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II.

Ces déclamations n'étaient pas toutes sans fondement. Le roi, honnête et bon, ne conspirait pas contre son peuple: la reine ne songeait pas à vendre à la maison d'Autriche la couronne de son mari et de son fils. Si la constitution, qui s'achevait, eût pu donner l'ordre au pays et la sécurité au trône, aucun sacrifice de pouvoir n'eût coûté à Louis XVI. Jamais prince ne trouva mieux, dans son caractère, les conditions de sa modération; la résignation passive, qui est le rôle des souverains constitutionnels, était sa vertu. Il n'aspirait ni à reconquérir ni à se venger. Tout ce qu'il désirait, c'était que sa sincérité fût appréciée enfin par son peuple, que l'ordre se rétablit au dedans, que la paix se maintînt au dehors, et que l'Assemblée, revenant sur les empiétements qu'elle avait accomplis contre le pouvoir exécutif, revisât la constitution, en reconnût les vices et restituât à la royauté le pouvoir indispensable pour faire le bien du royaume.

La reine elle-même, bien que d'une ame plus forte et plus absolue, était vaincue par la nécessité et s'associait aux intentions du roi; mais le roi, qui n'avait pas deux volontés, avait cependant deux ministères et deux politiques, une en France avec ses ministres constitutionnels, une au dehors avec ses frères et avec ses agents auprès des puissances. Le baron de Breteuil et M. de Calonne, rivaux d'intrigue, parlaient et traitaient en son nom. Le roi les désavouait, quelquefois sincèrement, quelquefois sans sincérité, dans ses lettres officielles aux ambassadeurs: ce n'était pas hypocrisie, c'était faiblesse: un roi captif paraissait exeusable de parler tout haut à ses geôliers et tout bas à ses amis. Ces deux langages, ne concordant pas toujours, donnaient à Louis XVI l'apparence de la déloyauté et de la trahison. Il ne trahissait pas, il hésitait.

Ses frères, et principalement le comte d'Artois, faisaient du dehors violence à ses volontés et interprétaient arbitrairement son silence. Ce jeune prince allait, de cour en cour, solliciter au nom de son frère la coalition des puissances monarchiques contre une doctrine qui menaçait déjà tous les trônes. Accueilli à Florence par l'empereur d'Autriche, Léopold, frère de la reine, il en avait obtenu quelques jours après, à Mantoue, la promesse d'un contingent de trentecinq mille hommes. Le roi de Prusse, l'Espagne, le roi de Sardaigne, Naples et la Suisse garantissaient des forces proportionnées. Louis XVI tantôt saisissait cette espérance d'une intervention européenne comme un moyen d'intimider l'Assemblée et de la ramener à une conciliation avec lui, tantôt il la repoussait comme un crime. L'état de son esprit, à cet égard, dépendait de l'état du royaume; son ame suivait le flux et le reflux des événements intérieurs. Un bon décret, une réconciliation cordiale avec l'Assemblée, un applaudissement du peuple venaient-ils consoler sa tristesse? il se reprenait à l'espérance et écrivait à ses agents de dissoudre les rassemblements hostiles de Coblentz. Une émeute nouvelle assiégeait-elle le palais, l'Assemblée avilissaitelle la dignité royale par quelque abaissement ou par quelque outrage? il recommençait à désespérer de la constitution et à se prémunir contre elle. L'incohérence de ses pensées était plutôt le crime de sa situation que le sien; mais elle compromettait sa cause à la fois dedans et dehors. Toute pensée qui n'est pas une se détruit ellemême. La pensée du roi, quoique droite au fond, était trop vacillante pour ne pas varier avec les événements; or les événements n'avaient qu'une direction: la destruction de la monarchie.

III.

Cependant, au milieu de ces tergiversations de la volonté royale, il est impossible à l'histoire de méconnaître

que, dès le mois de novembre 1790, le roi méditait vaguement le plan d'une évasion de Paris, combiné avec l'empereur. Louis XVI avait obtenu de ce prince la promesse de faire marcher un corps de troupes sur la frontière de France, au moment qu'il lui indiquerait; mais le roi avait-il l'intention de sortir du royaume et d'y rentrer à la tête de forces étrangères, ou simplement de rassembler autour de sa personne une partie de sa propre armée dans une place frontière et de traiter de là avec l'Assemblée? La dernière hypothèse est la plus vraisemblable.

Louis XVI avait beaucoup lu l'histoire et surtout l'histoire d'Angleterre. Comme tous les malheureux, il cherchait dans les infortunes des princes détrônés des analogies avec sa propre infortune. Le portrait de Charles Ier par Vandyck était sans cesse devant ses yeux, dans son cabinet aux Tuileries, son histoire souvent ouverte sur la table. Il avait été frappé de ces deux circonstances: que Jacques II avait perdu sa couronne pour avoir quitté son royaume, et que Charles Ier avait été décapité pour avoir fait la guerre à son parlement et à son peuple. Ces réflexions lui avaient inspiré une répugnance instinctive contre l'idée de sortir de France ou de se jeter dans les bras de l'armée. Il fallait, pour qu'il se déeidât à l'un ou à l'autre de ces deux partis extrêmes, que sa liberté d'esprit fût complètement opprimée par l'imminence des périls présents, et que la terreur, qui assiégeait jour et nuit le château des Tuileries, fût entrée jusque dans l'ame du roi et de la reine.

Les menaces atroces qui les assaillaient dès qu'ils se montraient aux fenêtres de leur demeure, les outrages des journalistes, les vociférations des jacobins, les émeutes et les assassinats qui se multipliaient dans la capitale et dans les provinces, les obstacles violents qu'on avait mis à leur départ pour Saint-Cloud, le souvenir enfin des poignards qui avaient percé le lit même de la reine aux 8 et 6 octobre, tout faisait de leur vie une transe conti

nuelle. Ils commençaient à comprendre que la Révolution, insatiable, s'irritait par les concessions mêmes qu'ils lui avaient faites; que l'aveugle fureur des factions, qui ne s'était pas arrêtée devant la majesté royale, entourée de ses gardes, ne s'arrêterait pas devant l'inviolabilité illusoire décrétée par une constitution; et que leur vie, celle de leurs enfants et de ce qui restait de la famille royale n'avaient plus de sûreté à trouver que dans la fuite.

La fuite fut résolue; souvent elle avait été débattue avant l'époque où le roi s'y décida. Mirabeau lui-même, acheté par la cour, l'avait proposée dans ses mystérieuses entrevues avec la reine. Un de ses plans présentés au roi consistait à s'évader de Paris, à se réfugier au milieu d'un camp ou dans une ville frontière, et à traiter de là avec l'Assemblée, intimidée. Mirabeau, resté à Paris et ressaisissant l'esprit public, aurait amené, disaitil, les choses à un accommodement et à une restauration volontaire de l'autorité royale. Mirabeau avait emporté ses espérances dans la tombe. Le roi même, dans sa correspondance secrète, témoigne de sa répugnance à remettre son sort entre les mains du premier et du plus puissant des factieux. Une autre inquiétude agitait l'esprit du roi et troublait plus profondément le cœur de la reine; ils n'ignoraient pas qu'il était question au dehors, soit à Coblentz, soit dans les conseils de Léopold et du roi de Prusse, de déclarer le trône de France vacant de fait par le défaut de liberté du roi, et de nommer régent du royaume un des princes émigrés, afin d'appeler à lui avec une apparence de légalité tous ses sujets fidèles, et de donner aux troupes étrangères un droit d'intervention incontesté. Un trône, même en débris, ne veut pas être partagé.

Une jalousie inquiète veillait encore, au milieu de tant d'autres terreurs, dans ce palais, où la sédition avait déjà ouvert tant de brêches. « M. le comte d'Artois sera donc un héros, " disait ironiquement la reine, qui avait beau

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coup aimé ce jeune prince et qui le haïssait aujourd'hui. Le roi de son côté, craignait cette déchéance morale dont on le menaçait sous prétexte de délivrer la monarchie. De ses amis ou de ses ennemis, il ne savait lesquels craindre davantage. La fuite seule, au milieu d'une armée fidèle, pouvait le soustraire aux autres; mais la fuite elle-même était un péril. Si elle réussissait, la guerre civile pouvait en sortir, et le roi avait horreur du sang versé pour sa cause; si elle ne réussissait pas, elle lui serait imputée à crime, et qui pourrait dire où s'arrêterait la fureur de la nation? La déchéance, la captivité et la mort pouvaient être la conséquence du moindre accident ou de la moindre indiscrétion. Il allait suspendre à un fil fragile son trône, sa liberté, sa vie, et les vies mille fois plus chères, pour lui, de sa femme et de ses deux enfants, et de sa sœur.

Ses angoisses furent longues et terribles, elles durèrent huit mois; elles n'eurent pour confidentes que la reine, madame Élisabeth, quelques serviteurs fidèles dans l'enceinte du palais, et au dehors le marquis de Bouillé.

IV.

Le marquis de Bouillé, cousin de M. de la Fayette, était le caractère le plus opposé à celui du héros de Paris. Guerrier mâle et sévère, attaché à la monarchie par principe, au roi par dévouement religieux, le respect pour les ordres de ce prince l'avait empêché d'émigrer; il était du petit nombre des officiers généraux aimés des troupes qui étaient restés à leur poste, au milieu des orages de ces deux années, et qui, sans prendre parti pour ou contre les innovations, avaient tenté de conserver à leur pays la dernière force qui survive à toutes les autres et qui quelquefois les supplée seule: la discipline de l'armée. Il avait servi avec beaucoup d'éclat en Amérique, dans nos colonies, dans les Indes; l'autorité de son caractère et de son nom sur les soldats n'était pas brisée. La ré

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