église et non loin des grèves, entouré de cours, pièce d'eau et jardins, tourné vers midi, où s'étend un vaste domaine en terre claire, c'est une demeure imposante avec ses murs élevés et massifs, percés de hautes et rares fenêtres. Le projet primitif portait un corps de logis flanqué de pavillons. Un seul a été construit avec la moitié du corps principal, plus l'escalier d'honneur, qui devait occuper le centre de l'édifice, tandis qu'il le termine au levant. Au midi, un long perron conduit au vestibule, au fond duquel se déroule un immense escalier de granit, aux larges marches doucement inclinées c'est incomparablement ce qu'il y a de mieux dans cette gentilhommière, dont les salles et les chambres restèrent, pour la plupart, dans la simplicité nue, dont on se contentait en province au XVIIe siècle. Plusieurs générations et même plusieurs familles s'y sont succédé, vivant sur leurs terres et les cultivant, heureuses de cette existence honorable et paisible, qui faisait dire à Rabelais : « O trop heureux ceux qui plantent » des choux! Quand ils ont un pied à terre, l'autre n'en est pas , loin! >>

Les lois successionnelles ne se préoccupent plus de l'origine des biens pour les conserver aux familles d'où ils proviennent, et le tirage au sort déconcerte les plus légitimes aspirations: préjugés démodés, et, comme on dit en Italie, jetés aux vieilles ferrailles.

Le dernier descendant des seigneurs de Champeaux s'éteignit prématurément en 1849. Le partage de sa succession laissa le château et les dépendances à sa mère, qui le rejoignit le 28 juillet 1851, avant l'âge de 48 ans, dans le monument qu'elle lui avait élevé à l'ombre de l'église, et elle n'eût ni le temps, ni la possibilité de réaliser certaines intentions qu'elle avait précédem

ment exprimées. Ses collatéraux, tout en conservant les fermes, mirent en vente ce château d'une famille qui leur était étrangère. Le désir de racheter cette demeure d'une branche de ma parenté me traversa le cœur ; mais je dus le répudier, à cause du manque de dépendances, et surtout devant l'opposition de ma vénérée grand'mère et de ma grand'tante de Lacour, qui craignaient qu'il ne me vînt la pensée de les entraîner au fond de la Lande de Beuvais. Plus tard, elle fut achetée par M. Duchemin, notre collègue, principal du collège de Vire, et il la restaura con amore, dans l'espérance d'y passer ses années de retraite. La mort l'enleva en 1885, avant l'achèvement des travaux. « Aidé d'un habile architecte, dit M. Le Héricher, dans » la revue de l'Avranchin, tome II, page 501, il avait donné à >> cette habitation grandiose des seigneurs de La Hache, habita» tion du xviie siècle, le style du xvie, en y ajoutant de neuf » un avant-corps à jour, qu'on appelle aujourd'hui bow window >> ou un oriel (vieux français d'atriolum). C'était une erreur » archéologique, mais c'est un embellissement, et nous préfé>> rons le beau à l'antique, quand celui-ci n'est pas beau. »> Cette propriété, par malheur, comme je l'ai dit, a le défaut, suivant un mot qui fait image, de coucher dehors, faute des anciennes fermes.

III

La seigneurie de Champeaux est souvent citée dans les chartes locales depuis le xre siècle, et elle a passé successivement dans cinq familles, qui se distinguèrent dans la guerre et par leurs dons aux églises et monastères.

Les recherches sur l'histoire provinciale semblent au premier abord un anachronisme et un contresens à une époque où le long travail des siècles et les révolutions ont détruit les institutions d'un autre âge. Toutefois, en dépit de nos allures fin de siècle, ces études ne sont pas sans attrait pour les hommes curieux de connaître l'enchaînement des choses, et de retrouver dans le présent la trace du passé. Nos académies comptent de tels esprits en assez grand nombre.

Les premiers seigneurs de Champeaux ne portaient pas d'autre nom patronymique. Voici par ordre la liste de ceux dont j'ai retrouvé les traces.

1o Pendant la prélature de l'abbé Ranulphe (1060-85), Ra

nulphe de Champeaux fit donation au Mont Saint-Michel, du consentement de Hugues d'Avranches, comte de Chester, de deux gerbes de la moitié des dîmes auxquelles il avait droit en cette paroisse.

2o Cette donation fut confirmée en 1143 par Gislebert de Champeaux et par son fils Guillaume, encore enfant, dans une charte reçue par Bernard du Bec, 13o abbé du Mont SaintMichel. Ce même Gislebert signa, le 13 avril 1162, la grande charte de fondation de l'Abbaye de La Lucerne, par Guillaume de Saint-Jean, et, en 1166, on trouve sa signature dans le cartulaire de l'Abbaye de Savigny. Théobald et Raoul de Champeaux, probablement ses frères, signèrent également deux chartes de ce monastère en 1150 et 1186; et Jean de Champeaux figura dans une charte de confirmation des dons que Guillaume de Saint-Jean avait faits à l'Abbaye de Montmorel.

« 3o Le Livre Rouge de l'Echiquier, dit l'abbé Desroches, dans » son Histoire du Mont Saint-Michel, tome I, page 357, sous le » règne de Henri II, fait mention de Guillaume de Cham» peaux, qui devait un chevalier pendant onze jours. La lande » de Bevays lui appartenait, et il était probablement de la même >> famille que Bevays-le-Gigantesque, héros de Southampton, en » Angleterre. On trouve encore un autre Robert de Champeaux, » qui devait le service d'un chevalier pendant 40 jours. » M. de Gerville cite les mêmes noms dans des fragments du livre de l'Echiquier.

» 4° 1213, Raoul, chevalier, seigneur de Champeaux, donna » aux Moynes de ce Mont, pour le salut de son âme, la dîme » de Champeaux et de Bréquigny. »>

5° Henri de Champeaux.

(D. HUYNES, annaliste du Mont).

6o Pierre de Champeaux eut un frère nommé Gilbert, qui assista en 1280 aux Assises d'Avranches (1), et trois sœurs, dont la seconde ne se maria pas, et la troisième s'allia aux du Fresne. L'aînée, Anne, s'unit à Messire de Roumilly, seigneur du fief de ce nom, à Champeaux, et eut cinq enfants : 1, Guillaume; 2, Annette, mariée à M. Depty; 3, Jeanne, mariée à M. de Charance; 4 et 5, Julienne et Marguerite, qui épousèrent deux du Mézeray, des seigneurs de Céaux. Pierre de Champeaux eut deux filles, qui entrèrent dans les familles de la Motte (2) et de Bloys, et un fils, qui mourut avant lui.

(1) Assemblées de chevaliers et sages hommes, dont les décisions ne pouvaient être réformées que par les seigneurs hauts-justiciers de l'Echiquier.

(2) ARMES: d'argent au sanglier de sable, allumé et défendu d'or.

« PreviousContinue »