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Qui n'ont soucy autre, que d'assembler'.
Tant qu'ils vivront, ils demanderont eux,
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veux plus à vos dons m'arrester.
Je ne di pas, si voulez rién prester,
Que ne le prenne. Il n'est point de presteur,
S'il veut prester, qui ne face un debteur;
Et sçavez vous, Sire, comment je paye?
Nul ne le sçait, si premier 2 ne l'essaye.
Vous me devrez, si je puis, de retour :
Et vous ferai encores un bon tour,
A celle fin, qu'il n'y ait faute nulle,
Je vous ferai une belle sedulle 3
A vous payer (sans usure il s'entend)
Quand on verra tout le monde content :
Ou si voulez, à payer ce sera,

Quand vostre los et renom cessera.

(Livre I, Ép. XIV.)

RONSARD.

Pierre de Ronsard, né près de Vendôme en 1524, fut ge du duc d'Orléans fils de François Ier, puis du prince Ossais Jacques Stuart, rentra au service du duc d'Orléans fut employé dans quelques missions diplomatiques. Il se ua ensuite tout entier aux lettres. Charles IX lui témoiait une grande affection. Ronsard mourut en 1585 dans de ses prieurés près de Tours.

OEuvres de Ronsard, Paris, 1567, 4 vol. in-4°; 160923, 2 vol in-folio; 1629-30, 5 vol. in-12.

Euvres choisies de Ronsard, Paris, 1840; OEuvres inėtes, 1855.

A l'âge de dix-huit ans, Ronsard, forcé par une surdité écoce de renoncer à la cour, s'enferma, avec le jeune if, son ami, avec Joachim du Bellay, avec Remi Belleau Antoine Muret, dans un collége dont le savant Daurat

1. Amasser. 2. D'abord.

3. Un billet.

4. Votre gloire.

venait d'être nommé principal. Une nouvelle ambition s'était emparée du jeune Ronsard; c'était de faire passer dans la langue vulgaire toute la majesté d'expression et de pensée qu'il admirait chez les anciens. Il communiqua à ses nouveaux condisciples son projet et son enthousiasme. Tous se mirent à l'œuvre avec un admirable courage, et Joachim du Bellay publia sous le titre de Défense et Illustration de la langue française, le manifeste de la nouvelle école1.

Toute la réforme littéraire du seizième siècle était dans la Défense et Illustration. Elle se résume en deux points essentiels ennoblir la langue, par l'infusion des mots et des images empruntés aux langues antiques; ennoblir la poésie par l'introduction des genres usités chez les anciens.

Du Bellay avait rédigé le programme, Ronsard fut le premier et le plus hardi à le remplir. D'abord il essaya de créer d'un seul jet une langue poétique. Pour cela il puisa sans ménagement aux sources grecques et latines. Une seule chose aurait pu consolider sa révolution grammaticale une œuvre immortelle, qui, comme celle de Dante, eût fait vivre sa langue avec ses idées; Ronsard le comprit et essaya de l'accomplir. Il introduisit en France toutes les formes de la poésie antique, et au premier rang l'ode et l'épopée. Malheureusement il porta dans ses œuvres le même principe d'imitation que dans les innovations linguistiques, et ce système se trouva encore plus faux ici. Ce n'est pas qu'il y ait chez Ronsard absence d'enthousiasme : il y seulement solution de continuité entre la forme et la pensée, l'une n'est pas l'effet direct et immédiat de l'autre : si l'inspiration donne l'idée, la mémoire seule produit l'expression. Le sentiment se glace par cette inquiète imi.tation des grands maîtres.

Cependant il y avait quelque chose de si légitime dans la renaissance des idées antiques; il était si bien dans la destinée du seizième siècle de renouer la chaîne de la tradi

1. Voir sur la Pléiade, l'Histoire de la Littérature française, page 334.

tion gréco-latine, que le nom de Ronsard devint l'objet d'une idolâtrie dont rien aujourd'hui ne peut nous donner l'idée. La gloire seule de Voltaire, cette longue et merveilleuse royauté du génie, renouvela de pareils hommages. La réaction ne se fit pas attendre, comme on sait. L'arrêt de Boileau, qui consacre la déchéance de Ronsard, garda pendant près de deux siècles l'autorité de la chose jugée. Il fut de bon goût de mépriser Ronsard sans le connaître. On lui rend aujourd'hui plus de justice, et l'on convient qu'il a été trop loué et trop dénigré. Dans le genre grave et héroïque, les Odes, la Franciade1, les Discours sur les misères du temps, présentent de loin en loin des traits d'une beauté durable. Mais c'est surtout dans la poésie légère que Ronsard possède un incontestable mérite. Ici, content d'être luimême, il n'emprunte à l'antiquité que l'analogie de ses images. C'est comme un parfum lointain et d'autant plus doux, qui s'exhale au milieu des idées personnelles du poëte. Il a toute la grâce de Marot, avec plus d'éclat et de gravité.

A CASSANDRE.

Mignonne, allons voir si la rose,
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu, ceste vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las! las! ses beautés laissé cheoir!
O vrayment marastre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure,
Que du matin jusques au soir!

Donc, si vous me croyez, Mignonne,
Tandis que vostre age fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

1. La Franciade, qui a pour héros le fabuleux Francus, fils de Priam et fondateur supposé de l'empire français, est restée inachevée. Ronsard avait le projet de l'étendre en vingt-quatre chants; il s'est arrêté au quatrième.

!

Cueillez, cueillez vostre jeunesse
Comme à ceste fleur, la vieillesse

Fera ternir vostre beauté.

(Odes. Livre I, 17.)

A HÉLÈNE.

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle
Assise aupres du feu, devisant et filant,

Direz chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desjà sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre, et fantosme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'huy les roses de la vie.

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3. Le Bouvier, constellation voisine de la Grande Ourse.

Ja je dormois dans mon lit,
Lorsque j'entrouy le bruit
D'un qui frappoit à ma porte,
Et heurtoit de telle sorte
Que mon dormir s'en alla :
Je demanday, <« Qu'est-ce là
Qui fait à mon huis sa plainte?
Je suis enfant, n'aye crainte,
Ce me dit-il » et adonc
Je luy desserre le gond
De ma porte verrouillée.
J'ay la chemise mouillée
Qui me trempe jusqu'aux oz
Ce disoit dessus le doz
Toute nuict j'ay eu la pluie
Et pour ce je te supplie
De me conduire à ton feu
Pour m'aller seicher un peu. »
Lors je prins sa main humide,
Et plein de pitié le guide
En ma chambre et le fis seoir
Au feu qui restoit du soir :
Puis allumant des chandelles,
Je vy qu'il portoit des ailes,
Dans les mains un arc Turquois,
Et sous l'aisselle un carquois.
Adonc en mon cœur je pense
Qu'il avoit quelque puissance,
Et qu'il falloit m'apprester
Pour le faire banqueter.
Cependant il me regarde
D'un œil, de l'autre il prend garde
Si son arc estoit seché :
Puis me voyant empesché
A lui faire bonne chere,
Me tire une fleche amere
Droit en l'œil : le coup de là
Plus bas au cœur devala :
Et m'y fit telle ouverture,
Qu'herbe, drogue ny murmure1
N'y serviroient plus de rien.
Voilà, Robertet le bien,
(Mon Robertet qui embrasses

1. Paroles magiques.

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