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d'ordre que de la municipalité. La municipalité lui avait donné pour chef le marquis de la Fayette; elle ne pouvait pas mieux choisir; le peuple honnête, dirigé par son instinct, ne pouvait mettre la main sur un homme qui le représentât plus fidèlement.

XXII.

Le marquis de la Fayette était patricien, possesseur d'une immense fortune, et allié, par sa femme, fille du duc d'Ayen, aux plus grandes familles de cour. Né à Chavagnac en Auvergne, le 6 septembre 1787, marié à seize ans, un précoce instinct de renommée l'avait poussé, en 1777, hors de sa patrie. C'était l'époque de la guerre de l'indépendance d'Amérique; le nom de Washington retentissait sur les deux continents. Un enfant rêva la même destinée pour lui dans les délices de la cour amollie de Louis XV; cet enfant, c'était la Fayette. Il arma secrètement deux navires, les chargea d'armes et de munitions pour les insurgents, et arriva à Boston. Washington l'accueillit comme il eût accueilli un secours avoué de la France. C'était la France, moins son drapeau. La Fayette et les jeunes officiers qui le suivirent constataient les vœux secrets d'un grand peuple pour l'indépendance d'un nouveau monde. Le général américain employa M. de la Fayette dans cette longue guerre, dont les moindres combats prenaient, en traversant les mers, l'importance de grandes batailles. La guerre d'Amérique, plus remarquable par les résultats que par les campagnes, était plus propre à former des républicains, que des guerriers. M. de la Fayette la fit avec héroïsme et dévouement. Il conquit l'amitié de Washington. Un nom français fut écrit par lui sur l'acte de naissance d'une nation transatlantique. Ce nom revint en France comme un écho de liberté et de gloire. La popularité, qui s'attache à tout ce qui brille, s'en empara au retour de la Fayette dans sa patrie; elle enivra le jeune héros. L'opinion l'adopta, l'Opéra l'applaudit, les actrices

le couronnèrent. La reine lui sourit, le roi le fit général, Franklin le fit citoyen, l'enthousiasme national en fit son idole. Cet enivrement de la faveur publique décida de sa vie; la Fayette trouva cette popularité si douce, qu'il ne voulut plus consentir à la perdre. Les applaudissements ne sont pas de la gloire. Plus tard il mérita celle dont il était digne. Il donnait à la démocratie son caractère, l'honnêteté.

Le 14 juillet, M. de la Fayette se trouva tout prêt pour ètre élevé sur le pavois de la bourgeoisie de Paris. Frondeur de la cour, révolutionnaire de bonne maison, aristocrate par la naissance, démocrate par principes, rayonnant d'une renommée militaire acquise au loin, il réunissait beaucoup de conditions pour rallier à lui une milice civique et devenir, dans les revues au Champ-deMars, le chef naturel d'une armée de citoyens. Sa gloire d'Amérique rejaillissait à Paris. La distance grandit tout prestige. Le sien était immense. Ce nom résumait et éclipsait tout. Necker, Mirabeau, le duc d'Orléans, ces trois popularités vigoureuses, pâlirent. La Fayette fut le nom de la nation pendant trois ans. Arbitre suprême, il portait à l'Assemblée son autorité de commandant de la garde nationale; il rapportait à la garde nationale son autorité de membre influent de l'Assemblée. De ces deux titres réunis il se faisait une véritable dictature de l'opinion. Comme orateur il comptait peu; sa parole molle, quoique spirituelle et fine, n'avait rien de ce coup ferme et électrique qui frappe l'esprit, vibre au cœur et communique son contre-coup aux hommes rassemblés. Élégante comme une parole de salon, et embarrassée dans les circonlocutions d'une intelligence diplomatique, il parlait de liberté dans une langue de cour. Le seul acte parlementaire de M. de la Fayette fut la proclamation des droits de l'homme, qu'il fit adopter par l'Assemblée nationale. Ce décalogue de l'homme libre, retrouvé dans les forêts d'Amérique, contenait plus de phrases métaphysiques, que de vraie politique. Il s'appliquait

aussi mal à une vieille société, que la nudité du sauvage aux besoins compliqués de l'homme civilisé. Mais il avait le mérite de mettre un moment l'homme à nu, et en lui montrant ce qui était lui et ce qui n'était pas lui, de rechercher, dans le préjugé, l'idéal vrai de ses devoirs et de ses droits. C'était le cri de révolte de la nature contre toutes les tyrannies. Ce cri devait faire écrouler un vieux monde, usé de servitude, et en faire palpiter un nouveau. L'honneur de la Fayette fut de l'avoir proféré.

La fédération de 1790 fut l'apogée de M. de la Fayette; il effaça, ce jour-là, le roi et l'Assemblée. La nation armée et pensante était là en personne, et il la commandait; il pouvait tout, il ne tenta rien. Le malheur de cet homme était celui de sa situation. Homme de transition, sa vie passa entre deux idées; s'il en eût eu une seule, il eût été maître des destinées de son pays. La monarchie ou la république étaient également dans sa main, il n'avait qu'à l'ouvrir tout entière; il ne l'ouvrit qu'à moitié, et il n'en sortit qu'une demi-liberté. En passionnant son pays pour la république, il défendait une constitution monarchique et un trône. Ses principes et ses actes étaient en apparente contradiction; il était droit et il pa raissait trahir. Pendant qu'il combattait à regret par devoir pour la monarchie, il avait son cœur dans la république. Protecteur du trône, il en était en même temps l'effroi. Il ne faut qu'une cause à une vie. La monarchie et la république gardent à sa mémoire la même estime et les mêmes ressentiments; il les a servies et desservies toutes les deux. Il est mort sans avoir vu triompher une des deux causes; mais il est mort vertueux et populaire. Il eut, outre ses vertus privées, une vertu publique qui lui vaudra le pardon de ses fautes et l'immortalité de son nom; il eut avant tous, plus que tous et après tous, le sentiment, la constance et la modération de la Révolution.

Tel était l'homme et telle était l'armée sur lesquels reposaient le pouvoir exécutif, la sécurité de Paris, le trône constitutionnel et la vie du roi.

XXIII.

Ainsi se dessinaient le 1er juin 1791, les partis, les hommes et les choses au milieu desquels s'avançait, par une impulsion occulte et continue, l'esprit irrésistible d'une grande rénovation sociale. Que pouvait-il sortir alors de tels éléments, si ce n'est la lutte, l'anarchie, le crime et la mort? Aucun parti n'avait la raison, aucun esprit n'avait le génie, aucune ame n'avait la vertu, aucun bras n'avait l'énergie de dominer ce chaos et d'en faire sortir la justice, la vérité et la force. Les choses ne produisent que ce qui est en elles. Louis XVI était probe et dévoué au bien, mais il n'avait pas compris, dès les premières impulsions de la Révolution, qu'il n'y a qu'un rôle pour le chef d'un peuple: c'est de se mettre à la tête de l'idée nouvelle, de livrer le combat au passé, et de cumuler ainsi dans sa personne la double puissance de chef de la nation et de chef de parti. Le rôle de la modération n'est possible qu'à la condition d'avoir la confiance entière du parti qu'on veut modérer. Henri IV avait pris ce rôle, mais c'était après la victoire; s'il l'eût tenté avant Ivry, il aurait perdu non-seulement le royaume de France, mais celui de Navarre.

La cour était vénale, égoïste et corrompue; elle ne défendait dans le roi que la source des vanités et des exactions à son profit. Le clergé, avec des vertus chrétiennes, n'avait aucune vertu publique. État dans l'État, sa vie était à part de la vie de la nation; son établissement ecclésiastique lui semblait indépendant de l'établissement monarchique. Il ne s'était rallié à la monarchie menacée que du jour où il avait vu sa fortune compromise; alors il avait fait appel à la foi des peuples pour préserver ses richesses; mais le peuple ne voyait plus dans les moines que des mendiants, dans les évêques que des exacteurs. La noblesse, amollie par une longue paix, émigrait en masse, abandonnant le roi à ses périls, et croyant à

une intervention prompte et décisive des puissances étrangères. Le tiers-état, jaloux et envieux, demandait violemment sa place et ses droits aux castes privilégiées; sa justice ressemblait à la haine. L'Assemblée résumait en elle toutes ces faiblesses, tous ces égoïsmes, tous ces vices: Mirabeau était vénal, Barnave était jaloux, Robespierre fanatique, le club des Jacobins cruel, la garde nationale égoïste, la Fayette flottant, le gouvernement nul. Personne ne voulait la Révolution que pour soi et à sa mesure; elle aurait dû échouer cent fois sur tous ces écueils, s'il n'y avait, dans les crises humaines, quelque chose de plus fort que les hommes qui paraissent les diriger: la volonté de l'événement lui-même.

La Révolution tout entière n'était comprise alors par personne, excepté, peut-être, par Robespierre et par les démocrates purs. Le roi n'y voyait qu'une grande réforme, le duc d'Orléans qu'une grande faction, Mirabeau que le côté politique, la Fayette que le côté constitutionnel, les Jacobins qu'une vengeance, le peuple que l'abaissement des grands, la nation que son patriotisme. Nul n'osait voir encore le but final.

Tout était donc aveugle alors, excepté la Révolution elle-même. La vertu de la Révolution était dans l'idée qui forçait ces hommes à l'accomplir, et non dans ceux qui l'accomplissaient; tous ses instruments étaient viciés, corrompus ou personnels; mais l'idée était pure, incorruptible et divine. Les vices, les colères, les égoïsmes des hommes devaient produire inévitablement dans la crise ces chocs, ces violences, ces perversités et ces crimes qui sont aux passions humaines ce que les conséquences sont aux principes.

Si chacun des partis ou des hommes mêlés dès le premier jour à ces grands événements eût pris leur vertu au lieu de leur passion pour règle de leurs actes, tous ces désastres, qui les écrasèrent, eussent été sauvés à eux et à leur patrie. Si le roi eût été ferme et intelligent, si le clergé eut été désintéressé des choses temporelles, si

LAMARTINE. 1.

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