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dénoûment d'une trame ourdie contre la Révolution. Favoriser ces plans de guerre, sous quelque prétexte que ce soit, c'est donc s'associer aux trahisons contre la Révolution. Tout le patriotisme du monde, tous les lieux communs prétendus politiques ne changent rien à la natüre des choses. Prêcher comme monsieur Brissot et ses amis la confiance dans le pouvoir exécutif, appeler la faveur publique sur les généraux, c'est donc désarmer la Révolution de sa dernière sûreté, la vigilance et l'énergie de la nation. Dans l'horrible situation où nous ont conduits le despotisme, la légèreté, l'intrigue, la trahison, l'aveuglement général, je ne prends conseil que de mon cœur et de ma conscience; je n'ai d'égards que pour la vérité, de condescendance que pour ma patrie. Je sais que des patriotes blâment la franchise avec laquelle je présente le tableau décourageant de notre situation. Je ne me dissimule pas ma faute. La vérité n'est-elle pas déjà assez coupable d'être la vérité? Ah! pourvu que le sommeil soit doux, qu'importe qu'on se réveille au bruit des chaînes de son pays et dans le calme de la servitude! Ne troublons donc plus la quiétude de ces heureux patriotes. Non, mais qu'ils sachent que sans vertige et sans peur nous pouvons mesurer toute la profondeur de l'abîme. Arborons la devise du palatin de Posnanie: Je préfère les orages de la liberté à la sécurité de l'esclavage. Si le moment de l'émancipation n'était pas encore arrivé, nous aurions la patience de l'attendre. Si cette génération n'était destinée qu'à s'agiter dans la fange des vices, ou le despotisme l'a plongée; si le théâtre de notre révolution ne devait présenter aux yeux de l'univers que la lutte de la perfidie avec la faiblesse, de l'égoïsme avec l'ambition, la génération naissante commencera à purifier cette terre souillée de vices. Elle apportera, non la paix du despotisme ni les stériles agitations de l'intrigue, mais le feu et le glaive pour incendier les trônes et exterminer les oppresseurs. Postérité plus heureuse, tu ne nous es pas étrangère ! C'est pour toi que nous affrontons ces orages

et les piéges de la tyrannie! Découragés souvent par les obstacles qui nous environnent, nous sentons le besoin de nous élancer vers toi! C'est toi qui achèveras notre ouvrage: garde seulement dans ta mémoire les noms des martyrs de la liberté! » On sentait dans ces accents le retentissement de l'ame de Rousseau.

VII.

Louvet, un des amis de Brissot, en sentit la puissance et monta à la tribune pour supplier l'homme qui arrêtait seul la Gironde. «Robespierre, lui dit-il en l'apostrophant directement, Robespierre, vous tenez seul l'opinion publique en suspens. Cet excès de gloire vous était réservé sans doute. Vos discours appartiennent à la postérité. La postérité viendra entre vous et moi. Mais enfin vous attirez sur vous la plus grande responsabilité en persistant dans votre opinion. Vous étes comptable à vos contemporains et même aux générations futures. Oui, la postérité viendra se mettre entre vous et moi, quelque indigne que j'en sois. Elle dira: Un homme a paru, dans l'Assemblée constituante, inaccessible à toutes les passions, un des plus fidèles défenseurs du peuple. Il fallait estimer et chérir ses vertus, admirer son courage; il était adoré du peuple, qu'il avait constamment servi, et, ce qui est mieux encore, il en était digne. Un précipice s'ouvrit. Distrait par trop de soins, cet homme crut voir le péril où il n'était pas et ne le vit pas où il était. Un homme obscur était là uniquement occupé du moment présent; éclairé par d'autres citoyens, il découvrit le danger, ne put se résoudre à garder le silence, il alla à Robespierre, il voulut le lui faire toucher du doigt. Robespierre détourna les yeux et retira sa main; l'inconnu persiste et sauve son pays... "

Robespierre sourit à ces paroles avec le dédain de l'incrédulité. Les gestes suppliants de Louvet et les adjurations des tribunes le laissèrent impassible à la séance du

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lendemain. Brissot reprit la question de la guerre. « Je supplie monsieur Robespierre, dit-il en finissant, de terminer une lutte si scandaleuse, qui ne donne l'avantage qu'aux ennemis du bien public. Ma surprise a été extrême, s'écria Robespierre, de voir, ce matin, dans le journal rédigé par monsieur Brissot, une lettre dans laquelle se trouve l'éloge le plus pompeux de monsieur de la Fayette. Je déclare, répondit Brissot, que je n'ai eu aucune connaissance de la lettre insérée dans le Patriote Français. Tant mieux, reprit Robespierre, je suis charmé de voir que monsieur Brissot ne soit pas complice de semblables apologies. » Les paroles s'envenimaient comme les cœurs. La haine grondait sous les paroles. Le vieux Dusaulx s'élança entre les adversaires. Il fit un appel touchant à la concorde des patriotes et les conjura de s'embrasser. Ils s'embrassèrent. « Je viens de remplir un devoir de fraternité et de satisfaire mon cœur, s'écria alors Robespierre. Il me reste encore une dette plus sacrée à payer à la patrie. Toute affection personnelle doit céder ici à l'intérêt sacré de la liberté et de l'humanité. Je pourrai facilement les concilier ici avec les égards que j'ai promis à tous ceux qui les servent. J'ai embrassé monsieur Brissot, mais je persiste à le combattre; que notre paix ne repose que sur la base du patriotisme et de la vertu!» Robespierre, par son isolement même, prouvait sa force et en conquérait davantage sur les esprits indécis. Les journaux commençaient à s'ébranler en sa faveur. Marat flétrissait Brissot de ses invectives. Camille Desmoulins, dans des affiches improvisées, dévoila la honteuse association de Brissot à Londres avec Morande, ce libelliste déshonoré. Danton, lui-même, cet adorateur du succès, craignant de se tromper de fortune, hésitait entre les Girondins et Robespierre. Il se tut longtemps; à la fin il prononça un discours plein de mots sonores, mais où l'on sentait sous l'emphase des paroles le balbutiement des convictions et l'embarras de l'esprit.

LIVRE DIXIÈME.

I.

Pendant que ces choses se passaient aux Jacobins, et que les journaux, ces échos des clubs, semaient partout dans le peuple les mêmes anxiétés et la même hésitation, la diplomatie sourde du cabinet des Tuileries et de l'empereur Léopold, qui cherchait en vain à ajourner le dénoûment, allait se voir déjouer par l'impatience des Girondins et par la mort de Léopold. Ce prince philosophe allait emporter avec lui tous les désirs de conciliation et toutes les expérances de paix. Lui seul contenait l'Allemagne. M. de Narbonne déjouait par des démonstrations publiques les négociations secrètes de son collègue, M. de Lessart, pour temporiser et pour faire aboutir les différends de la France et de l'Europe à un congrès.

Le comité diplomatique de l'Assemblée, poussé par Narbonne et peuplé de Girondins, proposait des résolutions décisives. Ce comité, établi par l'Assemblée constituante et influencé par la haute pensée de Mirabeau, interpellait les ministres sur toutes les relations extérieures. La di

plomatie était ainsi dévoilée, les négociations brisées, les transactions et les combinaisons impossibles; les cabinets de l'Europe étaient sans cesse cités à la tribune de Paris. Les Girondins, meneurs actuels de ce comité, n'avaient ni les lumières ni la réserve nécessaires pour manier, sans les rompre, les fils d'une diplomatie compliquée. Un discours leur comptait plus qu'une négociation. Peu leur importait le retentissement de leur parole dans les cabinets étrangers, pourvu qu'elle retentît bien dans la salle et dans les tribunes. D'ailleurs ils voulaient la guerre; ils se trouvaient hommes d'État, en brisant d'un seul coup la paix de l'Europe. Étrangers à la politique, ils se disaient habiles parce qu'ils se sentaient sans scrupules. En affectant l'indifférence de Machiavel, ils se croyaient sa profondeur.

L'empereur Léopold, par un office du 24 décembre, donna prétexte à une explosion de l'Assemblée: « Les souverains, réunis en concert, disait l'empereur, pour le maintien de la tranquillité publique et pour l'honneur et la sûreté des couronnes... » Ces mots agitent les esprits; on en cherche le sens; on se demande comment l'empereur, beau-frère et allié de Louis XVI, lui parle pour la première fois de ce concert formé entre souverains? Et contre qui, si ce n'est contre la Révolution? Et comment les ministres et les ambassadeurs de la Révolution l'avaientils ignoré s'il existait? Et comment l'avaient-ils caché à la nation s'ils l'avaient su? Il y avait donc une double diplomatie, dont l'une ourdissait ses trames contre l'autre? Le comité autrichien n'était donc point un rêve des factieux? Il y avait donc dans la diplomatie officielle impéritie ou trahison, ou peut-être l'une et l'autre à la fois? On parlait du congrès projeté; on se demandait s'il pouvait avoir un autre objet que d'imposer des modifications à la constitution de la France? On s'indignait à la seule pensée de céder une lettre de la constitution aux exigences de l'Europe monarchique.

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