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naitre plus complètement quand la lutte aurait cessé par le triomphe de la liberté.

Trois choses étaient donc évidentes pour les esprits réfléchis dès le mois d'avril 1791: l'une, que le mouvement révolutionnaire commencé marcherait de conséquence en conséquence à la restauration complète de tous les droits en souffrance dans l'humanité, depuis ceux des peuples devant leurs gouvernements jusqu'à ceux du citoyen devant les castes, et du prolétaire devant les citoyens; poursuivrait la tyrannie, le privilége, l'inégalité, l'égoïsme, non-seulement sur le trône, mais dans la loi civile, dans l'administration, dans la distribution légale de la propriété, dans les conditions de l'industrie, du travail, de la famille, et dans tous les rapports de l'homme avec l'homme et de l'homme avec la femme; la seconde, que ce mouvement philosophique et social de démocratie chercherait sa forme naturelle dans une forme de gouvernement analogue à son principe et à sa nature, c'est-à-dire expressive de la souveraineté du peuple: république à une ou à plusieurs têtes; la troisième enfin, que l'émancipation sociale et politique entraînerait avec elle une émancipation intellectuelle et religieuse de l'esprit humain; que la liberté de penser, de parler et d'agir ne s'arrêterait pas devant la liberté de croire; que l'idée de Dieu, confinée dans les sanctuaires, en sortirait pour rayonner dans chaque conscience libre de la lumière de la liberté même; que cette lumière, révélation pour les uns, raison pour les autres, ferait éclater de plus en plus la vérité et la justice, qui découlent de Dieu sur la terre.

VII.

La pensée humaine, comme Dieu, fait le monde à son image.

La pensée s'était renouvelée par un siècle de philosophie.

Elle avait à transformer le monde social.

La Révolution française était donc au fond un spiritualisme sublime et passionné. Elle avait un idéal divin et universel. Voilà pourquoi elle passionnait au delà des frontières de la France. Ceux qui la bornent la mutilent. Elle était l'avénement de trois souverainetés morales:

La souveraineté du droit sur la force;

La souveraineté de l'intelligence sur les préjugés;
La souveraineté des peuples sur les gouvernements.
Révolution dans les droits: l'égalité.

Révolution dans les idées: le raisonnement substitué à l'autorité.

Révolution dans les faits: le règne du peuple.

Un évangile des droits sociaux. Un évangile des devoirs. Une charte de l'humanité.

La France s'en déclarait l'apôtre. Dans ce combat d'idées, la France avait des alliés partout, et jusque sur les

trônes.

VIII.

Il y a des époques dans l'histoire du genre humain où les branches desséchées tombent de l'arbre de l'humanité, et où les institutions vieillies et épuisées s'affaissent sur elles-mêmes pour laisser place à une sève et à des institutions qui renouvellent les peuples en rajeunissant les idées. L'antiquité est pleine de ces transformations, dont on entrevoit seulement les traces dans les monuments et dans l'histoire. Chacune de ces catastrophes d'idées entraîne avec elle un vieux monde dans sa chute, et donne son nom à une nouvelle civilisation. L'Orient, la Chine, l'Égypte, la Grèce, Rome ont vu ces ruines et ces renaissances. L'Occident les a éprouvées quand la théocratie druidique fit place aux dieux et au gouvernement des Romains. Byzance, Rome et l'Empire les opérèrent rapidement et comme instinctivement eux-mêmes,

quand, lassés et rougissant du polythéisme, ils se levèrent à la voix de Constantin contre leurs dieux, et balayèrent, comme un vent de colère, ces temples, ces idées et ces cultes que la populace habitait encore, mais d'où la partie supérieure de la pensée humaine s'était déjà retirée. La civilisation de Constantin et de Charlemagne vieillissait à son tour, et les croyances qui portaient depuis dix-huit siècles les autels et les trônes, s'affaiblissant dans les esprits, menaçaient le monde religieux et le monde politique d'un écroulement qui laisse rarement le pouvoir debout quand la foi chancelle. L'Europe monarchique était l'œuvre du catholicisme. La politique s'était faite à l'image de l'Église. L'autorité y était fondée sur un mystère. Le droit y venait d'en haut. Le pouvoir, comme la foi, était réputé divin. L'obéissance des peuples y était sacrée, et, par là même, l'examen était un blasphème et la servitude y devenait une vertu. L'esprit philosophique, qui s'était révolté tout bas, depuis trois sièeles, contre une doctrine que le scandales, les tyrannies et les crimes des deux pouvoirs démentaient tous les jours, ne voulait plus reconnaître un titre divin dans des puissances qui niaient la raison, qui asservissaient les peuples. Tant que le catholicisme avait été la seule doctrine légale en Europe, ces révoltes sourdes de l'esprit n'avaient point ébranlé les Etats. Elles avaient été punies par la main des princes. Les cachots, les supplices, les inquisitions, les bûchers avaient intimidé le raisonnement et maintenu debout le double dogme sur lequel reposaient les deux gouvernements.

Mais l'imprimerie, cette explosion continue de la pensée humaine, avait été, pour les peuples, comme une seconde révélation. Employée d'abord exclusivement par l'Église à la vulgarisation des idées régnantes, elle avait commencé bientôt à les saper. Les dogmes du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, sans cesse battus par ces flots de lumière, ne devaient pas tarder à s'ébranler, dans l'esprit d'abord et bientôt dans les choses. Guttenberg,

LAMARTINE. I.

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sans le savoir, avait été le mécanicien d'un nouveau monde. En créant la communication des idées, il avait assuré l'indépendance de la raison. Chaque lettre de cet alphabet qui sortait de ses doigts contenait en elle plus de force que les armées des rois et que les foudres des pontifes. C'était l'intelligence qu'il armait de la parole. Ces deux forces sont maîtresses de l'homme: elles devaient l'étre plus tard de l'humanité. Le monde intellectuel était né d'une invention matérielle: il avait promptement grandi. La réforme religieuse en était sortie.

L'empire du christianisme catholique avait subi d'immenses démembrements. La Suisse, une partie de l'Allemagne, la Hollande, l'Angleterre, des provinces entières de la France avaient été soustraites au centre d'autorité religieuse, et avaient passé à la doctrine du libre examen. L'autorité divine attaquée et contestée dans le catholicisme, l'autorité du trône restait à la merci des peuples. La philosophie, plus puissante que la sédition, s'en était approchée de plus en plus avec moins de respect et moins de crainte. L'histoire avait pu écrire les faiblesses ou les crimes des rois. Les publicistes avaient osé la commenter; les peuples avaient osé conclure. Les institutions sociales avaient été pesées au poids de leur utilité réelle pour l'humanité. Les esprits les plus pieux envers le pouvoir avaient parlé aux souverains de devoirs, aux peuples de droits. Les hardiesses saintes du christianisme avaient retenti jusque dans la chaire sacrée, en face de Louis XIV. Bossuet, cc génie sacerdotal de l'ancienne synagogue, avait entremêlé ses adulations orgueilleuses à Louis XIV de quelques-uns de ces avertissements austères qui consolent les peuples de leur abaissement. Fénelon, ce génie évangélique et tendre de la loi nouvelle, avait écrit ses instructions aux princes et son Télémaque dans le palais d'un roi et dans le cabinet de l'héritier du trône. La philosophie politique du christianisme, cette insurrection de la justice en faveur des faibles, s'était glissée, par ses lèvres, entre Louis XIV et l'oreille de son

petit-fils. Fénelon élevait toute une révolution dans le due de Bourgogne. Le roi s'en était aperçu trop tard, et avait chassé la séduction divine de son palais. Mais la politique révolutionnaire y était née. Les peuples la lisaient dans les pages du saint archevêque. Versailles devait être à la fois, grâce à Louis XIV et à Féncion, le palais du despotisme et le berceau de la Révolution. Montesquieu avait sondé les institutions et analisé les lois de tous les peuples. En classant les gouvernements il les avait comparés; en les comparant il les avait jugés. Ce jugement faisait ressortir et contraster à toutes les pages le droit et la force, le privilége et l'égalité, la tyrannie et la liberté.

Jean-Jacques Rousseau, moins ingénieux, mais plus éloquent, avait étudié la politique, non dans les lois, mais dans la nature. Ame libre, mais opprimée et souffrante, le soulèvement généreux de son cœur avait soulévé tous les cœurs ulcérés par l'inégalité odieuse des conditions sociales. C'était la révolte de l'idéal contre la réalité. Il avait été le tribun de la nature, le Gracchus des philosophes; il n'avait pas fait l'histoire des institutions, il en avait fait le rêve; mais ce rêve venait du ciel et il y remontait. On y sentait le dessein de Dieu et la chaleur de son amour; on n'y sentait pas assez l'infirmité des hommes. C'était l'utopie des gouvernements; mais par là même Rousseau séduisait davantage. Pour passionner les peuples il faut qu'un peu d'illusion se mêle à la vérité; la réalité seule est trop froide pour fanatiser l'esprit humain: il ne se passionne que pour des choses un peu plus grandes que nature; c'est ce qu'on appelle l'idéal, c'est l'attrait et la force des religions, qui aspirent toujours plus haut qu'elles ne montent; c'est ce qui produit le fanatisme, ce délire de la vertu. Rousseau était l'idéal de la politique, comme Fénelon avait été l'idéal du christianisme.

Voltaire avait eu le génie de la critique, la négation railleuse, qui flétrit tout ce qu'elle renverse. Il avait fait

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