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dignité royale, repentir, faiblesse, terreur et fuite, tout était conçu, tenté, préparé, arrêté, abandonné le même jour. Les femmes, si sublimes dans le dévouement, sont rarement capables de l'esprit de suite et d'imperturbabilité nécessaire à un plan politique. Leur politique est dans le cœur; leur passion est trop près de leur raison. De toutes les vertus du trône, elles n'ont que le courage; elles sont souvent des héros, rarement des hommes d'État. La reine en fut un exemple de plus. Elle fit bien du mal au roi; douée de plus d'esprit, de plus d'ame, de plus de caractère que lui, sa supériorité ne servait qu'à lui inspirer confiance dans de funestes conseils. Elle fut à la fois le charme de ses malheurs et le génie de sa perte; elle le conduisit pas à pas jusqu'à l'échafaud, mais elle y monta avec lui.

XV.

Le côté droit, dans l'Assemblée nationale, se composait des ennemis naturels du mouvement: la noblesse et le haut clergé. Tous cependant ne l'étaient pas au même degré ni au même titre. Les séditions naissent en bas, les révolutions naissent en haut; les séditions ne sont que les colères du peuple, les révolutions sont les idées d'une époque. Les idées commencent dans la tête de la nation. La révolution française était une pensée généreuse de l'aristocratie. Cette pensée était tombée entre les mains du peuple, qui s'en était fait une arme contre la noblesse, contre le trône et contre la religion. Philosophie dans les salons, elle était devenue révolte dans les rues. Cependant toutes les grandes maisons du royaume avaient donné des apôtres aux premiers dogmes de la Révolution; les états généraux, ancien théâtre de l'importance et des triomphes de la haute noblesse, avaient. tenté l'ambition de ses héritiers; ils avaient marché à la tête des réformateurs. L'esprit de corps n'avait pas pu les retenir, quand il avait été question de se réunir au

tiers-état. Les Montmorency, les Noailles, les la Rochefoucauld, les Clermont-Tonnerre, les Lally-Tolendal, les Virieu, les d'Aiguillon, les Lauzun, les Montesquiou, les Lameth, les Mirabeau, le duc d'Orléans, le premier prince du sang, le comte de Provence, frère du roi, roi lui-même depuis sous le nom de Louis XVIII, avaient donné l'impulsion aux innovations les plus hardies. Ils avaient. emprunté chacun leur crédit de quelques heures à des principes qu'il était plus facile de poser, que de modérer: la plupart de ces crédits avaient disparu. Aussitôt que ces théoriciens de la révolution spéculative s'étaient aperçus que le torrent les emportait, ils avaient essayé de remonter le courant, ou ils étaient sortis de son lit: les uns s'étaient rangés de nouveau autour du trône, les autres avaient émigré après les journées des 5 et 6 octobre. Quelques-uns, les plus fermes, restaient à leur place dans l'Assemblée nationale; ils combattaient sans espoir, mais glorieusement, pour une cause perdue; ils s'effor çaient de maintenir au moins un pouvoir monarchique, et abandonnaient au peuple, sans les lui disputer, les dépouilles de la noblesse et de l'Église. De ce nombre étaient Cazalés, l'abbé Maury, Malhouet et Clermont-Tonnerre. C'étaient les orateurs remarquables de ce parti mourant. Clermont-Tonnerre et Malhouet étaient plutôt des hommes d'État que des orateurs; leur parole, sùre et réfléchie, n'impressionnait que la raison. Ils cherchaient l'équilibre entre la liberté et la monarchie, et croyaient l'avoir trouvé dans le système anglais des deux chambres. Les modérés des deux partis écoutaient avec respect leurs voix; comme tous les demi-partis et les demitalents, ils n'excitaient ni haine ni colère, mais les événements ne les écoutaient pas et marchaient, en les écartant, vers des résultats plus absolus. Maury et Cazalès, moins philosophes, étaient les deux athlètes du côté droit; leur nature était différente, leur puissance oratoire presque égale. Maury représentait le clergé, dont il était membre; Cazalès, la noblesse, dont il faisait par

tie. L'un, c'était Maury, façonné de bonne heure aux luttes de la polémique sacrée, avait aiguisé et poli dans la chaire l'éloquence qu'il devait porter à la tribune. Sorti des derniers rangs du peuple, il ne tenait à l'ancien régime que par son habit; il défendait la religion et la monarchie, comme deux textes qu'on avait imposés à ses discours. Sa conviction n'était qu'un rôle: tout autre rôle eût aussi bien convenu à sa nature. Mais il soutenait avec un admirable courage et un beau caractère celui que sa situation lui faisait. Nourri d'études sérieuses, doué d'une élocution abondante, vive et colorée, ses harangues étaient des traités complets sur les matières qu'il discutait. Seul rival de Mirabeau, il ne lui manquait pour l'égaler qu'une cause plus nationale et plus vraie; mais le sophisme des abus ne pouvait pas revêtir des couleurs plus spécieuses que celles dont Maury colorait l'ancien régime. L'érudition historique et l'érudition sacrée lui fournissaient ses arguments. La hardiesse de son caractère et de son langage lui inspirait de ces mots qui vengent même d'une défaite. Sa belle figure, sa voix sonore, son geste impérieux, l'insouciance et la gaieté avec lesquelles il bravait les tribunes, arrachaient souvent les applaudissements, même à ses ennemis. Le peuple, qui sentait sa force invincible, s'amusait d'une résistance impuissante. Maury était pour lui comme ces gladiateurs qu'on aime à voir combattre, bien qu'on sache qu'ils doivent mourir. Une seule chose manquait à l'abbé Maury: l'autorité de la parole. Ni sa naissance, ni sa foi, ni ses mœurs n'inspiraient le respect à ceux qui l'écoutaient. On sentait l'acteur dans l'homme, l'avocat dans la cause; l'orateur et la parole n'étaient pas un. Otez à l'abbé Maury l'habit de son ordre, il eut changé de côté sans effort et siégé parmi les novateurs. De semblables orateurs ornent un parti, mais ils ne le sauvent pas.

XVI.

Cazalès était un de ces hommes qui s'ignorent euxmêmes jusqu'à l'heure où les circonstances leur révèlent un génie, en leur assignant un devoir. Officier obscur dans les rangs de l'armée, le hasard qui le jeta à la tribune lui découvrit qu'il était orateur. Il ne chercha pas quelle cause il défendrait; noble, la noblesse; royaliste, le roi; sujet, le trône. Sa situation fit sa doctrine. Il porta dans l'Assemblée le caractère et les vertus de son uniforme. La parole ne fut pour lui qu'une épée de plus, il la voua avec un dévouement chevaleresque à la cause de la monarchie. Paresseux, peu instruit, son rapide bon sens suppléa l'étude. Sa foi monarchique ne fut point le fanatisme du passé: elle admettait les modifications admises par le roi lui-même, et compatibles avec l'inviolabilité du trône et l'action du pouvoir exécutif. De Mirabeau à lui il n'y avait pas loin dans le dogme, mais l'un voulait la liberté en aristocrate, l'autre la voulait en démocrate. L'un s'était jété au milieu du peuple, l'autre s'attachait aux marches du trône. Le caractère de l'éloquence de Cazalès était celui d'une cause désespérée. Il protestait plus qu'il ne discutait, il opposait aux triomphes violents du côté gauche ses défis ironiques, ses indignations amères, qui subjuguaient un moment l'admiration, mais qui ne ramenaient pas la victoire. La noblesse lui dut de tomber avec gloire, et le trône avec majesté, et par lui l'éloquence eut quelque chose de l'hé

roïsme.

Derrière ces deux hommes il n'y avait rien qu'un parti aigri par l'infortune, découragé par son isolement dans la nation, odieux au peuple, inutile au trône, se repaissant des plus vaines illusions et ne conservant de la puissance abattue que le ressentiment de l'injure, et l'insolence, qui provoquent de nouvelles humiliations. Les espérances de ce parti se portaient déjà tout entières sur

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l'intervention armée des puissances étrangères. Louis XVI n'était plus à ses yeux qu'un roi prisonnier, que l'Europe viendrait délivrer. Le patriotisme et l'honneur étaient pour eux à Coblentz. Vaincu par le nombre, dépourvu de chefs habiles, qui savent immortaliser les retraites, sans force contre l'esprit du temps, et se refusant à transiger, le côté droit ne pouvait plus en appeler qu'à la vengeance; sa politique n'était plus qu'une imprécation.

Le côté gauche venait de perdre à la fois son chef et son modérateur dans Mirabeau; l'homme national n'était plus. Restaient les hommes de parti, c'étaient Barnave et les deux Lameth. Ces hommes, humiliés de l'ascendant de Mirabeau, avaient essayé, longtemps avant sa mort, de balancer la souveraineté de son génie par l'exagération de leurs doctrines et de leurs discours. Mirabeau n'était que l'apôtre; ils avaient voulu être les factieux du temps. Jaloux de sa personne, ils avaient cru effacer ses talents par la supériorité de leur popularisme. Les médiocrités croient égaler le génie en dépassant la raison. Une scission de trente à quarante voix s'était opérée dans le côté gauche. Barnave et les Lameth les inspiraient. Le club des amis de la Constitution, devenu le club des Jacobins, leur répondait au dehors. L'agitation populaire était soulevée par eux, contenue par Mirabeau, qui ralliait contre eux la gauche, le centre et les membres raisonnables du côté droit. Ils conspiraient, ils cabalaient, ils fomentaient les divisions dans l'opinion bien plus qu'ils ne gouvernaient l'Assemblée. Mirabeau mort leur laissait la place vide.

Les Lameth, hommes de cour, élevés par les bontés de la famille royale, comblés des faveurs et des pensions du roi, avaient ces éclatantes défections de Mirabeau sans avoir l'excuse de ses griefs contre la monarchie; cette défection était un de leurs titres à la faveur populaire. Hommes habiles, ils portaient dans la cause nationale le manège des cours, où ils avaient été nourris. Leur amour

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