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Et prêtres vous offrir les vœux des pèlerins? »
Jupiter exauça leur prière innocente.

Hélas! dit Philémon, si votre main puissante
Vouloit favoriser jusqu'au bout deux mortels,
Ensemble nous mourrions en servant vos autels;

Clothon feroit d'un coup ce double sacrifice;

D'autres mains nous rendroient un vain et triste office!
Je ne pleurerois point celle-ci, ni ses yeux

Ne troubleroient non plus de leurs larmes ces lieux. »
Jupiter à ce vœu fut encor favorable.

Mais oserai-je dire un fait presque incroyable ?
Un jour qu'assis tous deux dans le sacré parvis
Ils contoient cette histoire aux pèlerins ravis,
La troupe à l'entour d'eux debout prêtoit l'oreille;
Philémon leur disoit : « Ce lieu plein de merveille
N'a pas toujours servi de temple aux immortels :
Un bourg étoit autour ennemi des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle' d'impies;
Du céleste courroux tous furent les hosties".
Il ne resta que nous d'un si triste débris :
Vous en verrez tantôt la suite 3 en nos lambris;
Jupiter l'y peignit. En contant ces annales,
Philémon regardoit Baucis par intervalles;
Elle devenoit arbre, et lui tendoit les bras:
Il veut lui tendre aussi les siens et ne peut pas.
Il veut parler, l'écorce a sa langue pressée.
L'un et l'autre se dit adieu de la pensée ;

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Le corps n'est tantôt plus que feuillage et que bois.
D'étonnement la troupe, ainsi qu'eux, perd la voix.
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.
On les va voir encore, afin de mériter

Les douceurs qu'en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre,
Ils s'aiment jusqu'au bout, malgré l'effort des ans.
Ah! si.... Mais autre part j'ai porté mes présens.
Célébrons seulement cette métamorphose.
De fidèles témoins m'ayant conté la chose,

Séjour.

Victimes, du latin hostia.

Cette seconde hostie est digne de ta rage.

(Corneille. Polyeucte.)

3. L'histoire complète, les détails dans leur ordre et leur enchai

nement.

!

Clio me conseilla de l'étendre en ces vers,
Qui pourront quelque jour l'apprendre à l'univers.
Quelque jour on verra chez les races futures,
Sous l'appui d'un grand nom passer ces aventures.
Vendôme, consentez au los2 que j'en attends;
Faites-moi triompher de l'Envie et du Temps:
Enchaînez ces démons; que sur nous ils n'attentent,
Ennemis des héros et de ceux qui les chantent.
Je voudrois pouvoir dire en un style assez haut
Qu'ayant mille vertus vous n'avez nul défaut.
Toutes les célébrer seroit œuvre infinie;
L'entreprise demande un plus vaste génie :
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer?
Sans parler de celui qui force à vous aimer.
Vous joignez à ces dons l'amour des beaux ouvrages,
Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages;
Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présens
Que nous font à regret le travail et les ans.
Peu de gens élevés, peu d'autres encor même,
Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.
Si quelque enfant des dieux les possède, c'est vous;
Je l'ose dans ces vers soutenir devant tous.
Clio, sur son giron, à l'exemple d'Homère3,
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire.
On dit qu'elle et ses sœurs, par l'ordre d'Apollon,
Transportent dans Anet" tout le sacré vallon:

Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages!
Puissent-ils tout d'un coup élever leurs sourcils,
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis!

DESCARTES.

René Descartes naquit à Lahaye en Touraine, l'an 1595, fit ses études au collége des Jésuites de La Flèche, et se destina à la carrière des armes. Il servit comme volontaire

1. La muse de l'histoire. - 2. Voy. page 430, note 2.

3. A l'exemple de ceux d'Homère. C'est Apollon lui-même qui les lui dicta, au dire d'une épigramme grecque que Boileau a traduite 4. Château du duc de Vendôme, à 15 kil. de Dreux.

5. Leur cime.

dans la guerre de Trente ans, sous Maurice de Nassau et sous le duc de Bavière. En 1620 il quitta le service et se mit à voyager, en Allemagne, en Hollande, en Italie; il vint plusieurs fois à Paris. Cependant, sous cette vie extérieure et commune, se cachait la croissance la plus extraordinaire de la pensée, Dès son enfance Descartes avait reconnu l'incertitude et le vide des sciences contemporaines : il ne cherchait rien moins qu'à reconstruire sur de nouvelles bases l'édifice des connaissances humaines. Il s'imposa la loi de douter absolument de tout, et de ne sortir de ce doute méthodique que lorsqu'il y serait contraint par l'évidence. Pour se livrer entièrement à ce grand travail, il renonça à toute profession, à tout plaisir, et se retira en Hollande, où il vécut seul avec lui-même et la vérité. De nombreux ouvrages furent le fruit de cette laborieuse solitude. Les plus célèbres sont le Discours sur la Méthode, écrit en français (1637) et les Méditations, composées en latin (1641). Elles furent suivies en 1644 des Principes de la Philosophie, écrits aussi en latin, où l'auteur exposait l'ensemble de sa doctrine. Une réputation immense poursuivit dans sa retraite le philosophe qui la fuyait. Il eut des ennemis nombreux, des partisans enthousiastes, des princes pour disciples. Christine, reine de Suède, le pressa de venir à Stockholm et de l'instruire par ses leçons. Descartes s'y rendit; mais il ne put supporter la rigueur du climat, et mourut quel. ques mois après son arrivée, en 1650. Ses restes furent rapportés en France et déposés dans l'église de Sainte-Geneviève, où l'autorité ne permit pas qu'on prononçât son oraison funèbre.

L'édition la plus récente et la plus complète des OEUVRES DE DESCARTES est celle de M. V. Cousin, 1824-1826. Ad. Garnier a publié les OEUVRES purement PHILOSOPHIQUES, quatre vol. in-8°, 1835.

Descartes est considéré aujourd'hui comme le fondateur non pas seulement de la philosophie, mais encore de la prose française. « Descartes l'a trouvée, dit M. Cousin, et Pascal l'a fixée. Or, Descartes et Pascal ce sont deux géo

mètres et deux philosophes; et c'est d'eux que notre prose a reçu d'abord les qualités qui désormais la constituent, et qu'e 'elle doit garder sous peine de périr.

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LE DISCOURS DE LA MÉTHODE.

Le Discours de la Méthode est le premier chef-d'œuvre de notre prose moderne. Il nous révèle enfin, dans toute sa simplicité majestueuse, la belle langue du dix-septième siècle. Ce n'est plus comme dans Montaigne, un idiome personnel, un composé bizarrement gracieux de français, de latin et de gascon; c'est la langue de tout le monde frappée à l'empreinte du génie d'un seul. Voici enfin la parole qui se propose de persuader, c'est-à-dire d'atteindre le but de l'éloquence. Aussi devient-elle aussitôt grave, sévère, imposante, quelquefois impérieuse; on croit entendre le ton de la vérité aux prises avec les sophismes. Au lieu de s'amuser à orner son expression, c'est-à-dire à la gâter, le philosophe marche toujours droit devant lui; on sent que tout son désir est de vous convaincre. Ses idées s'enchaînent, ses raisonnements se pressent, son langage devient un tissu d'idées que rien ne peut rompre.

Dans la première partie de son Discours, Descartes expose comment après avoir achevé le cours d'études, << au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes,» il se trouva embarrassé de tant de doutes et d'erreurs, qu'il se résolut à ne plus chercher d'autre science que celle qui pouvait se trouver en lui-même, « ou bien dans le grand livre du monde. Il rejeta toutes les opinions qu'il avait reçues jusqu'alors en sa créance, afin d'y en remettre d'autres meilleures, ou bien les mêmes, après les avoir ajustées au niveau de la raison; et pour ne pas s'égarer au milieu des ténèbres dans lesquelles il s'engageait, il établit d'abord quatre préceptes, qu'il se promit d'observer étroitement.

« Le premier, dit-il, étoit de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et

la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenteroit si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute.

« Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerois en autant de parcelles qu'il se pourroit, et qu'il seroit requis pour les mieux résoudre.

en

« Le troisième de conduire par ordre mes pensées, commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connoître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu'à la connoissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

« Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.» (Seconde partie).

Afin de ne pas rester irrésolu en ses actions, pendant que a raison l'obligerait de l'être en ses jugements, il se forma une morale provisoire, qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes exposées dans la troisième partie du Discours : Obéir aux lois et coutumes de son pays, retenir constamment la religion dans laquelle il avait été instruit, et se gouverner en toute autre chose suivant les opinions reçues en pratique par les hommes les plus sensés; être le plus ferme et le plus résolu en ses actions qu'il pourrait, et suivre aussi constamment les opinions les plus douteuses, lorsqu'il s'y serait une fois déterminé, que si elles eussent été assurées; tâcher à se vaincre plutôt que la fortune, et s'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement à notre pouvoir que nos pensées; enfin employer toute sa vie à cultiver sa raison et à s'avancer dans la connaissance de la vérité.

La quatrième partie contient l'application de la nouvelle méthode à la métaphysique, et la démonstration de l'existence de Dieu et de l'âme humaine, tirée de cette première vérité évidente par elle-même : Je pense, donc je suis; la cinquième, l'application de la méthode à des questions de

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