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à une puissance sans bornes. Comme si toutes les créatures ne nous rendoient pas cette résurrection très-sensible: un grain de blé meurt dans le sein de la terre, c'est la comparaison de saint Paul, et il faut en effet que ce petit grain pourrisse et qu'il meure; mais ensuite ne Je voyons-nous pas renaître, et n'est-il pas étrange que ce qui vous fait ter de votre résurrection, soit cela même par où la Providence a voulu la rendre plus intelligible? Comme si cette résurrection n'étoit pas très-conforme aux principes de la nature, qui par l'inclination mutuelle du corps et de l'âme, et par l'étroite liaison qu'il y a entre l'un et l'autre, demande qu'ils soient éternellement réunis. Comme si la créance de cette résurrection n'étoit pas une des notions les plus universelles et les plus communes qui se soient répandues dans ce monde: ceux même, disait Tertullien, qui nient la résurrection, la reconnoissent malgré eux, par leurs sacrifices et leurs cérémonies à l'égard des morts. Ce soin d'orner leurs tombeaux et d'en conserver les cendres, est un témoignage d'autant plus divin, qu'il est plus naturel. Ce n'est pas seulement, ajoutoit-il, chez les Chrétiens et chez les Juifs, qu'on a cru que les hommes devoient ressusciter, mais chez les peuples même les plus barbares, chez les païens et les idolâtres; et ce n'a pas seulement été une opinion populaire, mais le sentiment des sages et des savants. Comme si Dieu enfin ne nous avoit pas facilité la foi de cette résurrection par d'autres résurrections qu'on a vues, que des témoins irréprochables ont rapportées, et que nous ne pouvons tenir pour suspectes sans démentir les divines Écritures, et les histoires les plus authentiques. Ah! mon cher auditeur, allons à la source du mal, et apprenez une bonne fois à vous connoître vous-même. Vous avez de la peine à vous persuader qu'il y ait une autre vie, une résurrection, un jugement à la fin des siècles, parce qu'avec cette persuasion il faudroit prendre une conduite toute nouvelle, et que vous en craignez les conséquences: mais les conséquences de votre libertinage sont-elles moins à craindre pour vous et moins affreuses? Dieu indépendamment de votre volonté, vous a créé sans vous, et il saura bien sans vous et malgré vous vous ressusciter : Non quia vis, non resurges; aut si resurrecturum te non credideris, propterea non resurges; ce sont les paroles de saint Augustin: votre résurrection ne dépendra point de votre créance; mais le bonheur ou le malheur de votre résurrection dépendra et de votre créance et de votre vie. Or, quelle surprise à ce dernier jour et quel désespoir, s'il faut ressusciter pour entendre l'arrêt solennel qui vous réprouvera; s'il faut ressusciter pour entrer dans les ténèbres de l'enfer en sortant des ombres de la mort; s'il faut ressusciter pour consommer par la réunion du corps et de l'âme votre damnation, parce que dans une affaire d'une telle importance, vous n'aurez pas voulu prendre un parti aussi sage et aussi certain que l'est celui de croire et de bien vivre?

FLÉCHIER.

Esprit Fléchier, né le 1er juin 1632 à Pernes, dans le comtat d'Avignon, fut d'abord membre de la Congrégation de la Doctrine chrétienne. Il en sortit en 1661, et vint à Paris, où il se fit bientôt connaître par des sermons, et surtout par des oraisons funèbres, qui méritent d'être lues, même après celles de Bossuet. Il fut nommé évêque de Lavaur en 1685, et de Nîmes en 1687. Il y mourut le 16 février 1710. En 1675 il avait été nommé membre de l'Académie française, où il fut reçu le même jour que Racine.

L'oraison funèbre de Julie d'Angennes, duchesse de Montausier (1672), celle du premier président de Lamoignon (1679), surtout celle de Turenne (1676), sont les chefsd'œuvre oratoires de Fléchier, qui a laissé encore une Histoire de Théodose, une Histoire du cardinal Ximénès, des Sermons, des Panégyriques, et de très-intéressants Mémoires sur les Grands-Jours d'Auvergne (1665).

OEuvres complètes de Fléchier, Paris, 1782, 10 vol. in-8. Mémoires sur les Grands-Jours d'Auvergne publiés en 1844 par M. Gonod.

Voir, au sujet de Fléchier, l'Essai sur l'oraison funèbre, de M. Villemain.

Fléchier habile artiste en paroles, pompeux, fleuri, rarement énergique, mais toujours élégant et disert, procède plutôt de Balzac que de Bossuet. Sa phrase harmonieuse et cadencée n'est pas vide, comme celle de Balzac. Il est réellement orateur, et les pensées solides ne lui manquent pas. Son seul tort est de les orner avec trop de coquetterie. Chez lui, la parole n'est plus seulement le vêtement modeste de la pensée. Elle est une parure exquise, que l'on remarque trop. On peut dire de son éloquence ce que dit Fénelon de celle de Cicéron: « L'art y est merveilleux, mais on l'entrevoit. »

1. Lettre à l'Académie.

ORAISON FUNEBRE DU VICOMTE DE TURENNE.

EXORDE.

Fleverunt eum omnis populus Israël planctu magno, et lugebant dies multos, et dixerunt: Quomodo cecidit potens, qui salvum faciebat populum Israël! (I MACH., IX.)

Tout le peuple le pleura amèrement; et, après avoir pleuré durant plusieurs jours, ils s'écrièrent: Comment est mort cet homme puissant, qui sauvoit le peuple d'Israël?

Je ne puis, messieurs, vous donner d'abord une plus haute idée du triste sujet dont je viens vous entretenir qu'en recueillant ces termes nobles et expressifs dont l'Écriture sainte se sert pour louer la vie et pour déplorer la mort du sage et vaillant Macchabée. Cet homme, qui portoit la gloire de sa nation jusqu'aux extrémités de la terre; qui couvroit son camp du bouclier, et forçoit celui des ennemis avec l'épée; qui donnoit à des rois ligués contre lui des déplaisirs mortels, et réjouissoit Jacob par ses vertus et par ses exploits, dont la mémoire doit être éternelle; cet homme qui défendoit les villes de Juda, qui domptoit l'orgueil des enfants d'Ammon et d'Ésau, qui revenoit chargé des dépouilles de Samarie; après avoir brûlé sur leurs propres autels les dieux des nations étrangères; cet homme que Dieu avoit mis autour d'Israël, comme un mur d'airain où se brisèrent tant de fois toutes les forces de l'Asie, et qui, après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les plus habiles généraux des rois de Syrie, venoit tous les ans, comme le moindre des Israélites, réparer avec ses mains triomphantes les ruines du sanctuaire, et ne vouloit d'autre récompense des services qu'il rendoit à sa patrie que l'honneur de l'avoir servie; ce vaillant homme poussant enfin, avec un courage invincible, les ennemis qu'il avoit réduits à une fuite honteuse, reçut le coup mortel, et demeura comme enseveli dans son triomphe. Au premier bruit de ce funeste accident, toutes les villes de Judée furent émues, des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous leurs habitants. Ils furent quelque temps saisis, muets, immobiles. Un effort de douleur rompant enfin ce long et morne silence, d'une voix entrecoupée de sanglots que formoient dans leurs cœurs la tristesse, la pitié, la crainte, ils s'écrièrent: «Comment est mort cet homme puissant, qui sauvoit le peuple d'Israël! » A ces cris Jérusalem redoubla ses pleurs; les voûtes du temple s'ébranlèrent, le Jourdain se troubla, et tous ses rivages retentirent du son de ces lugubres paroles «< Comment est mort cet homme puissant, qui sauvoit le peuple d'Israël, »

Chrétiens qu'une triste cérémonie assemble en ce lieu, ne rappelezvous pas en votre mémoire ce que vous avez vu, ce que vous avez senti il y a cinq mois? Ne vous reconnoissez-vous pas dans l'affliction que j'ai décrite, et ne mettez-vous pas dans votre esprit, à la place du héros dont parle l'Écriture, celui dont je viens vous parler? La vertu et le malheur de l'un et de l'autre sont semblables; et il ne manque aujourd'hui à ce dernier qu'un éloge digne de lui. Oh! si l'esprit divin, l'esprit de force et de vérité, avoit enrichi mon discours de ces images vives et naturelles qui représentent la vertu, et qui la persuadent tout ensemble, de combien de nobles idées remplirois-je vos esprits, et quelle impression feroit sur vos cœurs le récit de tant d'actions édifiantes et glorieuses!

MORT DE TURENNE.

N'attendez pas, messieurs, que j'ouvre ici une scène tragique; que je représente ce grand homme étendu sur ses propres trophées; que je découvre ce corps pâle et sanglant, auprès duquel fume encore la foudre qui l'a frappé; que je fasse crier son sang comme celui d'Abel, et que j'expose à vos yeux les tristes images de la religion et de la patrie éplorée. Dans les pertes médiocres, on surprend ainsi la pitié des auditeurs; et, par des mouvements étudiés, on tire au moins de leurs yeux quelques larmes vaines et forcées. Mais on décrit sans art une mort qu'on pleure sans feinte. Chacun trouve en soi la source de sa douleur, et rouvre lui-même sa plaie; et le cœur, pour être touché, n'a pas besoin que l'imagination soit émue.

Peu s'en faut que je n'interrompe ici mon discours. Je me trouble, Messieurs Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'éloigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance; tout le camp demeure immobile'. Les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, et non pas aux blessures qu'ils ont reçues. Les pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs funèbres; et la renommée, qui se plaît à répandre dans l'univers les accidents extraordinaires, va remplir toute l'Europe du récit glorieux de la vie de ce prince, et du triste regret de sa mort.

Que de soupirs alors, que de plaintes, que de louanges retentissent dans les villes, dans la campagne! L'un, voyant croître ses moissons, bénit la mémoire de celui à qui il doit l'espérance de sa récolte. L'autre, qui jouit encore en repos de l'héritage qu'il a reçu de ses pères, souhaite une éternelle paix à celui qui l'a sauvé des désordres

1. Voir dans les extraits de la correspondance de Mme de Sévigné, le récit de la mort de Turenne, emporté par un boulet, sous les murs de Saltzbach (Grand-Duché de Bade), le 27 juillet 1675.

et des cruautés de la guerre. Ici, l'on offre le sacrifice adorable de Jésus-Christ pour l'âme de celui qui a sacrifié sa vie et son sang pour le bien public. Là, on lui dresse une pompe funèbre, où l'on s'attendoit de lui dresser un triomphe. Chacun choisit l'endroit qui lui paroît le plus éclatant dans une si belle vie. Tous entreprennent son éloge; et chacun, s'interrompant lui-même par ses soupirs et par ses larmes, admire le passé, regrette le présent, et tremble pour l'avenir. Ainsi tout le royaume pleure la mort de son défenseur, et la perte d'un homme seul est une calamité publique.

MASSILLON.

Massillon, né en 1663 à Hières en Provence, entra à l'âge de dix-sept ans chez les Oratoriens. Il prêcha en 1699 le Carême dans l'église de l'Oratoire, et l'Avent à Versailles, et se plaça dès lors au premier rang des orateurs de la chaire. Nommé évêque de Clermont en 1717 par le régent, il prononça dans la chapelle des Tuileries, en 1718, devant Louis XV, alors âgé de neuf ans, les sermons réunis sous le titre de Petit Carême. « Ces sermons, dit-il, ne sont que des entretiens particuliers faits pour l'instruction du roi. » Il faut ajouter que jamais prince ne reçut de meilleures leçons, et que jamais moraliste n'a mieux parlé des dangers et des devoirs du rang suprême. Massillon entra à l'Académie en 1719; il mourut en 1742. Parmi les nombreux sermons qu'il a laissés on admire surtout, outre le Petit Carême, le Sermon sur le petit nombre des élus, et le Sermon sur l'aumône.

Les œuvres de Massillon ont été souvent réimprimées. La première édition complète fut publiée en 1745-48, par Joseph Massillon, neveu de l'orateur. Edition de Renouard, 1810, 13 vol. in-8; de Méquignon, 1818, 15 vol. in-12. Le Petit Carême a été souvent publié à part. Des extraits de Massillon figurent dans tous les recueils de morceaux choisis de notre littérature.

Massillon ne s'adresse pas au raisonnement comme

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