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cutif dans les émeutes. Le roi, sans organe, sans attributions et sans force, n'avait que l'odieuse responsabilité de l'anarchie. Il était le but contre lequel tous les partis dirigeaient la haine ou la fureur de peuple. Il avait le privilége de toutes les accusations. Pendant que, du haut de la tribune, Mirabeau, Barnave, Péthion, Lameth, Robespierre menaçaient éloquemment le trône, des pamphlets infâmes, des journaux factieux peignaient le roi sous les traits d'un tyran mal enchaîné, qui s'abrutissait dans le vin, qui s'asservissait aux caprices d'une femme déhontée, et qui conspirait au fond de son palais avec les ennemis de la nation. Dans le sentiment sinistre de sa chute accélérée, la vertu stoïque de ce prince suffisait au calme de sa conscience, mais ne suffisait pas à ses résolutions. Au sortir de son conseil des ministres, où il accomplissait loyalement les conditions constitutionnelles de son rôle, il cherchait, tantôt dans l'amitié de serviteurs dévoués, tantôt dans la personne de ses ennemis mêmes, admis furtivement à ses confidences, des inspirations plus intimes. Les conseils succédaient aux conseils, et se contredisaient dans son oreille, comme leurs résultats se contredisaient dans ses actes. Ses ennemis lui suggéraient des concessions et lui promettaient une popularité qui s'enfuyait de leurs mains dès qu'ils voulaient la lui livrer. La cour lui prêchait la force, qu'elle n'avait que dans ses rêves; la reine, le courage, qu'elle se sentait dans l'ame; les intrigants, la corruption; les timides, la fuite: il essayait tour à tour et tout à la fois tous ces partis. Aucun n'était efficace: le temps des résolutions utiles était passé. La crise était sans remède. Entre la vie et le trône il fallait choisir. En voulant tenter de conserver tous les deux, il était écrit qu'il perdrait l'un et l'autre.

Quand on se place par la pensée dans la situation de Louis XVI, et qu'on se demande quel est le conseil qui aurait pu le sauver, on se répond avec découragement : Aucun. Il y a des circonstances qui enlacent tous les

mouvements d'un homme dans un tel piége, que, quelque direction qu'il prenne, il tombe dans la fatalité de ses fautes ou dans celle de ses vertus. Louis XVI en était là. Toute la dépopularisation de la royauté en France, toutes les fautes des administrations précédentes, tous les vices des rois, toutes les hontes des cours, tous les griefs du peuple avaient, pour ainsi dire, abouti sur sa tête et marqué son front innocent pour l'expiation de plusieurs siècles. Les époques ont leurs sacrifices, comme les religions. Quand elles veulent renouveler une institution qui ne leur va plus, elles entassent sur l'homme en qui cette institution se personnifie, tout l'odieux et toute la condamnation de l'institution elle-même; elles font de cet homme une victime, qu'elles immolent au temps: Louis XVI était cette victime innocente, mais chargée de toutes les iniquités des trônes, et qui devait être immolée en châtiment de la royauté. Voilà le roi.

XII.

La reine semblait avoir été créée par la nature pour contraster avec le roi, et pour attirer à jamais l'intérêt et la pitié des siècles sur un de ces drames d'État qui ne sont pas complets quand les infortunes d'une femme ne les achèvent pas. Fille de Marie-Thérèse, elle avait commencé sa vie dans les orages de la monarchie autrichienne. Elle était un de ces enfants que l'impératrice tenait par la main quand elle se présenta en suppliante devant les fidèles Hongrois, et que ces troupes, s'écrièrent: Mourons pour notre roi Marie-Thérèse ! » Sa fille aussi avait le cœur d'un roi. A son arrivée en France, sa beauté avait ébloui le royaume; cette beauté était dans tout son éclat. Elle était grande, élancée, souple: une véritable fille du Tyrol. Les deux enfants qu'elle avait donnés au trône, loin de la flétrir, ajoutaient à l'impression de sa personne ce caractère de majesté maternelle qui sied bien à la mère d'une nation. Le pressentiment

de ses malheurs, le souvenir des scènes tragiques de Versailles, les inquiétudes de chaque jour pálissaient seulement un peu sa première fraîcheur. La majesté naturelle de son port n'enlevait rien à la grâce de ses mouvements; son cou, bien détaché des épaules, avait ces magnifiques inflexions qui donnent tant d'expression aux attitudes. On sentait la femme sous la reine, la tendresse du cœur sous la majesté du sort. Ses cheveux blond cendré étaient longs et soyeux; son front, haut et un peu bombé, venait se joindre aux tempes par ces courbes fines qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siége de la pensée ou de l'ame chez les femmes; les yeux de ce bleu clair qui rappelle le ciel du Nord ou l'eau du Danube, le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe de courage: une bouche grande, des dents éclatantes, les lèvres autrichiennes, c'est-à dire saillantes et découpées; le tour de visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée; sur l'ensemble de ses traits, cet éclat qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l'ombre, des reflets du visage, qui l'enveloppe d'un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil: dernière expression de la beauté, qui lui donne l'idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. Avec tous ces charmes, une ame altérée d'attachement, un cœur facile à émouvoir, mais ne demandant qu'à se fixer; un sourire pensif et intelligent, qui n'avait rien de banal, des intimités, des préférences, parce qu'elle se sentait digne d'amitiés. Voilà Marie-Antoinette comme femme.

XIII.

C'était assez pour faire la félicité d'un homme et l'ornement d'une cour. Pour inspirer un roi indécis et pour faire le salut d'un État dans des circonstances difficiles, il fallait plus: il fallait le génie du gouvernement; la reine

ne l'avait pas. Rien n'avait pu la préparer au maniement des forces désordonnées qui s'agitaient autour d'elle; le malheur ne lui avait pas donné le temps de la réflexion. Accueillie avec enivrement par une cour perverse et une nation ardente, elle avait dû croire à l'éternité de ces sentiments. Elle s'était endormie dans les dissipations de Trianon. Elle avait entendu les premiers bouillonnements de la tempête sans croire au danger; elle s'était fiée à l'amour qu'elle inspirait et qu'elle se sentait dans le cœur. La cour était devenue exigeante, la nation hostile. Instrument des intrigues de la cour sur le cœur du roi, elle avait d'abord favorisé, puis combattu toutes les réformes qui pouvaient prévenir ou ajourner les crises. Sa politique n'était que de l'engouement; son système n'était que son abandon alternatif à tous ceux qui lui promettaient le salut du roi. Le comte d'Artois, prince jeune, chevaleresque dans les formes, avait pris de l'empire sur son esprit. Il se fiait à la noblesse; il parlait de son épée. Il riait de la crise. Il dédaignait ce bruit de paroles, il cabalait contre les ministres, il flétrissait les transactions. La reine, enivrée d'adulations par cet entourage, poussait le roi à reprendre le lendemain ce qu'il avait concédé la veille. Sa main se sentait dans tous les tiraillements du gouvernement. Ses appartements étaient le foyer d'une conspiration perpétuelle contre le gouvernement; la nation finit par s'en apercevoir et par la haïr. Son nom devint pour le peuple le fantôme de la contre-révolution. On est prompt à calomnier ce qu'on craint. On la peignait sous les traits d'une Messaline. Les pamphlets les plus infâmes circulaient; les anecdotes les plus scandaleuses furent accréditées. On pouvait l'accuser de tendresse; de dépravation, jamais. Belle, jeune et adorée, si son cœur ne resta pas insensible, ses sentiments, mystérieux, innocents peut-être, n'éclatèrent jamais en scandales. L'histoire a sa pudeur: nous ne la violerons pas.

XIV.

Aux journées des 5 et 6 octobre, la reine s'aperçut trop tard de l'inimitié du peuple; la vengeance dut tenter son cœur. L'émigration commença, elle la vit avec faveur. Tous ses amis étaient à Coblentz, on lui supposait des complicités avec eux; ces complicités étaient réelles. Les fables d'un comité autrichien furent semées dans le peuple. On accusa la reine de conjurer la perte de la nation, qui demandait à chaque instant sa tête. Le peuple, soulevé, a besoin de haïr quelqu'un; on lui livra la reine. Son nom fut chanté dans ses colères. Une femme fut l'ennemie de toute une nation. Sa fierté dédaigna de la détromper. Elle s'enferma dans son ressentiment et dans sa terreur. Emprisonnée dans le palais des Tuileries, elle ne pouvait mettre sa tête à la fenêtre sans provoquer l'outrage et entendre l'insulte. Chaque bruit de la ville lui faisait craindre une insurrection. Ses journées étaient mornes, ses nuits agitées; son supplice fut de toutes les heures pendant deux ans; il se multipliait dans son cœur par son amour pour ses deux enfants et par ses inquiétudes sur le roi. Sa cour était vide, elle ne voyait plus que des autorités ombrageuses, des ministres imposés, et M. de la Fayette, devant qui elle était obligée de composer même son visage. Ses appartements recélaient la délation. Ses serviteurs étaient ses espions. Il fallait les tromper pour se concerter avec le peu d'amis qui lui restaient. Des escaliers dérobés, des corridors sombres conduisaient la nuit dans les combles du château les conseillers secrets qu'elle appelait autour d'elle. Ces conseils ressemblaient à des conjurations; elle en sortait sans cesse avec des pensées différentes; elle en assiégeait l'ame du roi, dont la conduite contractait ainsi l'incohérence d'une femme aux abois.

Mesures de force, corruption de l'Assemblée, abandon sincère à la Constitution, essais de résistance, attitude de

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