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Les neuf Muses et les Graces)
Le bien qui m'est advenu

Pour loger un incognu 1.

(Odes. Livre II, ode 19.)

LES GUERRES DE RELIGION.

2

Ce monstre arme le fils contre son propre père,
Le frère factieux s'arme contre son frère,

3

La sœur contre la sœur, et les cousins germains
Au sang de leurs cousins veulent tremper leurs mains:
L'oncle hait son nepveu, le serviteur son maistre :
La femme ne veut plus son mary recognoistre :
Les enfants sans raison disputent de la foy,
Et tout à l'abandon va sans ordre et sans loy.
L'artisan par ce monstre a laissé sa boutique,
Le pasteur ses brebis, l'advocat sa practique 3,
Sa nef le marinier, son traficq le marchant,
Et par lui le preud'homme est devenu meschant,
L'escolier se desbauche, et de sa faulx tortüe
Le laboureur façonne une dague pointüe,
Une pique guerrière il fait de son rateau,
Et l'acier de son coutre il change en un couteau.
Morte est l'autorité : chacun vit en sa guise :
Au vice desréglé la licence est permise.

Et quoy? brusler maisons, piller et brigander,
Tuer, assassiner, par force commander,
N'obéir plus aux Rois, amasser des armées,
Appelez-vous cela Eglises réformées?
Jésus que seulement vous confessez icy

De bouche et non de cœur, ne faisoit pas ainsi :

Et Sainct Paul en preschant n'avoit pour toutes armes
Sinon l'humilité, les jeûnes et les larmes :

Et les Pères Martyrs, aux plus dures saisons

Des Tyrans, ne s'armoient sinon que d'oraisons.

Mais montrez-moy quelqu'un qui ait changé de vie
Après avoir suivy vostre belle folie;

J'en voy qui ont changé de couleur et de teint,
Hideux en barbe longue et en visage feint,

Qui sont plus que devant tristes, mornes et palles,
Comme Oreste agité de fureurs infernales.

Mais je n'en ay point veu qui soient d'audacieux

1. Imitation d'Anacréon. La Fontaine, qui a traduit aussi l'Amour mouillé, 'a pas fait oublier la traduction de Ronsard.

2. L'hérere.-3. Son métier, ses affaires.

Plus humbles devenus, plus doux ni gracieux,
De paillards continens, de menteurs veritables,
D'effrontés vergongneux, de cruels charitables,
De larrons aumosniers, et pas un n'a changé
Le vice dont il fut auparavant chargé.

(Discours des misères du temps.)

RÉGNIER.

Mathurin Régnier, né à Chartres, en 1573, fut chanoine de la cathédrale de cette ville; il mourut à Rouen en 1613. Ses œuvres se composent de seize Satires, trois Épîtres, cinq Élégies et quelques autres poëmes.

Les meilleures éditions de Régnier sont celles d'Elzevier, Leyde, 1652; de Lequien, Paris, 1822; de Viollet-Leduc, Paris, 1823.

Il était évident que la réforme de Ronsard et de la Pléiade n'était pas définitive. C'était un effort violent qui succédait à une torpeur extrême,: la révolution avait passé le but sans l'atteindre. Régnier, par inspiration vraie, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à la bonne loi naturelle, revint au simple, au vrai, et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise, qu'il enrichit toutefois d'heureuses imitațions. Il suivit par génie l'excellent précepte de du Bellay; « il transforma en soi les meilleurs auteurs, et, après les avoir digérés, les convertit en sang et nourriture. » Il fut le premier en France qui écrivit de véritables satires à l'imitation d'Horace. Mais son imitation n'était plus le calque servile imaginé par la Pléiade, c'était la féconde émulation, la puissante rivalité du talent.

Le pinceau de Régnier s'arrête volontiers à la surface des choses. C'est de lui qu'on peut dire qu'il se joue autour du cœur humain. Sa poésie n'a rien de bien profond, de bien philosophique; ce sont les jeux innocents de la satire ses contemporains l'avaient jugé ainsi. Ce prédéces

seur de Boileau était pour eux le bon Reignier; et luimême nous explique, quoique avec trop de modestie, cette qualification :

Et ce surnom de bon me va-t-on reprochant

D'autant que je n'ai pas l'esprit d'estre méchant.

Ce n'est certes pas l'esprit qui manque à Régnier, ni l'enjouement, ni la verve. Mais il est artiste bien plus que moraliste; il s'occupe plus de la peinture que de la leçon. Sa plus belle création, c'est son style; on en a fait un bel et juste éloge en le rapprochant de celui de Montaigne 1.

CONTRE LES MAUVAIS POETES.

..... Lorsque l'on voit un homme par la rue,
Dont le rabat est sale, et la chausse rompüe,
Ses gregues aux genoux, au coude son pourpoint';
Qui soit de pauvre mine, et qui soit mal en point:
Sans demander son nom, on le peut reconnoistre ;
Car si ce n'est un poëte, au moins il le veut estre.
Cependant sans souliers, ceinture, ni cordon,
L'œil farouche et troublé, l'esprit à l'abandon,
Vous viennent accoster comme personnes yvres,
Et disent pour bon-jour, Monsieur, je fais des livres,
On les vend au Palais 3, et les doctes du temps

a

A les lire amusez, n'ont autre passe-temps. >>
De là, sans vous laisser, importuns ils vous suivent,
Vous alourdent de vers, d'alegresse vous privent,
Vous parlent de fortune, et qu'il faut acquerir
Du crédit, de l'honneur, avant que de mourir;
Mais que pour leur respect' l'ingrat siecle où nous sommes,
Au prix de la vertu n'estime point les hommes:
Que Ronsard, du Bellay, vivants ont eu du bien,
Et que c'est honte au Roy de ne leur donner rien.
Puis, sans qu'on les convie, ainsi que vénérables,
S'assient en Prélats les premiers à nos tables,

1. Sainte-Beuve: Tableau de la Poésie française au seizième siècle, tome I, page 169.

2. C'est-à-dire, dont les vêtements sont percés, les grègues aux genoux, et le pourpoint aux coudes. Grègues, ou grèves le vêtement qui couvrait les jambes.

3. Au palais de justice, où il y avait des boutiques de libraires.

4. Vous accablent.

5. En ce qui les regarde.

Où le caquet leur manque, et des dents discourant,
Semblent avoir des yeux regret au demeurant.
Si quelqu'un, comme moy, leurs ouvrages n'estime,
Il est lourd, ignorant, il n'ayme point la rime;
Difficile, hargneux, de leur vertu jaloux,

Contraire en jugement au commun bruit de tous.
Juste postérité, à tesmoin je t'appelle,

Toy qui, sans passion, maintiens l'œuvre immortelle,
Et qui selon l'esprit, la grace et le sçavoir,

De race en race au peuple un ouvrage fais voir:
Venge ceste querelle, et justement sépare
Du cigne d'Apollon la corneille barbare,
Qui croassant partout d'un orgueil effronté,
Ne couche de rien moins que l'immortalité 1.

(Satire п.)

LA LIONNE, LE LOUP ET LE MULET',

Avecque la science il faut un bon esprit.
Or entends à ce point ce qu'un Grec en escrit :
Jadis un Loup, dit-il, que la faim espoinçonne,
Sortant hors de son fort rencontre une Lionne,
Rugissante à l'abort, et qui monstroit aux dents
L'insatiable faim qu'elle avoit au dedans.

Furieuse elle approche, et le Loup qui l'advise,
D'un langage flatteur lui parle et la courtise:
Car ce fut de tout temps, que, ployant sous l'effort,
Le petit cede au grand, et le foible au plus fort.
Luy, di-je, qui craignoit que faute d'autre proye,
La beste l'attaquast, ses ruses il employe.
Mais enfin le hazard si bien le secourut,
Qu'un Mulet gros et gras à leurs yeux apparut.
Ils cheminent dispos, croyant la table preste,
Et s'approchent tous deux assez pres de la beste.
Le Loup qui la cognoist, malin et deffiant,
Luy regardant aux pieds, lui parloit en riant:
« D'où es-tu? Qui es-tu? Quelle est ta nourriture 3,
Ta race, ta maison, ton maistre, ta nature? »
Le mulet estonné de ce nouveau discours,
De peur ingénieux, aux ruses eut recours;
Et comme les Normands, sans luy respondre voire 1:
Compere, ce dit-il, je n'ay point de memoire,

1

1. N'aspire à rien moins, ne vise à rien moins qu'à l'immortalité 2. La Fontaine, livre V, Fable 8; livre XII, Fable 17.

3. Où as-tu été élevé? - 4. Vraiment, franchement.

Et comme sans esprit ma grand mere me vit,
Sans m'en dire autre chose, au pied me l'escrivit. »
Lors il leve la jambe, au jarret ramassée;

Et d'un œil innocent il couvroit sa pensée,
Se tenant suspendu sur ses pieds en avant.
Le Loup qui l'apperçoit, se lève de devant,
S'excusant de ne lire, avecqu' ceste parolle,

Que les loups de son temps n'alloient point à l'écolle.
Quand la chaude Lionne, à qui l'ardente faim
Alloit précipitant la rage et le dessein,

S'approche, plus savante, en volonté de lire.

Le Mulet prend son temps, et du grand coup qu'il tire,
Luy enfonce la teste, et d'une autre façon,

Qu'elle ne sçavoit point, lui apprit sa leçon.

Alors le Loup s'enfuit, voyant la beste morte;

Et de son ignorance ainsi se reconforte :

<< N'en déplaise aux Docteurs, Cordeliers, Jacobins,
Pardieu, les plus grands clercs ne sont pas les plus fins. »

(Satire III.)

UN FACHEUX.

Apres tous ces propos qu'on se dict d'arrivée,
D'un fardeau si pesant ayant l'ame grevée,
Je chauvy de l'oreille', et demourant pensif,
L'eschine j'alongeois comme un asne rétif,
Minutant me sauver de ceste tirannie.

Il le juge à respect : « O! sans ceremonie,
Je vous suply, dit-il, vivons en compagnons 3; »
Ayant, ainsi qu'un pot, les mains sur les roignons,
Il me pousse en avant, me présente la porte,
Et sans respect des Saints, hors l'église il me porte,
Aussi froid qu'un jaloux qui voit son corrival.
Sortis, il me demande : « Estes-vous à cheval?
Avez-vous point ici quelqu'un de vostre troupe? »

Je suis tout seul, à pied. » Lui, de m'offrir la croupe.

Moy, pour m'en dépêtrer, luy dire tout expres:

« Je vous baise les mains, je m'en vais ici pres,

Chez mon oncle disner. O Dieu! le galand homme!

J'en suis. » Et moy pour lors, comme un bœuf qu'on assomme,

1 Je baissai l'oreille.

2. Il prend mon silence et mon embarras pour des marques de respect.

3. En camarades, en égaux.

4. Voir Molière, les Fâcheus, acte I, scène I.

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