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phète, au rabbin d'offrir ses holocaustes? Jusqu'où, me direz-vous, ira cette étrange tolérance? Et jusqu'où, vous dirai-je à mon tour, porterez-vous l'arbitraire et la persécution? Quand la loi aura réglé les rapports des actes civils, la naissance, le mariage, les sépultures, avec les actes religieux par lesquels le chrétien les consacre, quand la loi permettra sur les deux autels le même sacrifice, par quelle inconséquence n'y laisserait-elle pas couler la vertu des mêmes sacrements? Ces temples, dira-t-on encore, seront les conciliabules des factieux! Oui, s'ils sont clandestins comme les persécuteurs voudraient les faire; mais, si ces temples sont ouverts et libres, l'œil de la loi y pénétrera, comme partout; ce ne sera plus la foi, ce sera le crime qu'elle y surveillera et qu'elle y atteindra; et que craignez-vous? Le temps est pour vous; cette classe des non-assermentés s'éteindra sans se renouveler; un culte salarié par des individus et non par l'État tend à s'affaiblir constamment; les factions du moins qu'anime au commencement la divinité des croyances s'adoucissent et se concilient dans la liberté. Voyez l'Allemagne! voyez la Virginie, ou des cultes opposés s'empruntent mutuellement les mêmes sanctuaires, et où les sectes différentes fraternisent dans le même patriotisme! Voilà à quoi il faut tendre: c'est de ces principes qu'il faut graduellement inonder le peuple. La lumière doit être le grand précurseur de la loi. Laissons au despotisme de préparer par l'ignorance ses esclaves à ses commandements.

VIII.

Ducos, jeune et généreux Girondin, chez qui l'enthousiasme de l'honnête l'emportait sur les tendances de son parti, demanda l'impression de ce discours. Sa voix se perdit au milieu des applaudissements et des murmures, témoignage de l'indécision et de la partialité des esprits. Fauchet répliqua à la séance suivante et démontra la con

nexité des troubles civils et des querelles religieuses. « Les prêtres, dit-il, sont une tyrannie dépossédée et qui tient encore dans les consciences les fils mal rompus de sa puissance. C'est une faction irritée et non désarmée! C'est la plus dangereuse des factions. "

Gensonné parla en homme d'État et conseilla la tolérance envers les prêtres consciencieux, la répression sévère mais légale envers les prêtres perturbateurs. Pendant cette discussion, les courriers arrivés des départements apportaient chaque jour la nouvelle de nouveaux désordres. Partout les prêtres constitutionnels étaient insultés, chassés, massacrés au pied des autels; les églises des campagnes, fermées par ordre de l'Assemblée nationale, étaient enfoncées à coups de hache; les prêtres réfractaires y rentraient, portés par le fanatisme du peuple. Trois villes étaient assiégées, et sur le point d'être incendiées par les habitants des campagnes. La guerre civile, menaçante, semblait préluder à la contre-révolution. " Voilà, s'écria Isnard, où vous conduisent la tolérance et l'impunité qu'on vous prêche! »

Isnard, député de la Provence, était le fils d'un parfumeur de Grasse. Son père l'avait élevé pour les lettres et non pour le commerce: il avait fait dans l'antiquité grecque et romaine l'étude de la politique. Il avait dans l'ame l'idéal d'un Gracque, il en avait le courage dans le cœur et l'accent dans la voix; très-jeune encore, son éloquence avait les bouillonnements de son sang; sa parole n'était que le feu de sa passion, coloré par une imagination du Midi; son langage se précipitait comme les pulsations rapides de l'impatience. C'était l'élan révolutionnaire personnifié. L'Assemblée le suivait haletante, et ar rivait avec lui à la fureur avant d'arriver à la conviction. Ses discours étaient des odes magnifiques, qui élevaient la discussion jusqu'au lyrisme, et l'enthousiasme jusqu'à la convulsion; ses gestes tenaient du trépied plus que de la tribune: il était le Danton de la Gironde, dont Vergniaud devait être le Mirabeau.

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FX.

C'était la première fois qu'il se levait dans l'Assemblée. « Oui, dit-il, voilà où vous conduit l'impunité; elle est toujours la source des grands crimes et aujourd'hui elle est la seule cause de la désorganisation sociale où nous sommes plongés. Les systèmes de tolérance qu'on vous a proposés seraient bons pour des temps de calme; mais doit-on tolérer ceux qui ne veulent tolérer ni la constitution ni les lois? Sera-ce quand le sang français aura teint enfin les flots de la mer que vous sentirez enfin les dangers de l'indulgence? Il est temps que tout se soumette à la volonté de la nation; que tiares, diadèmes et encensoirs cèdent enfin au sceptre des lois. Les faits qui viennent de vous être exposés ne sont que le prélude de ce qui va se passer dans le reste du royaume. Considérez les circonstances de ces troubles et vous verrez qu'ils sont l'effet d'un système désorganisateur contemporain de la -constitution: ce système est né là. (Il montre du geste le côté droit). Il est sanctionné à la cour de Rome. Ce n'est pas un véritable fanatisme que nous avons à démasquer, ee n'est que l'hypocrisie! Les prêtres sont des perturbateurs privilégiés qui doivent être punis de peines plus sévères que les simples particuliers. La religion est un instrument tout-puissant. Le prêtre, dit Montesquieu, prend l'homme au berceau et l'accompagne jusqu'à la tombe: est-il étonnant qu'il ait tant d'empire sur l'esprit du peuple, et qu'il faille faire des lois pour que, sous prétexte de religion, il ne trouble pas la paix publique? Or, quelle peut être cette loi? Je soutiens qu'il n'y en a qu'une d'efficace: c'est l'exil hors du royaume. (Les tribunes couvrent ces mots de longs applaudissements.) Ne voyezvous pas qu'il faut séparer le prêtre factieux du peuple qu'il égare, et renvoyer ces pestiférés dans les lazarets de l'Italie et de Rome? Cette mesure, me dit-on, est trop sévère. Quoi! vous êtes donc aveugles et sourds à tout

ce qui se passe? Ignorez-vous qu'un prêtre peut faire plus de mal que tous vos ennemis? On répond: Il ne faut pas persécuter. Je réplique que punir n'est pas persécuter. Je réponds encore à ceux qui répètent ce que j'ai entendu dire ici à l'abbé Maury, que rien n'est plus dangereux que de faire des martyrs: ce danger n'existe que quand Vous avez à frapper des fanatiques de bonne foi ou des hommes vraiment saints qui pensent que l'échafaud est le marchepied du ciel. Ici ce n'est pas le cas; car s'il existe des prêtres qui, de bonne foi, réprouvent la constitution, ceux-là ne troublent pas l'ordre public. Ceux qui le troublent sont des hommes qui ne pleurent sur la religion que pour recouvrer leurs priviléges perdus; ce sont ceux-là qu'il faut punir sans pitié, et certes ne craignez pas d'augmenter par là la force des émigrants: car on sait que le prêtre est lâche, aussi làche qu'il est vindicatif; qu'il ne connaît d'autre arme que celle de la superstition, et qu'accoutumé à combattre dans l'arène mystérieuse de la confession, il est nul sur tout autre champ de bataille. Les foudres de Rome s'éteindront sur le bou-* clier de la liberté. Les ennemis de votre régénération ne se lasseront pas; non, ils ne se lasseront pas de crimes tant que vous leur en laisserez les moyens. Il faut que vous les vainquiez, ou que vous soyez vaincus par eux: quiconque ne voit pas cela est aveugle. Ouvrez l'histoire, vous verrez les Anglais soutenir pendant cinquante ans une guerre désastreuse pour défendre leur révolution. Vous verrez en Hollande des flots de sang couler dans la guerre contre Philippe d'Espagne. Quand, de nos jours, les Philadelphiens ont voulu être libres, n'avez-vous pas vu aussitôt la guerre dans les deux mondes? Vous avez été témoins des malheurs récents du Brabant. Et vous croyez que votre révolution, qui a enlevé au despotisme son sceptre, à l'aristocratie ses priviléges, à la noblesse son orgueil, au clergé son fanatisme une révolution qui a tari tant de sources d'or sous la main du prêtre, déchiré tant de frocs, abattu tant de théories, qu'une telle révolution, dis-je, vous par

donnera? Non, non! Il faut un dénoûment à cette révolution! Je dis que, sans le provoquer, il faut marcher vers ce dénoùment avec intrépidité. Plus vous tarderez, plus votre triomphe sera difficile et arrosé de sang. " (De violents murmures s'élèvent dans une partie de la salle).

Mais ne voyez-vous pas, reprend Isnard, que tous les contre-révolutionnaires se tiennent et ne vous laissent d'autre parti que celui de les vainere? Il vaut mieux avoir à les combattre pendant que les citoyens sont encore en haleine et qu'ils se souviennent des dangers qu'ils ont courus, que de laisser le patriotisme se refroidir! N'estil pas vrai que nous ne sommes déjà plus ce que nous étions dans la première année de la liberté? (Une partie de la salle applaudit, l'autre se soulève). Alors, si le fanatisme eùt levé la tête, la loi l'aurait abattue! Votre politique doit être de forcer la victoire à se prononcer. Poussez à bout vos ennemis, vous les ramènerez par la crainte ou vous les soumettrez par le glaive. Dans les grandes circonstances, la prudence est une faiblesse. C'est surtout à l'égard des révoltés qu'il faut être tranchant. Il faut les écraser dès qu'ils se lèvent. Si on les laisse se rassembler et se faire des partisans, alors ils se répandent dans l'empire comme un torrent que rien ne peut plus arrêter. C'est ainsi qu'agit le despotisme, et voilà comment un seul individu retient sous son joug tout un peuple. Si Louis XVI eût employé ces grands moyens pendant que la Révolution n'était encore éclose que dans les pensées, nous ne serions pas ici! Cette rigueur est un erime dans un despote, elle est une vertu dans une nation. Les législateurs qui reculent devant ces moyens extrêmes sont làches et coupables; car, quand il s'agit d'attentat à la liberté politique, pardonner le crime c'est le partager." (On applaudit de nouveau).

Une pareille rigueur fera peut-être couler le sang, je le sais! Mais, si vous ne l'employez pas, n'en coulera-t-il pas bien plus encore? La guerre civile n'est-elle pas un

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