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lustres. Cazalès, Malouet, Maury, faisaient retentir en éclats de douleur et d'éloquence les chutes successives du trône, de l'aristocratie et du clergé. Ce foyer actif de la pensée d'un siècle fut nourri, pendant toute sa durée, par le vent des plus continuels orages politiques. Pendant qu'on délibérait dedans, le peuple agissait dehors et frappait aux portes. Ces vingt-six mois de conseils ne furent qu'une sédition non interrompue. A peine une institution s'étaitelle écroulée à la tribune, que la nation la déblayait pour faire place à l'institution nouvelle. La colère du peuple n'était que son impatience des obstacles, son délire n'était que sa raison passionnée. Jusque dans ses fureurs, c'était toujours une vérité qui l'agitait. Les tribuns ne l'aveuglaient qu'en l'éblouissant. Ce fut le caractère unique de cette assemblée, que cette passion pour un idéal qu'elle se sentait invinciblement poussée à accomplir. Acte de foi perpétuel dans la raison et dans la justice; sainte fureur du bien, qui la possédait et qui la faisait se dévouer elle-même à son œuvre, comme ce statuaire qui, voyant le feu du fourneau, où il fondait son bronze, prêt à s'éteindre, jeta ses meubles, le lit de ses enfants, et enfin jusqu'à sa maison dans le foyer, consentant à périr pour que son œuvre ne périt pas.

C'est pour cela que la révolution qu'elle a faite est devenue une date de l'esprit humain, et non pas seulement un événement de l'histoire d'un peuple. Les hommes de l'Assemblée constituante n'étaient pas des Français, c'étaient des hommes universels. On les méconnaît et on les rapetisse quand on n'y voit que des prêtres, des aristocrates, des plébéiens, des sujets fidèles, des factieux ou des démagogues. Ils étaient, et ils se sentaient eux-mêmes mieux que cela: des ouvriers de Dieu, appelés par lui à restaurer la raison sociale de l'humanité et à rasseoir le droit et la justice par tout l'univers. Aucun d'eux, excepté les opposants à la Révolution, ne renfermait sa pensée dans les limites de la France. La déclaration des droits de l'homme le prouve. C'était le decalogue du genre

humain dans toutes les langues. La révolution moderne appelait les Gentils comme les Juifs au partage de la lumière et au règne de la fraternité.

II.

Aussi, n'y eut-il pas un de ses apôtres qui ne proclamât la paix entre les peuples. Mirabeau, la Fayette, Robespierre lui-même effacèrent la guerre du symbole qu'ils présentaient à la nation. Ce furent les factieux et les ambitieux qui la demandèrent plus tard; ce ne furent pas les grands révolutionnaires. Quand la guerre éclata, la Révolution avait dégénéré. L'Assemblée constituante se serait bien gardée de placer aux frontières de la France les bornes de ses vérités et de renfermer l'ame sympathique de la Révolution française dans un étroit patriotisme. La patrie de ses dogmes était le globe. La France n'était que l'atelier où elle travaillait pour tous les peuples. Respectueuse ou indifférente à la question des territoires nationaux, dès son premier mot elle s'interdit les conquêtes. Elle ne se réservait que la propriété ou plutôt l'invention des vérités générales qu'elle mettait en lumière. Universelle comme l'humanité, elle n'eut pas l'égoïsme de s'isoler. Elle voulut donner et non dérober. Elle voulut se répandre par le droit et non par la force. Essentiellement spiritualiste, elle n'affecta d'autre empire pour la France que l'empire volontaire de l'imitation sur l'esprit humain.

Son œuvre était prodigieuse, ses moyens nuls; tout ce que l'enthousiasme lui inspire, l'Assemblée l'entreprend et l'achève, sans roi, sans chef militaire, sans dictateur, sans armée, sans autre force que la conviction. Seule au milieu d'un peuple étonné, d'une armée dissoute, d'une aristocratie émigrée, d'un clergé dépouillé, d'une cour conspiratrice, d'une ville séditieuse, de l'Europe hostile, elle fit ce qu'elle avait résolu: tant la volonté est la véritable puissance d'un peuple, tant la vérité est l'irré

sistible auxiliaire des hommes qui s'agitent pour Dieu! Si jamais l'inspiration fut visible dans le prophète ou dans le législateur antique, on peut dire que l'Assemblée constituante eut deux années d'inspiration continue. La France fut l'inspirée de la civilisation.

III.

Examinons son œuvre. Le principe du pouvoir fut entièrement déplacé. La royauté avait fini par croire que le dépôt du pouvoir lui appartenait en propre. Elle avait demandé à la religion de consacrer ce rapt aux yeux des peuples, en leur disant que la tyrannie venait de Dieu et ne répondait qu'à Dieu. La longue hérédité des races couronnées avait fait croire qu'il y avait un droit de règne dans le sang des races royales. Le gouvernement, au lieu d'être fonction, était devenu possession, le roi maître, au lieu d'être chef.

Ce principe déplacé déplaça tout. Le peuple devint nation, le roi magistrat couronné. La féodalité, royauté subalterne, tomba au rang de simple propriété. Le clergé, qui avait eu des institutions et des propriétés inviolables, n'était plus qu'un corps salarié par l'État pour un service sacré. Il n'y avait pas loin de là à ce qu'il ne reçût plus qu'un salaire volontaire pour un service individuel. La magistrature cessa d'être héréditaire. On lui laissa l'inamovibilité pour assurer son indépendance. C'était une exception au principe des fonctions révocables, une demisouveraineté de la justice; mais c'était un pas vers la vérité. Le pouvoir législatif était distinct du pouvoir exécutif. La nation, dans une assemblée librement élue, décrétait sa volonté. Le roi, héréditaire et irresponsable, l'exécutait. Tel était tout le mécanisme de la constitution: un peuple, un roi, un ministre. Mais le roi, irresponsable, et, par conséquent, passif, était évidemment une concession à l'habitude, une fiction respectueuse de la royauté supprimée.

IV.

Il n'était plus pouvoir, car pouvoir c'est vouloir. Il n'était pas fonctionnaire, car le fonctionnaire agit et répond. Le roi ne répondait pas. Il n'était qu'une majestueuse inutilité de la Constitution. Les fonctions détruites, on laissait le fonctionnaire. Il n'avait qu'une seule attribution, le veto suspensif, qui consistait dans le droit de suspendre, pendant trois ans, l'exécution des decrets de l'Assemblée. Il était un obstacle légal, mais impuissant, aux volontés de la nation. On sent que l'Assemblée constituante, parfaitement convaincue de la superfluité du trône dans un gouvernement national, n'avait placé un roi au sommet de son institution que pour écarter les ambitions et pour que le royaume ne s'appelât pas république. Le seul rôle d'un tel roi était d'empêcher la vérité d'apparaître et d'éclater aux yeux d'un peuple accoutumé au sceptre. Cette fiction ou cette inconséquence coûtait au peuple 30 millions par an de liste civile, une cour, des ombrages continuels, et une corruption inévitable exercée par cette cour sur les organes de la nation. Voilà le vrai vice de la constitution de 1791. Elle ne fut pas conséquente. La royauté embarrassait la constitution. Tout ce qui embarrasse nuit. Mais le motif de cette inconséquence était moins une erreur de sa raison qu'une respectueuse piété pour un vieux prestige, et un généreux attendrissement pour une race longtemps couronnée. Si la race des Bourbons eût été éteinte au mois de septembre 1791, à coup sûr l'Assemblée constituante n'aurait pas inventé un roi.

༥.

Cependant la royauté de 91, très-peu différente de la royauté d'aujourd'hui, pouvait fonctionner un siècle aussi bien qu'un jour. L'erreur de tous les historiens est d'at

tribuer aux vices de la constitution le peu de durée de l'œuvre de l'Assemblée constituante. D'abord, l'œuvre de l'Assemblée constituante n'était pas principalement de perpétuer ce rouage d'une royauté inutile, placé, par complaisance pour l'œil du peuple, dans un mécanisme qu'il ne réglait pas. L'œuvre de l'Assemblée constituante, c'était la régénération des idées et du gouvernement, le déplacement du pouvoir, la restitution du droit, l'abolition de toutes les servitudes, même de l'esprit, l'émancipation des consciences, la création de l'administration; cette œuvre-là dure, et durera autant que le nom de la France. Le vice de l'institution de 1791 n'était ni dans telle disposition ni dans telle autre. Elle n'a pas péri parce que le veto du roi était suspensif au lieu d'être absolu, elle n'a pas péri parce que le droit de paix ou de guerre était enlevé au roi et réservé à la nation, elle n'a pas péri parce qu'elle ne plaçait le pouvoir législatif que dans une seule chambre au lieu de le diviser en deux; ces prétendus vices se retrouvent dans beaucoup d'autres constitutions et elles durent. L'amoindrissement du pouvoir royal n'était pas pour la royauté de 91 le principal danger: c'était plutôt son salut si elle eût pu être sauvée.

VI.

Plus on aurait donné de pouvoir au roi et d'action au principe monarchique, plus vite le roi et le principe seraient tombés; car plus on se serait armé de défiance et de haine contre eux. Deux chambres, au lieu d'une, n'auraient rien préservé. Ces divisions du pouvoir n'ont de valeur qu'autant qu'elles sont consacrées. Elles ne sont consacrées qu'autant qu'elles sont la représentation de forces réelles existantes dans la nation. Une révolution qui ne s'était pas arrêtée devant les grilles du château de Versailles aurait-elle donc respecté cette distinction métaphysique du pouvoir en deux natures?

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