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demanderait en vain au pouvoir monarchique d'accomplir ces changements où souvent tout périt et le roi avant tout le monde. Une telle action est le contre-sens de la monarchie. Comment le voudrait-elle?

Demander à un roi de détruire l'empire d'une religion qui le sacre, de dépouiller de ses richesses un clergé qui les possède au même titre divin auquel lui même possède le royaume, d'abaisser une aristocratie qui est le degré élevé de son trône, de bouleverser des hiérarchies sociales dont il est le couronnement, de saper des lois dont il est la plus haute, ce serait demander aux voùtes d'un édifice d'en saper le fondement. Le roi ne le pourrait, ni ne le voudrait. En renversant ainsi tout ce qui lui sert d'appui, il sent qu'il porterait sur le vide. Il jouerait son trône et sa dynastic. Il est responsable par sa race. Il est prudent par nature et temporisateur par nécessité. Il faut qu'il complaise, qu'il ménage, qu'il patiente, qu'il transige avec tous les intérêts constitués. Il est le roi du culte, de l'aristocratie, des lois, des mœurs, des abus et des mensonges de l'empire. Les vices mêmes de la constitution font partie de sa force. Les menacer, c'est se perdre. Il peut les haïr, il ne peut les at táquer.

XI.

A de semblables crises, la république seule peut suffire: Les nations le sentent et s'y précipitent comme au salut. La volonté publique devient le gouvernement. Elle écarte les timides, elle cherche les audacieux, elle appelle tout le monde à l'œuvre, elle essaye, elle emploie, elle rejette toutes les forces, tous les dévouements, tous les héroïsmes. C'est la foule au gouvernail. La main la plus prompte ou la plus ferme le saisit, jusqu'à ce qu'un plus hardi de lui arrache. Mais tous gouvernent dans le sens de tout. Considérations privées, timidités de situation, différence de rang, tout disparaît. Il n'y a de responsabilité pour personne. Aujourd'hui au pouvoir, demain en

exil ou à l'échafaud. Nul n'a de lendemain, on est tout au jour. Les résistances sont écrasées par l'irrésistible puissance du mouvement. Tout est faible, tout plie devant le peuple. Les ressentiments des castes abolies, des cultes dépossédés, des propriétés décimées, des abus extirpés, des aristocraties humiliées, se perdent dans le bruit général de l'écroulement des vieilles choses. A qui s'en prendre? La nation répond de tout à tous. Nul n'a de compte à lui demander. Elle ne se survit pas à ellemême, elle brave les récriminations et les vengeances, elle est absolue, comme un élément; elle est anonyme, comme la fatalité; elle achève son œuvre, et, quand son œuvre est finie, elle dit: Reposons-nous, et prenons la

monarchie.

XH.

Or, une telle forme d'action, c'est la république. C'est la seule qui convienne aux fortes époques de transformation. C'est le gouvernement de la passion, c'est le gouvernement des crises, c'est le gouvernement des révolutions. Tant que les révolutions ne sont pas achevées, l'instinct du peuple pousse à la république; car il sent que toute autre main que la sienne est trop faible pour imprimer l'impulsion qu'il faut aux choses. Le peuple ne se fie pas, et il a raison, à un pouvoir irresponsable, perpétuel et héréditaire, pour faire ce que commandent des époques de création. Il veut faire ses affaires lui-même. Sa dictature lui paraît indispensable pour sauver la nation. Or, la dictature organisée du peuple, qu'est-ce autre chose que la république? Il ne peut remettre ses pouvoirs qu'après que toutes les crises sont passées, et que l'œuvre révolutionnaire est incontestée, complète et consolidée. Alors il peut reprendre la monarchie et lui dire de nouveau: Règne au nom des idées que je t'ai faites!

XIII.

L'Assemblée constituante fut donc aveugle et faible de ne pas donner la république pour instrument naturel à la Révolution. Mirabeau, Bailly, la Fayette, Siéyès, Barnave, Talleyrand, Lameth, agissaient en cela en philosophes et non en grands politiques. L'événement l'a prouvé. Ils crurent la Révolution achevée aussitôt qu'elle fut écrite; ils crurent la monarchie convertie aussitôt qu'elle eut juré la constitution. La Révolution n'était que commencée, et le serment de la royauté à la Révolution était aussi vain que le serment de la Révolution à la royauté. Ces deux éléments ne pouvaient s'assimiler qu'après un intervalle d'un siècle. Cet intervalle, c'était la république. Un peuple ne passe pas en un jour, ni même en cinquante ans, de l'action révolutionnaire au repos monarchique. C'est pour l'avoir oublié à l'heure où il fallait s'en souvenir, que la crise a été si terrible et qu'elle. nous agite encore. Si la Révolution, qui se poursuit toujours, avait en son gouvernement propre et naturel, la république, cette république eût été moins tumultueuse et moins inquiète que nos cinq tentatives de monarchie. La nature des temps où nous avons vécu proteste contre la forme traditionnelle du pouvoir. A une époque de mouvement, un gouvernement de mouvement, voilà la loi!

XIV.

L'Assemblée nationale, dit-on, n'en avait pas le droit: elle avait juré la monarchie et reconnu Louis XVI; elle ne pouvait le detrôner sans crime! L'objection est puérile si elle vient d'esprits qui ne croient pas à la possession des peuples par les dynasties. L'Assemblée constituante, dès son début, avait proclamé le droit inaliénable des peuples et la légitimité des insurrections né

cessaires. Le serment du Jeu de paume ne consistait qu'à jurer désobéissance au roi et fidélité à la nation. L'Assemblée avait ensuite proclamé Louis XVI roi des Français. Si elle se reconnaissait le pouvoir de le proclamer roi, elle se reconnaissait par là même le droit de le proclamer simple citoyen. La déchéance pour cause d'utilité nationale et d'utilité du genre humain était évidemment dans ses principes. Que fait-elle cependant? Elle laisse Louis XVI roi, ou elle le refait roi, non par respect pour l'institution, mais par piété pour sa personne et par attendrissement pour une auguste décadence. Voilà le vrai. Elle craignait le sacrilége, et elle se précipite dans l'anarchie. C'était clément, beau, généreux; Louis XVI méritait bien du peuple. Qui peut flétrir une si magnanime condescendance? Avant le départ du roi pour Varennes, le droit absolu de la nation ne fut qu'une fiction abstraite, un summum jus de l'Assemblée. La royauté de Louis XVI resta le fait respectable et respecté. Encore une fois, c'était bien.

XV.

Mais il vint un moment, et ce moment fut celui de la fuite du roi, sortant du royaume, protestant contre la volonté nationale, et allant chercher l'appui de l'armée et l'intervention étrangère, où l'Assemblée rentrait légitimement dans le droit rigoureux de disposer du pouvoir trahi ou déserté. Trois partis s'offraient à elle: déclarer la déchéance et proclamer le gouvernement républicain; proclamer la suspension temporaire de la royauté, et gouverner en son nom, pendant son éclipse morale; enfin restaurer à l'instant la royauté.

L'Assemblée choisit le pire. Elle craignit d'être dure et elle fut cruellé, car, en conservant au roi le rang suprême, elle le condamna au supplice de la haine et du mépris de son peuple. Elle le couronna de soupçons et d'outrages. Elle le cloua au trône pour que le trône fût l'instrument de ses tortures, et enfin de sa mort.

Des deux autres partis à prendre, le premier était lé plus logique et le plus absolu: proclamer la déchéance et la république.

La république, si elle eût été alors légalement établie par l'Assemblée dans son droit et dans sa force, aurait été tout autre que la république qui fut perfidement et atrocement arrachée, neuf mois après, par l'insurrection du 10 août. Elle aurait eu, sans doute, les agitations inséparables de l'enfantement d'un ordre nouveau. Elle n'aurait pas échappé aux désordres de la nature dans un pays de premier mouvement, passionné par la grandeur même de ses dangers. Mais elle serait née d'une loi, au lieu d'être née d'une sédition; d'un droit, au lieu d'une violence; d'une délibération, au lieu d'une insurrection. Cela seul changeait les conditions sinistres de son existence et de son avenir. Elle devait être remuantes elle pouvait rester pure.

Voyez combien le seul fait de sa proclamation légale et réfléchie changeait tout. Le 10 août n'avait pas lieu; les perfidies et la tyrannie de la commune de Paris, le massacre des gardes, l'assaut du palais, la fuite du roi à l'Assemblée, les outrages dont il y fut abreuvé, enfin son emprisonnement au Temple étaient écartés. La république n'aurait pas tué un roi, une reine, un enfant innocent, une princesse vertuense. Elle n'aurait pas eu les massacres de septembre, ces Saint-Barthélemy du peuple qui tachent à jamais les langes de la liberté. Elle ne sé serait pas baptisée dans le sang de trois cent mille victimes. Elle n'aurait pas mis dans la main du tribunal révolutionnaire la hache du peuple, avec laquelle il immola toute une génération pour faire place à une idée. Elle n'aurait pas eu le 31 mai. Les Girondins, arrivés purs au pouvoir, auraient eu bien plus de force pour combattre la demagogie. La république, instituée de sangfroid, aurait bien autrement intimidé l'Europe, qu'une émeute légitimée par le meurtre et les assassinats. La guerre pouvait être évitée, ou, si la guerre était inévi

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