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Imprimerie de l'Avranchin, rue des Fossés, Avranches.

Le 10 novembre 1890, la Société d'Archéologie d'Avranches et de Mortain a eu la douleur de perdre son savant Président, M. Edouard Le Héricher, qui dirigeait ses travaux avec tant d'autorité depuis dix ans.

Pour se conformer à ses dernières volontés, aucun discours n'a été prononcé sur sa tombe.

Mais, sa biographie paraîtra dans ce volume de nos Mémoires. Les élections pour le renouvellement complet du Bureau ont eu lieu le 4 décembre suivant.

A l'ouverture de la première séance de l'année 1891, M. Alfred de Tesson, nommé Président, a prononcé l'allocution suivante :

MESDAMES, MESSIEURS,

Après la lecture du procès-verbal de la dernière séance que vous venez d'entendre, vous voudrez bien considérer que je me trouve dans la singulière et embarrassante situation d'un Président malgré lui.

Je commence donc par réclamer toute votre indulgence pour la manière, certainement très imparfaite, dont je m'acquitterai de mes nouvelles fonctions.

J'ai été profondément touché de la spontanéité et de l'unanimité de vos suffrages, et je vous en remercie cordialement. Mais, ne pouvant prévoir l'honneur qui m'a été fait, honneur auquel je n'ai jamais aspiré, je suis naturellement peu préparé à l'exercer.

Après tant d'aimable confiance de votre part, confiance que je voudrais bien justifier, il m'est pénible de confesser qu'aussitôt après le tour de la carte forcée, le titre que j'ai ambitionné a été celui de Président par intérim.

S'il ne s'est présenté ouvertement aucun candidat au fauteuil vacant de la Présidence, c'est sans doute que l'on a craint, entre l'ancien et le nouveau titulaire, une comparaison désobligeante pour le nouveau. Mon successeur n'aura rien de semblable à redouter. J'espère donc qu'avant peu, un homme de bonne volonté, que j'appelle de tous mes voeux, s'offrira à me remplacer. En attendant, je sais que je compte dans tous les Membres du Bureau de précieux collaborateurs qui m'aideront de leur mieux à maintenir les bonnes et saines traditions de notre chère Société jusqu'à l'arrivée d'un Président définitif.

J'ai été moi-même, durant sept années consécutives, dans les ingrates fonctions de trésorier, qui ne sont pas tout à fait une sinécure, l'auxiliaire dévoué de notre cher et vénéré Président.

Permettez-moi, messieurs, d'appeler encore ainsi M. Le Héricher, car je n'ai pu me faire à l'idée de sa mort si prompte, et la profonde douleur que j'en ai ressentie s'augmente encore du chagrin indicible que j'éprouve d'occuper ici sa place. J'ai d'ailleurs besoin, pour oser parler, d'évoquer son bienveillant et sympathique visage, et de le voir me sourire en me donnant la parole comme aux bons jours d'autrefois. Notre Société est si nombreuse, les recouvrements des cotisations sont parfois si difficiles, les admissions si continues, les démissions, par contre, si fréquentes lorsqu'arrive le quart d'heure de Rabelais, qu'il en résultait, entre le Président et son Trésorier, des rapports de

tous les instants. Mes cordiales et incessantes relations avec M. Le Héricher ont été, je le dis en toute sincérité, avec la vie de famille, le grand charme de ma retraite. Un jour que j'avais manifesté l'intention de me débarrasser du fardeau de la caisse, il me demanda, comme un service personnel, de garder mes fonctions jusqu'à sa mort. Je ne me doutais guère alors qu'elle serait si prochaine, hélas ! Mais, si j'obéis à son désir, ce fut moins peut-être par crainte de lui causer un vif déplaisir, que pour ne point voir diminuer la fréquence de ces relations si agréables, pour ne point perdre le bénéfice de sa conversation si attrayante et si instructive.

Malgré ses connaissances si variées, M. Le Héricher était toujours avide de savoir. Ce qu'il dévorait de livres, de manuscrits, de recueils périodiques, de journaux, est inimaginable. Il s'intéressait à tout, n'était étranger à rien. Que de questions judicieuses ne m'a-t-il point posées sur la marine? Philologue passionné, il me demandait souvent, pour en déterminer l'étymologie, le sens exact de beaucoup de termes du vocabulaire maritime mal définis par les dictionnaires. Mais, ce dont il aimait surtout à s'entretenir, c'était des intérêts de la Société qu'il avait, sinon fondée, du moins transformée en y faisant entrer la plupart de ses anciens élèves. Il n'eut pas de peine à les rallier, car il les avait constamment suivis avec une sollicitude toute paternelle dans les carrières, pourtant si diverses, qu'ils avaient embrassées, et, ceux-ci, de leur côté, ayant gardé le meilleur souvenir de leur ancien maître, furent enchantés de se retrouver en communauté intellectuelle avec lui. Vous savez, d'ailleurs, combien il était heureux d'annoncer leurs succès de tous genres dans sa Revue.

Notre Association est évidemment arrivée à son plus haut

degré de prospérité sous la présidence de M. Le Héricher; mais, ceux qui l'ont aimé, et nous l'aimions tous sincèrement, doivent, par respect pour sa mémoire, s'appliquer à continuer son œuvre. J'ai reçu en ce sens plusieurs lettres de bon augure dont vous trouverez quelques extraits dans la Revue qui va vous être distribuée.

Messieurs, il est à peine besoin de vous dire qu'ancien officier de vaisseau, mon seul véritable titre, je serai, autant que possible, le scrupuleux observateur du règlement. En toutes choses, nous avons besoin d'un guide; le mien sera le livret que vous avez tous entre les mains. Je dis autant que possible, car ce règlement est déjà ancien et quelques-uns de ses articles sont tombés eu désuétude. C'est ainsi que, d'après l'art. 27, nous devrions nous réunir tous les mois. Si M. Le Héricher, avec son zèle infatigable, son activité dévorante, a trouvé qu'une séance par trimestre était largement suffisante, nous ferons bien, assurément, de ne pas essayer de le surpasser et de nous en tenir aussi à cette réunion trimestrielle.

Une commission d'impression a été instituée par les art. 29 et 32. A la vérité, M. Le Héricher ne la consultait guère. Mais, il avait pour lui la double autorité de l'âge et du savoir le plus étendu, devant laquelle tout le monde s'inclinait. Il était donc le maître absolu de nos publications. Le rôle de cette commission, d'à peu près nul qu'il était, doit, au contraire, devenir très actif. C'est à elle qu'il appartiendra de déterminer, d'accord avec le Conseil d'Administration pour la question des frais, quelles sont celles des productions de nos Sociétaires qui doivent être livrées à l'impression. Dans l'embarras du choix, il sera bon de poser en principe que les œuvres d'intérêt local auront toujours la préférence. Personne ne s'avisera de nous reprocher cet amour du clocher, ce culte du pays natal. Ne faut-il pas chérir sa petite Patrie pour mieux aimer la grande ?

Malgré les savants travaux de MM. l'abbé Desroches, Fulgence Girard, Boudent de la Godelinière, Edouard Le Héricher, Hippolyte Sauvage, Eugène et Charles de Beaurepaire, l'abbé Deschamps du Manoir, Charles Le Breton, Siméon Luce, le chanoine Pigeon, etc., etc., il reste certainement encore bien des choses intéressantes à publier sur nos deux magnifiques arrondissements d'Avranches et de Mortain. Nous en avons pour preuve éclatante le superbe volume relatif à l'état ancien de la baie du Mont Saint-Michel que notre éminent confrère, le vicomte de Potiche, fait en ce moment imprimer chez M. Durand. C'eût été un grand honneur pour notre Société que de mettre son estampille sur ce livre qui aurait ainsi paru

sous la couverture de nos Mémoires pour le sixième à peine de sa valeur, l'auteur en supportant, à part cela, tous les frais. Une proposition avait été faite dans ce sens. Ne fut-elle point assez explicite ou fut-elle plutôt mal comprise, je ne saurais le dire exactement, n'ayant point assisté à la séance où elle fut débattue. Ce qui est certain, c'est qu'on laissa alors échapper une occasion unique de rendre notre Société plus célèbre par l'importance et la valeur de ses publications.

MM. les curés, les maires, les châtelains, possèdent dans les archives de leurs presbytères, de leurs mairies, de leurs châteaux, des documents précieux pour l'histoire du passé. Qu'ils veuillent donc bien les dépouiller en notre faveur; nous insérerons avec plaisir les monographies de leurs paroisses, de leurs communes, la description et l'historique de leurs châteaux. Que pourrionsnous faire de mieux, de plus intéressant, dans les limites de nos deux arrondissements? M. Sosthène Mauduit, l'excellent maire de Saint-Martin-des-Champs, n'a-t-il pas donné l'exemple à ses collègues en nous offrant la monographie de sa commune qui a été insérée dans le tome vIII de nos Mémoires? Elle peut servir de modèle.

L'art. 32 ne mentionne que ces Mémoires. La Revue trimestrielle est une création de M. Le Héricher qu'il y a lieu de maintenir, pour rendre compte de nos séances et insérer les lectures; les travaux très sérieux et de longue haleine devant, au contraire, être imprimés dans les Mémoires.

Les art. 30 et 31 parlent de concours annuels dont on a perdu jusqu'au souvenir si tant est qu'ils aient jamais eu lieu (1). Un de nos confrères les plus actifs, M. Paul Bouvattier, vice-secrétaire, a préparé, pour l'exécution de ces articles, un projet qui sera discuté. L'auteur s'est appliqué à faire disparaître les inconvénients que ces concours peuvent présenter.

Messieurs, tout à l'heure, il vous sera soumis des propositions au sujet de l'effigie de M. Le Héricher et de la place d'honneur qu'elle doit occuper dans la salle de nos séances, dont il fut l'âme. Vous trouverez sans doute que son nom doit être aussi inscrit en lettres d'or dans nos Mémoires et dans la Revue de l'Avranchin qu'il a créée. Prévenant votre désir, et, pour que ce nom aimé continue, en dépit de la cruelle mort, à rester vivant parmi nous, j'ai fait porter, par honneur, en tête de la liste des membres titulaires de la Société :

(1) Il n'y en a jamais eu qu'un seul en 1841-42.

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