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dans des intérêts d'ordre et de bienfaisance, le roi donnait des sommes mensuelles pour être distribuées utilement, soit dans les rangs de la garde nationale, soit dans les quartiers dont on redoutait l'insurrection. M. de la Fayette et Péthion lui-même touchèrent souvent, pour cet usage, des secours du roi. Ce prince pouvait donc, en se servant alors de ce moyen de diriger l'élection du maire de Paris et en se joignant au parti constitutionnel, déterminer le choix de Paris en faveur de M. de la Fayette.

M. de la Fayette était un des premiers auteurs de cette révolution qui avait abaissé le trône. Son nom était dans toutes les humiliations de la cour, dans tous les ressentiments de la reine, dans toutes les terreurs du roi. Il avait été d'abord leur effroi, puis leur protecteur, enfin leur gardien. Pouvait-il être désormais leur espérance? Cette place de maire de Paris, ce grand pouvoir civil et populaire, après cette longue dictature armée dans la capitale, ne seraient-ils pas pour M. de la Fayette un second marchepied, qui l'élèverait plus haut que le trône et qui jetterait le roi et la constitution dans l'ombre? Cet homme, avec des idées théoriques libérales, avait de bonnes intentions; il voulait dominer plus que régner; mais pouvait-on se fier à de bonnes intentions si souvent vaincues? N'était-ce pas le cœur plein de ces bonnes intentions qu'il avait usurpé le commandement de la milice. civique? renversé la Bastille avec les gardes françaises insurgées ? marché à Versailles, à la tête de la populace de Paris? laissé forcer le château le 6 octobre? arrêté la famille royale à Varennes et gardé le roi prisonnier dans son palais? Résisterait-il si le peuple lui commandait plus? S'arrêterait-il au milieu du rôle de Washington français après en avoir accompli plus de la moitié? D'ailleurs, le cœur humain est ainsi fait, qu'on aime mieux se jeter dans les mains de ceux qui nous perdent, que de chercher son salut dans les mains de celui qui nous rabaisse. La Fayette abaissait le roi et surtout la reine. Une indépendance respectueuse était l'expression habituelle de

la figure de la Fayette en présence de Marie-Antoinette. On lisait dans l'attitude du général, on reconnaissait dans ses paroles, on démêlait dans son accent, sous les formes froides et polies de l'homme de cour, l'inflexibilité du citoyen. La reine préférait le factieux. Elle s'en expliquait ouvertement avec ses confidents. « M. de la Fayette, leur disait-elle, ne veut être maire de Paris que pour devenir bientôt maire du palais. Péthion est jacobin, républicain, mais c'est un sot incapable d'être jamais un chef de parti; ce sera un maire nul. D'ailleurs, il est possible que l'intérêt qu'il sait que nous prenons à sa nomination le ramène au roi. "

Péthion était fils d'un procureur au présidial de Chartres. Compatriote de Brissot, il s'était nourri avec lui des mêmes études, de la même philosophie et des mêmes haines. C'étaient deux hommes d'un même esprit. La Révolution, qui avait été l'idéal de leur jeunesse, les avait appelés le même jour sur la scène, mais pour des rôles différents. Brissot, écrivain, aventurier politique, journaliste, était l'homme des idées; Péthion était l'homme de main. Il avait dans la figure, dans le caractère et dans le talent, cette médiocrité solennelle qui convient à la foule et qui la charme: il était probe, du moins; vertu que le peuple apprécie au-dessus de toutes les autres dans ceux qui manient les affaires publiques. Appelé par ses concitoyens à l'Assemblée nationale, il s'y était fait un nom par ses efforts plus que par ses succès. Rival heureux de Robespierre et son ami alors, ils avaient formé à eux seuls ce parti populaire, à peine aperçu au commencement, qui professait la démocratie pure et la philosophie de Jean-Jacques Rousseau, pendant que Cazalès, Mirabeau et Maury, la noblesse, le clergé et la bourgeoisie se disputaient seulement le gouvernement. Le despotisme d'une classe paraissait à Robespierre et à Péthion aussi odieux que le despotisme d'un roi. Le triomphe du tiers-état leur importait peu, tant que le peuple entier, c'est-à-dire l'humanité, dans son acception la plus large, ne triomphait

pas. Ils s'étaient donné pour tâche, non la victoire d'une classe sur une autre, mais la victoire et l'organisation d'un principe divin et absolu : l'humanité. C'était là leur faiblesse dans les premiers jours de la Révolution; ce fut plus tard leur force. Péthion commençait à la recueillir. Il s'était insinué insensiblement par ses doctrines et par ses discours dans la confiance du peuple de Paris; il tenait aux hommes de lettres par la culture de l'esprit, au parti d'Orléans par sa liaison intime avec madame de Genlis, favorite du prince et gouvernante de ses enfants. On parlait de lui, ici comme d'un sage qui voulait porter la philosophie dans la constitution, là comme d'un conspirateur profond qui voulait saper le trône ou y faire monter avec le duc d'Orléans les intérêts et la dynastie du peuple. Cette double renommée lui profitait également. Les honnêtes gens le portaient comme honnête homme; les factieux, comme factieux: la cour ne daignait pas le craindre; elle voyait en lui un innocent utopiste; elle avait pour lui cette indulgence du mépris que les aristocraties ont partout pour les hommes de foi politique; d'ailleurs Péthion la débarrassait de la Fayette. Changer d'ennemi, pour elle, c'était au moins respirer.

Ces trois éléments de succès firent triompher Péthion à une immense majorité; il fut nommé maire de Paris par plus de six mille suffrages. La Fayette n'en obtint que trois mille. Il put du fond de sa retraite momentanée mesurer à ce chiffre le déclin de sa fortune: la Fayette représentait la ville, Péthion représentait la nation. La bourgeoisie armée sortait des affaires avec l'un; le peuple y entrait avec l'autre. La Révolution marquait par un nom propre le nouveau pas qu'elle avait fait.

A peine élu, Péthion alla triompher aux Jacobins l fut porté à la tribune sur les bras des patriotes. Le vieux Dusault, qui l'occupait en ce moment, balbutia quelques paroles entrecoupées de sanglots, en l'honneur de son élève. « Je regarde M. Péthion comme mon fils, s'écria-t-il, c'est bien hardi, sans doute ! » Péthion, attendri, s'élança

dans les bras du vieillard. Les tribunes applaudirent et pleurèrent.

Les autres nominations furent faites dans le même esprit. Manuel fut nommé procureur de la commune; Danton substitut: ce fut le premier degré de sa fortune populaire; il ne le dut pas, comme Péthion, à l'estime publique, mais à sa propre intrigue. Il fut nommé malgré sa réputation. Le peuple excuse trop souvent les vices qui le servent.

La nomination de Péthion à la place de maire de Paris donnait aux Girondins un point d'appui fixe dans la capitale. Paris échappait au roi, comme l'Assemblée. L'œuvre de l'Assemblée constituante s'écroulait en trois mois.

Les rouages se brisaient avant de fonctionner. Tout présageait un choc prochain entre le pouvoir exécutif et le pouvoir de l'Assemblée. D'où venait cette décomposition si prompte? C'est le moment de jeter un regard sur cette œuvre de l'Assemblée constituante et sur ses auteurs.

LIVRE SEPTIÈME.

I.

L'Assemblée constituante avait abdiqué dans une tem

pête.

Cette Assemblée avait été la plus imposante réunion d'hommes qui eût jamais représenté, non pas la France, mais le genre humain. Ce fut en effet le concile œcuménique de la raison et de la philosophie modernes. La nature semblait avoir créé exprès, et les différents ordres de la société avoir mis en réserve, pour cette œuvre, les génies, les caractères et même les vices les plus propres à donner, à ce foyer des lumières du temps, la grandeur, l'éclat et le mouvement d'un incendie destiné à consumer les débris d'une vieille société, et à en éclairer une nouvelle. Il y avait des sages comme Bailly et Mounier, des penseurs comme Siéyès, des factieux comme Barnave, des hommes d'État comme Talleyrand, des hommes époques comme Mirabeau, des hommes principes comme Robespierre. Chaque cause y était personnifiée par ce qu'un parti avait de plus haut. Les victimes aussi y étaient il

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