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temps procureur-syndic de la commune de Varennes. Là on fait descendre le roi et la famille pour examiner les passe-ports et constater la réalité des soupçons du peuple. Au même moment les affidés de Drouet se répandent en poussant des cris par toute la ville, frappent aux portes, montent au clocher, sonnent le tocsin. Les habitants, effrayés, s'éveillent; les gardes nationaux de la ville et des campagnes voisines arrivent, un à un, à la porte de M. Sausse; d'autres se portent au quartier du détachement pour séduire les troupes ou pour les désarmer. En vain le roi commence par nier sa qualité: ses traits, ceux de la reine le trahissent; il se nomme alors au maire et aux officiers municipaux; il prend les mains de M. Sausse. « Oui, je suis votre roi, dit-il, et je confie mon sort et celui de ma femme, de ma sœur, de mes enfants à votre fidélité! Nos vies, le sort de l'empire, la paix du royaume, le salut même de la constitution sont entre vos mains! Laissez-moi partir; je ne fuis pas vers l'étranger, je ne sors pas du royaume, je vais au milieu d'une partie de mon armée et dans une ville française recouvrer ma liberté réelle, que les factieux ne me laissent pas à Paris, et traiter de là avec l'Assemblée, dominée, comme moi, par la terreur de la populace. Je ne vais pas détruire, je vais abriter et garantir la constitution; si vous me retenez, c'en est fait d'elle, de moi, de la France peutêtre! Je vous conjure comme homme, comme mari, comme père, comme citoyen! Ouvrez-nous la route! dans une heure nous sommes sauvés! la France est sauvée avec nous ! Et si vous gardez dans le cœur cette fidélité que vous professez dans vos paroles pour celui qui fut votre maître, je vous ordonne comme roi! »

XV.

Ces hommes, attendris, respectueux dans leur violence, hésitent et semblent vaincus; on voit, à leur physionomie, à leurs larmes, qu'ils sont combattus entre

leur pitié naturelle pour un si soudain renversement du sort et leur conscience de patriotes. Le spectacle de leur roi suppliant, qui presse leurs mains dans les siennes, de cette reine tour à tour majestueuse et agenouillée, qui s'efforce, ou par le désespoir ou par la prière, d'arracher de leur bouche le consentement au départ, les bouleverse. Ils céderaient s'ils n'écoutaient que leur ame: mais ils commencent à craindre pour eux-mêmes la responsabilité de leur indulgence. Le peuple leur demandera compte de son roi, la nation de son chef. L'égoïsme les endurcit. La femme de M. Sausse, que son mari consulte souvent du regard, et dans le cœur de laquelle la reine espère trouver plus d'accès, reste elle-même la plus insensible. Pendant que le roi harangue les officiers municipaux, la princesse éplorée, ses enfants sur ses genoux, assise dans la boutique entre deux ballots de marchandises, montre ses enfants à madame Sausse: « Vous êtes mère, madame, lui dit la reine, vous êtes femme! le sort d'une femme et d'une mère est entre vos mains! Songez à ce que je dois éprouver pour ces enfants, pour mon mari! D'un mot je vous le devrai! la reine de France vous devra plus que son royaume, plus que la vie! Madame, répond sèchement la femme de l'épicier avec ce bon sens trivial des cœurs où le calcul éteint la générosité, je voudrais vous être utile. Vous pensez au roi, moi je pense à M. Sausse. Une femme doit penser pour son mari. »

Tout espoir est détruit, puisqu'il n'y a plus de pitié dans le cœur même des femmes. La reine, indignée et furieuse, se retire, avec madame Élisabeth et les enfants, dans deux petites chambres hautes de la maison de madame Sausse; elle fond en larmes. Le roi, entouré en bas d'officiers municipaux et de gardes nationaux, a renoncé aussi à les flechir; il monte et redescend sans cesse l'escalier de bois de la misérable échoppe; il va de la reine à sa sœur, de sa sœur à ses enfants. Ce qu'il n'a pu obtenir de la commisération, il l'espère du temps et de

LAMARTINE. I.

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la force. Il ne croit pas que ces hommes, qui lui témoignent encore de la sensibilité et une sorte de culte, persistent réellement à le retenir et à attendre les ordres de l'Assemblée. Dans tous les cas, il est convaincu qu'il sera délivré, avant le retour des courriers envoyés à Paris, par les forces de M. de Bouillé, dont il se sait entouré à l'insu du peuple; il s'étonne seulement que le secours soit si lent à paraitre. Les heures cependant sonnaient, la nuit s'écoulait, et le secours n'arrivait pas.

XVI.

L'officier détaché qui commandait l'escadron de hussards posté à Varennes par M. de Bouillé, n'était pas dans la confidence entière du complot. On lui avait dit seulement qu'un trésor devait passer et qu'il aurait à l'escorter. Aucun courrier ne précédait la voiture du roi, aucun cavalier n'était venu de Sainte-Menehould le prévenir de rassembler sa troupe; MM. de Choiseul et de Guoguelas, qui devaient se trouver à Varennes avant l'arrivée du roi et communiquer à cet officier les derniers ordres secrets de sa mission, n'y étaient pas. L'officier était livré à lui-même et à ses propres incertitudes. Deux autres officiers, sans troupes, mis par M. de Bouillé dans la confidence complète du voyage, avaient été envoyés par ce général à Varennes; mais ils étaient restés dans la ville basse et dans la même auberge où les chevaux de M. de Choiseul, destinés aux voitures du roi, étaient logés; ils ignoraient ce qui se passait dans l'autre partie de la ville; ils attendaient, conformément à leurs ordres, l'apparition de M. de Guoguelas; ils ne sont réveillés que par le bruit du tocsin.

M. de Choiseul et M. de Guoguelas avec le comte Charles de Damas et ses trois dragons fidèles galopaient cependant vers Varennes, échappés avec peine de l'insurrection de l'escadron de Clermont; arrivés aux portes de la ville, trois quarts d'heure après l'arrestation du

roi, la garde nationale les reconnait, les arrête, fait mettre pied à terre à leur faible détachement avant de leur permettre l'entrée. Ils demandent à parler au roi. On le permet. Le roi leur défend de tenter la violence. Il attend, de minute en minute, les forces supérieures de M. de Bouillé. M. de Guoguelas néanmoins sort de la maison, il voit les hussards mêlés à la foule, qui couvre la place, il veut faire l'épreuve de leur fidélité. « Hussards! leur crie-t-il imprudemment, êtes-vous pour la nation ou pour le roi? Vive la nation! répondent les soldats; nous tenons et nous tiendrons toujours pour elle. » Le peuple applaudit. Un sergent de la garde nationale prend le commandement des hussards. Leur commandant s'échappe. Il va se réunir, dans la ville basse, aux deux officiers placés près des chevaux de M. de Choiseul, et tous les trois sortent de la ville et vont prévenir à Dun leur général.

On avait tiré sur ces deux officiers quand, informés de l'arrestation des voitures, ils avaient tenté de se rendre près du roi. La nuit entière s'était accomplie dans ces différentes vicissitudes. Déjà les gardes nationales des villages voisins arrivaient en armes à Varennes; on y élevait des barrières entre la ville haute et la ville basse, et des courriers expédiés par la municipalité allaient avertir les municipalités de Metz et de Verdun d'envoyer en toute hâte à Varennes des troupes, du canon, pour prévenir l'enlèvement du roi par les forces de M. de Bouillé, qui s'approchait.

Le roi cependant, la reine, madame Élisabeth et les enfants reposaient, quelques moments, tout habillés, dans les chambres de la maison de M. Sausse, au murmure menaçant des pas et des voix du peuple inquiet, qui chaque minute grossissait sous leurs fenêtres. Tel était l'état des choses à Varennes à sept heures du matin. La reine ne dormit pas. Toutes ses passions, de femme, de mère, de reine, la colère, la terreur, le désespoir, se livrèrent un tel assaut dans son ame, que ses cheveux, blonds la veille, furent blancs le lendemain.

XVII.

A Paris, un mystère profond avait couvert le départ du roi. M. de la Fayette, qui était venu deux fois aux Tuileries s'assurer, par ses propres yeux de l'exécution sévère de ses consignes, en était sorti la dernière fois, à minuit, bien convaincu que ces murs gardaient fidèlement le gage du peuple. Ce n'est qu'à sept heures du matin du 21 juin, que les personnes de la domesticité du château, entrant chez le roi et chez la reine, trouvèrent les lits intacts, les appartements vides, et semèrent l'étonnement et la terreur parmi la garde du palais. La famille fugitive avait ainsi dix ou douze heures d'avance sur ceux qui tenteraient de la poursuivre; supposé qu'on devinât la route et qu'on l'atteignît, on ne l'atteindrait que par des courriers. Les gardes du corps qui accompagnaient le roi arrêteraient aisément ces courriers eux-mêmes. Enfin, on ne tenterait de s'opposer de vive lutte à la fuite que dans les villes où elle serait protégée déjà par les détachements apostés de M. de Bouillé.

Cependant Paris s'éveillait. La rumeur sortie du château se répandait dans les quartiers adjacents, et de proche en proche, jusque dans les faubourgs. On s'abordait avec ces mots sinistres: Le roi est parti! On se refusait à le croire. On se portait en foule au château pour s'en assurer, on interrogeait les gardes, on invectivait les traîtres, on croyait marcher sur un complot prêt à éclater. Le nom de M. de la Fayette courait avec des imprécations sur toutes les lèvres: «Est-il stupide? est-il complice? Comment l'évasion de tant de personnes royales, à travers tant de détours, de guichets, de sentinelles, a-t-elle pu s'accomplir sans connivence? » On forçait les portes pour visiter les appartements. Le peuple en parcourait tous les secrets. Partagé entre la stupeur et l'insulte, il se vengeait sur les objets inanimés, du long respect qu'il avait porté à ces demeures. Il passait de la terreur à la risée. On décrochait

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