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tége royal, escorté de trois ou quatre mille gardes nationaux, se dirigea lentement vers Paris.

XXV.

Que faisait pourtant, pendant cette longue agonie du roi, le marquis de Bouillé? Il avait, comme on l'a vu, passé la nuit aux portes de Dun, à deux lieues de Varennes, attendant les courriers qui devaient lui annoncer l'approche des voitures. A quatre heures du matin, craignant d'être découvert et n'ayant vu arriver personne, il regagna Stenay, afin d'être à portée de donner des ordres à ses troupes, s'il était arrivé quelque accident au roi. Il était à quatre heures et demie aux portes de Stenay, quand les deux officiers qu'il y avait pla-cés la veille et le commandant de l'escadron abandonné par ses troupes vinrent l'avertir que le roi était arrêté depuis onze heures du soir. Frappé de stupeur, étonné d'être averti si tard, il donne l'ordre à l'instant au régiment Royal-Allemand, qui était dans Stenay, de monter à cheval et de le suivre. Le colonel du régiment avait reçu la veille l'ordre de tenir les chevaux sellés. Cet ordre n'avait pas été exécuté. Le régiment perdit trois quarts d'heure à se préparer, malgré les messages réitérés de M. de Bouillé, qui envoya son propre fils aux casernes. Le général ne pouvait rien sans ce régiment. Dès qu'il fut en bataille hors de la ville, M. de Bouillé l'aborda avec franchise et voulut sonder lui-même ses dispositions. Votre roi qui venait se jeter dans vos bras, est à quelques lieues de vous, leur dit-il, le peuple de Varennes l'a arrêté. Le laisserez-vous insulté et captif entre les mains de municipaux? Voici ses ordres: il vous attend, il compte les minutes. Marchons à Varennes! Courons le délivrer et le rendre à la nation et à la liberté! Je marche avec vous, suivez-moi!» Les plus vives acclamations accueillirent ces paroles. M. de Bouillé distribua 500 ou 600 louis aux cavaliers et le régiment se mit en

mouvement.

De Stenay à Varennes il y a neuf lieues par un chemin montagneux et difficile. M. Bouillé fit toute la diligence possible. A peu de distance de Varennes il rencontra un premier détachement de Royal-Allemand, arrêté à l'entrée d'un bois par des gardes nationaux, qui tiraient sur les soldats. Il fit charger ces tirailleurs; et prenant lui-même le commandement de cette avant-garde, il arriva à neuf heures un quart devant Varennes. Le régiment suivait de près. M. de Bouillé reconnaissait la ville pour attaquer, quand il aperçut en dehors une troupe de hussards, qui semblait observer aussi la place. C'était l'escadron de Dun, commandé par M. Derlons, et qui avait passé la nuit à attendre les renforts. M. Derlons accourut et apprit à son général que le roi était parti depuis une heure et demie, Il ajouta que le pont de la ville était rompu et les rues barricadées, que les hussards de Clermont et ceux de Varennes avaient fraternisé avec le peuple, et que les commandants de ces détachements, MM. de Choiseul, de Damas et de Guoguelas, étaient prisonniers. M. de Bouillé, désespéré, mais non découragé, résolut de suivre le roi en tournant Varennes et de l'arracher des mains des gardes nationales. Il envoya sonder les gués pour faire traverser la rivière à Royal-Allemand.. On 'n'en trouva pas, bien qu'il y en eût un. Sur ces entrefaites, il apprit que les garnisons de Verdun et de Metz s'avançaient avec des canons pour prêter main-forte au peuple. La campagne se couvrait de gardes nationales et de troupes; les cavaliers montraient de l'hésitation; les chevaux, fatigués de neuf lieues de route, ne pouvaient suffire à une course rapide, nécessaire pour devancer le roi à Sainte-Menehould. Toute énergie tomba avec tout espoir. Le régiment Royal-Allemand tourna bride. M. de Bouillé le ramena silencieusement jusqu'aux portes de Stenay. Suivi seulement de quelques-uns de ses officiers les plus compromis, il se jeta sur le Luxembourg et passa la frontière au milieu des coups de fusil, et désirant la mort plus qu'il n'évitait le supplice.

XXVI.

Cependant les voitures du roi rétrogradaient rapidement vers Châlons, au pas de course des gardes nationales, qui se relayaient pour l'escorter. La population entière se pressait sur les bords des routes pour voir ce roi captif, ramené en triomphe par le peuple, qui s'était cru trahi. Les baïonnettes et les piques des gardes nationaux pouvaient à peine leur frayer passage à travers cette foule, qui grossissait et se renouvelait sans cesse. Les cris et les gestes de fureur, les risées et les outrages ne se lassaient pas. Les voitures avançaient à travers une haie d'opprobres. La clameur du peuple finissait et recommençait à chaque tour de roue. C'était un calvaire de soixante lieues, dont chaque pas était un supplice. Un seul homme, M. de Dampierre, vieux gentilhomme accoutumé au culte de ses rois, ayant voulu s'approcher pour donner un signe de respectueuse compassion à ses maîtres, fut massacré sous les roues de la voiture. La famille royale faillit passer sur ce corps sanglant. La fidélité était le seul crime irrémissible au milieu d'une tourbe de forcenés. Le roi et la reine, qui avaient fait le sacrifice de leur vie, avaient rappelé à eux, pour mourir, toute leur dignité et tout leur courage. Le courage passif était la vertu de Louis XVI, comme si le ciel, qui le destinait au martyre, lui eût donné d'avance cette héroïque acceptation qui ne sait pas combattre, mais qui sait mourir. La reine trouvait dans son sang et dans son orgueil assez de haine contre ce peuple, pour lui rendre en mépris intérieur les insultes dont il la profanait. Madame Élisabeth implorait tout bas le secours d'en haut. Les deux enfants s'étonnaient de la haine de ce peuple qu'on leur avait dit d'aimer et qu'ils n'apercevaient que dans des accès de rage. Jamais l'auguste famille ne serait arrivée vivante jusqu'à Paris, si les commissaires de l'Assemblée, dont la présence imposait au peuple, ne fussent

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arrivés à temps pour intimider et pour gouverner cette sédition renaissante.

Les commissaires rencontrèrent les voitures du roi entre Dormans et Épernay. Ils lurent au roi et au peuple les ordres de l'Assemblée, qui leur donnaient le commandement absolu des troupes et de la garde nationale, sur toute la ligne, et qui leur enjoignaient de veiller non-seulement à la sécurité du roi, mais encore au maintient du respect dû à la royauté dans sa personne. Barnave et Péthion se hâtèrent de monter dans la berline du roi pour partager ses périls et le couvrir de leur corps. Ils parvinrent à le préserver de la mort, mais non des outrages. La rage, éloignée des voitures, s'exerçait plus loin sur la route. Toutes les personnes suspectes d'attendrissement étaient lâchement outragées. Un ecclésiastique s'étant approché, et montrant sur sa physionomie quelques signes de respect et de douleur, fut saisi par le peuple, renversé aux pieds des chevaux, et allait être immolé sous les yeux de la reine. Barnave, par un mouvement sublime, s'elança le corps tout entier hors de la portière: « Français, s'écria-t-il, nation de braves, voulez-vous donc devenir un peuple d'assassins? » Madame Élisabeth, frappée d'admiration pour l'acte courageux de Barnave et craignant qu'il ne se précipitât sur cette foule et n'y fût massacré lui-même le retint par les basques de son habit pendant qu'il haranguait ces furieux. De ce moment-là, la pieuse princesse, la reine, le roi lui-même concurent pour Barnave une secrète estime. Un cœur généreux au milieu de tant de cœurs cruels ouvrit leur ame à une sorte de confidence avec ce jeune député. Ils ne connaissaient de lui que sa renommée de factieux et le bruit de sa voix dans leurs malheurs. Ils furent étonnés de trouver un protecteur respectueux dans l'homme qu'ils considéraient comme un insolent ennemi.

La physionomie de Barnave était forte, mais gracieuse et ouverte, ses manières polies, son langage décent, son attitude attristée, devant tant de beauté, de grandeurs,

et tant de chute! Le roi, dans les moments de calme et de silence, lui adressait souvent la parole et s'entretenait avec lui des événements. Barnave répondait en homme dévoué à la liberté, mais fidèle au trône, et qui ne séparait jamais dans ses plans de régénération la nation de la royauté. Plein d'égards pour la reine, pour madame Élisabeth, pour les augustes enfants, il s'efforçait de dérober à leurs yeux les périls et les humiliations de la route. Gêné sans doute par la présence de son collègue Péthion, s'il n'avoua pas tout haut la séduction de pitié, d'admiration et de respect, qui l'avait vaincu pendant ce voyage, cette séduction se comprenait dans ses actes, et un traité fut conclu par les regards. La famille royale sentit qu'elle avait conquis Barnave, dans cette déroute de tant d'espérances. Toute la conduite de Barnave, depuis ce jour, justifia cette confiance de la reine. Audacieux contre la tyrannie, il fut sans force contre la faiblesse, la grâce et l'infortune. Ce fut ce qui perdit sa vie, mais ce qui grandit sa mémoire. Il n'avait été jusque-là qu'éloquent, il montra qu'il était sensible. Péthion, au contraire, resta froid comme un sectaire, et rude comme un parvenu; il affecta avec la famille royale une brusque familiarité; il mangea devant la reine et jeta les écorces de fruits par la portière, au risque d'en souiller le visage même du roi; quand madame Élisabeth lui versait du vin, il relevait son verre, sans la remercier, pour lui montrer qu'il en avait assez. Louis XVI lui ayant demandé s'il était pour le système des deux chambres ou pour la république: « Je serais pour la république, répondit Péthion, si je croyais mon pays assez mûr pour cette forme de gouvernement. » Le roi, offensé, ne répondit pas et ne proféra plus une seule parole jusqu'à Paris. Les commissaires avaient écrit de Dormans à l'Assemblée pour lui faire connaître l'itinéraire du roi et la prévenir du jour et du moment de leur arrivée. Les approches de Paris offraient les plus grands dangers, par la masse et la fureur du peuple que le cortége avait à

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