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dont le terme de la révolution doit être aussi le terme; vous verriez renaître à l'extérieur des espérances, des projets, des tentatives que nous bravons hautement, parce que nous sentons nos forces et que nous sommes unis, parce que nous savons que tant que nous sommes unis, on ne les entreprendra pas, et que si l'extravagance osait le tenter, ce sera toujours à sa honte. Mais les tentatives qui s'effectueraient et sur le succès desquelles on pourrait compter avec quelque vraisemblance, une fois que, divisés entre nous, ne sachant à qui nous devons croire, nous nous supposons des projets divers quand nous n'avons que les mêmes projets, des sentiments contraires quand chacun de nous a dans son cœur le témoignage de la pureté de son collègue, quand deux ans de travaux entrepris ensemble, quand des preuves consécutives de courage, quand des sacrifices que rien ne peut payer, si ce n'est la satisfaction de soi-même... » Ici la voix de Barnave expire dans les applaudissements de la majorité, et l'Assemblée, électrisée, semble un instant unanime dans son sentiment monarchique.

X.

Dans la séance du 28 août, l'Assemblée discuta l'article de la constitution portant que les membres de la famille royale ne pourraient exercer les droits de citoyen. Le duc d'Orléans monta à la tribune pour protester contre cet article, et déclara, au milieu des applaudissements et des murmures, que s'il était adopté, il lui restait le droit d'opter entre le titre de citoyen français et son droit éventuel au trône, et que, dans ce cas, il renonçait au trône. Sillery, l'ami et le confident de ce prince, prit la parole après lui et combattit avec une habile éloquence les conclusions du comité. Ce discours, plein d'allusions transparentes à la situation du duc d'Orléans, fut le seul acte d'ambition directe tenté par le parti d'Orléans. Sillery commença par répondre en face aux paroles de Barnave. " Qu'il me soit permis, dit-il, de gémir sur le dé

plorable abus que quelques orateurs ont fait de leur talent. Quel étrange langage! On cherche à vous faire entendre qu'il y a ici des factieux, des anarchistes, des ennemis de l'ordre, comme si l'ordre ne pouvait exister qu'en satisfaisant l'ambition de quelques individus!... On vous propose d'accorder à tous les individus de la famille royale le titre de prince, et de les priver des droits de citoyen? Quelle inconséquence et quelle ingratitude! Vous déclarez le titre de citoyen français le plus beau des titres, et vous proposez de l'échanger contre le titre de prince, que vous avez supprimé comme contraire à l'égalité! Les parents du roi qui sont restés en France n'ontils pas constamment montré le patriotisme le plus pur? Quels services n'ont-ils pas rendus à la cause publique par leur exemple et par leurs sacrifices! N'ont-ils pas d'eux-mêmes abjuré leurs titres pour un seul, pour celui de citoyen? et vous proposez de les en dépouiller! Quand vous avez supprimé le titre de prince, qu'est-il arrivé? Les princes fugitifs ont fait une ligue contre la patrie; les autres se sont rangés avec nous. Si on rétablit aujourd'hui le titre de prince, on accorde aux ennemis de la patrie tout ce qu'ils ambitionnèrent, on enlève aux parents du roi patriotes tout ce qu'ils estiment!... Je vois le triomphe et la récompense du côté des princes conspirateurs, je vois la punition de tous les sacrifices du côté des princes populaires. On prétend qu'il est dangereux d'admettre dans le Corps législatif des membres de la famille royale. On établit donc, dans cette hypothèse, qu'à l'avenir tous les individus de la famille royale seront à perpétuité des courtisans vendus, ou des factieux! Cependant, n'est il pas possible de supposer qu'il s'en trouve aussi, de patriotes? Est-ce ceux-là que vous voulez flétrir? Vous condamnez les parents du roi à haïr la constitution et à conspirer contre une forme de gouvernement qui ne leur laisse le choix qu'entre le rôle de courtisans ou le rôle de conspirateurs!... Voyez, au contraire, ce qu'il est possible d'en attendre, si l'amour de la patrie les enflamme. Jetez vos regards

sur un des rejetons de cette race que l'on vous propose d'exiler; à peine sorti de l'enfance, il a déjà eu le bonheur de sauver la vie à trois citoyens, au péril de la sienne. La ville de Vendôme lui a décerné une couronne civique. Malheureux enfant! sera-ce la dernière que ta race obtiendra?...

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Les applaudissements dont ce discours fut constamment interrompu, et qui suivirent l'orateur long-temps après qu'il eut cessé de parler, prouvèrent que la pensée d'une dynastie révolutionnaire tentait déjà quelques ames, et que, s'il n'existait pas une faction d'Orléans, il ne lui manquait, du moins, qu'un chef. Robespierre, qui ne détestait pas moins une faction dynastique que la monarchie elle même, vit avec terreur ce symptôme d'un pouvoir nouveau qui apparaissait dans l'éloignement. "Je remarque, répondit-il, qu'on s'occupe trop des individus. et pas assez de l'intérêt national. Il n'est pas vrai qu'on veuille dégrader les parents du roi. On ne veut pas les mettre au-dessous des autres citoyens; on veut les séparer du peuple par une marque honorifique. A quoi bon leur chercher des titres? Les parents du roi seront simplement les parents du roi. L'éclat du trône n'est pas dans ces vaniteuses dénominations. On ne peut pas impunément déclarer qu'il existe en France une famille quelconque au-dessus des autres; elle serait à elle seule la noblesse. Cette famille resterait au milieu de nous comme la racine indestructible de cette noblesse que nous avons détruite: elle serait le germe d'une aristocratie nouvelle. » De violents murmures accueillirent ces protestations de Robespierre. Il fut obligé de s'interrompre et de s'excuser. « Je vois, dit-il en finissant, qu'il ne nous est plus permis de professer ici, sans être calomnié, les opinions que nos adversaires ont soutenues les premiers dans cette assemblée. »

XI.

Mais tout le noeud de la situation était dans la question de savoir si, la constitution une fois achevée, la nation se reconnaîtrait, dans la constitution même, le droit de la reviser et de la changer. Ce fut dans cette occasion que Malouet, quoique abandonné de son parti, tenta seul, et sans espérance, la restauration de l'autorité royale. Ce discours, digne du génie de Mirabeau, était l'acte d'accusation le plus terrible contre les excès du peuple et contre les égarements de l'Assemblée. La modération y tempérait la force; on sentait l'homme de bien sous l'orateur, et dans le législateur l'homme d'État. Quelque chose de l'ame sereine et stoïque de Caton respire dans ces paroles; mais l'éloquence politique est plus dans le peuple qui écoute, que dans l'homme qui parle. La voix n'est rien sans le retentissement, qui la multiplie. Malouet, déserté des siens, abandonné par Barnave, qui l'écoutait en gémissant, ne parlait plus que pour sa conscience; il ne combattait plus pour la victoire, mais pour son principe. Voici ce discours:

"On vous propose de déterminer l'époque et les conditions de l'exercice d'un nouveau pouvoir constituant; on vous propose de subir vingt-cinq ans de désordre et d'anarchie avant d'avoir le droit d'y remédier. Remarquez d'abord dans quelles circonstances on vous propose d'imposer silence aux réclamations de la nation sur ses nouvelles lois; c'est lorsque vous n'avez encore entendu que l'opinion de ceux dont ces nouvelles lois favorisent les instincts et les passions, lorsque toutes les passions contraires sont subjuguées par la terreur ou par la force; c'est lorsque la France ne s'est encore expliquée que par l'organe de ses clubs!... Quand il a été question de suspendre l'exercice de l'autorité royale elle-même, que vous a-t-on dit à cette tribune? On vous a dit: Nous aurions dû commencer la révolution par là; mais nous

ne connaissions pas notre force. Ainsi, il ne s'agit pour vos successeurs que de mesurer leurs forces pour tenter de nouvelles entreprises... Tel est, en effet, le danger de faire marcher de front une révolution violente et une constitution libre. L'une ne s'opère que dans le tumulte des passions et des armes, l'autre ne peut s'établir que par des transactions amiables entre les intérêts anciens et les intérêts nouveaux. (On rit, on murmure, on crie: Nous y voilà!) On ne compte pas les voix, on ne discute pas les opinions pour faire une révolution. Une révolution est une tempête durant laquelle il faut serrer ses voiles ou être submergé. Mais, après la tempête, ceux qui en ont été battus, comme ceux qui n'en ont pas souffert, jouissent en commun de la sérénité du ciel. Tout redevient calme et pur sous l'horizon. Ainsi, après une révolution, il faut que la constitution, si elle est bonne, rallie tous les citoyens. Il ne faut pas qu'il y ait un seul homme dans le royaume qui puisse courir des dangers pour sa vie en s'expliquant franchement sur la constitution. Sans cette sécurité, il n'y a point de vœu certain, point de jugement, point de liberté; il n'y aura qu'un pouvoir prédominant, une tyrannie, populaire ou autre, jusqu'à ce que vous ayez séparé la constitution des mouvements de la révolution! Voyez tous ces principes de justice, de morale et de liberté que vous avez posés, accueillis avec des cris de joie et des serments redoublés, mais violés aussitôt avec une audace et des fureurs inouïes... C'est au moment où la plus sainte, où la plus libre des constitutions se proclame, que les attentats les plus horribles contre la liberté, contre la propriété, que dis-je? contre l'humanité et la conscience, se multiplient et se perpétuent! Comment ce contraste ne vous effrayet-il pas ? Je vais vous le dire. Trompés vous-mêmes sur le mécanisme d'une société politique, vous en avez cherché la régénération sans penser à sa dissolution; vous avez considéré comme un obstacle à vos vues le mécontentement des uns, et comme moyen l'exaltation des au

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