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AVERTISSEMENT.

Nous n'avons point fait précéder ce récit par un préambule sur les précédentes époques de la Révolution, parce que nous nous proposons d'écrire l'histoire des Constituants. Cette histoire sera ainsi le préambule de celle des Girondins.

Nous n'avons pas reproduit avec la minutieuse servilité d'un annaliste les innombrables détails parlementaires ou militaires de tous les événements de ces quarante mois. Deux ou trois fois, nous avons, pour grouper les choses et les hommes par masses, interverti des dates très-rapprochées et sans importance.

Nous avons écrit après une scrupuleuse investigation des faits et des caractères. Nous ne demandons pas foi sur parole. Bien que nous n'ayons pas embarrassé le récit de notes, de citations et de pièces justificatives, il n'y a pas de nos assertions qui ne soit autorisée soit par des mémoires authentiques, soit par des mémoires inédits, soit par des correspondances autographes, que les familles des principaux personnages ont bien voulu nous confier, soit par des ren

LAMARTINE. I.

seignements oraux et véridiques, recueillis de la bouche des derniers survivants de cette grande époque.

Si quelques erreurs de fait ou d'appréciation nous ont néanmoins échappé, nous serons prêt à les reconnaître et à les réparer dans les éditions suivantes sur les preuves qu'on voudrait, bien nous communiquer. Nous ne répondrons pas une à une aux négations ou aux contradictions que ce livre pourrait susciter. Ce serait un fastidieux commerce de lettres et de répliques dans les Journaux. Mais nous prendrons note de toutes ces observations, et nous y répondrons en masse par nos preuves et par nos textes, après un certain laps de temps. Nous ne cherchons que la vérité, et nous rougirions de faire de l'histoire la calomnie des morts.

Quant au titre de ce livre, nous ne l'avons pris qu'à défaut d'autre mot, pour désigner un récit. Ce livre n'a pas les prétentions de l'histoire, il ne doit pas en affecter la solennité. C'est une œuvre intermédiaire entre l'histoire et les mémoires. Les événements y tiennent moins de place que les hommes et les idées. Les détails intimes y abondent. Les détails sont la physionomie des caractères; c'est par eux qu'ils se gravent dans l'imagination.

De grands écrivains ont déjà écrit les fastes de cette époque mémorable. D'autres les écriront bientôt. On nous ferait injustice en nous comparant à eux. Ils ont fait ou ils feront l'histoire d'un siècle; nous n'avons fait qu'une Etude sur un groupe d'hommes et sur quelques mois de la Révolution.

Paris, 1er mars 1847.

LIVRE PREMIER.

I.

J'entreprends d'écrire l'histoire d'un petit nombre d'hommes qui, jetés par la Providence au centre du plus grand drame des temps modernes, résument en eux les idées, les passions, les fautes, les vertus d'une époque, et dont la vie et la politique, formant, pour ainsi dire, le nœud de la Révolution française, sont tranchées du même coup que les destinées de leur pays.

Cette histoire, pleine de sang et de larmes, est pleine aussi d'enseignement pour les peuples. Jamais peut-être autant de tragiques événements ne furent pressés dans un espace de temps aussi court; jamais non plus cette corrélation mystérieuse qui existe entre les actes et leurs conséquences ne se déroula avec plus de rapidité. Jamais les faiblesses n'engendrèrent plus vite les fautes, les fautes les crimes, les crimes le châtiment. Cette justice rémunératoire que Dieu a placée dans nos actes mêmes comme une conscience plus sainte que la fatalité des anciens, ne se manifesta jamais avec plus d'évidence;

jamais la loi morale ne se rendit à elle même un plus éclatant témoignage et ne se vengea plus impitoyablement. En sorte que le simple récit de ces deux années est le plus lumineux commentaire de toute une grande révolution, et que le sang répandu à flots n'y crie pas seulement terreur et pitié, mais leçon et exemple aux hommes. C'est dans cet esprit que je veux les raconter.

L'impartialité de l'histoire n'est pas celle du miroir, qui reflète seulement les objets, c'est celle du juge, qui voit, qui écoute, et qui prononce. Des annales ne sont pas de l'histoire: pour qu'elle mérite ce nom, il lui faut une conscience; car elle devient plus tard celle du genre humain. Le récit, vivifié par l'imagination, réfléchi et jugé par la sagesse, voilà l'histoire telle que les anciens l'entendaient et telle que je voudrais moi-même, si Dieu daignait guider ma plume, en laisser un fragment à mon pays.

II.

Mirabeau venait de mourir. L'instinct du peuple le portait à se presser en foule autour de la maison de son tribun, comme pour demander encore des inspirations à son cercueil: mais Mirabeau vivant lui-même n'en aurait plus eu à donner. Son génie avait pâli devant celui de la Révolution; entraîné à un précipice inévitable par le char même qu'il avait lancé, il se cramponnait en vain à la tribune. Les derniers mémoires qu'il adressait au roi, et que l'armoire de fer nous a livrés avec le secret de sa vénalité, témoignent de l'affaissement et du découragement de son intelligence. Ses conseils sont versatiles, incohérents, presque puérils. Tantôt il arrêtera la Révolution avec un grain de sable. Tantôt il place le salut de la monarchie dans une proclamation de la couronne et dans une cérémonie royale propre à populariser le roi. Tantôt il veut acheter les applaudissements des tribunes et croit que la nation lui sera vendue avec eux. La petitesse des moyens de salut contraste avec l'immen

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