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VADIUS.

Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.

TRISSOTIN.

Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes?

VADIUS.

Peut-on rien voir d'égal aux sonnets que vous faites?

TRISSOTIN.

Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux?

VADIUS.

Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux?

TRISSOTIN.

Aux ballades surtout vous êtes admirable.

VADIUS.

Et dans les bouts-rimés je vous trouve adorable.

TRISSOTIN.

Si la France pouvoit connoître votre prix,

VADIUS.

Si le siècle rendoit justice aux beaux esprits,

TRISSOTIN.

En carrosse doré vous iriez par les rues.

VADIUS.

On verroit le public vous dresser des statues.

(A Trissotin.)

Hom! C'est une ballade, et je veux que tout net
Vous m'en....

TRISSOTIN, à Vadius

Avez-vous vu certain petit sonnet Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie?

VADIUS.

Oui; hier il me fut lu dans une compagnie.

Vous en savez l'auteur?

TRISSOTIN.

VADIUS.

Non; mais je sais fort bien

Qu'à ne le point flatter, son sonnet ne vaut rien.

TRISSOTIN.

Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable.

VADIUS.

Cela n'empêche pas qu'il ne soit misérable;
Et, si vous l'avez vu, vous serez de mon goût.

TRISSOTIN.

Je sais que là-dessus je n'en suis point du tout,
Et que d'un tel sonnet peu de gens sont capables.

VADIUS.

Me préserve le ciel d'en faire de semblables!

TRISSOTIN.

Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur;
Et ma grande raison, c'est que j'en suis l'auteur.

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C'est qu'on fut malheureux de ne pouvoir vous plaire.

VADIUS.

Il faut qu'en écoutant j'aie eu l'esprit distrait,
Ou bien que le lecteur m'ait gâté le sonnet.
Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade.

TRISSOTIN.

La ballade, à mon goût, est une chose fade:
Ce n'en est plus la mode; elle sent son vieux temps.

VADIUS.

La ballade pourtant charme beaucoup de gens.

TRISSOTIN.

Cela n'empêche pas qu'elle ne me déplaise.

VADIUS.

Elle n'en reste pas pour cela plus mauvaise.

TRISSOTIN.

Elle a pour les pédants de merveilleux appas.

VADIUS.

Cependant nous voyons qu'elle ne vous plaît pas.

TRISSOTIN.

Vous donnez sottement vos qualités aux autres.
(Ils se lèvent tous.)

VADIUS.

Fort impertinemment vous me jetez les vôtres.
TRISSOTIN.

Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier.

VADIUS.

Allez, rimeur de balle1, opprobre du métier.

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1. Le dictionnaire de Trévoux explique rimeur de balle, par allusion à la balle des marchands forains.« On appelle rimeur de balle un poëte dont les vers sont si mauvais, qu'ils ne servent qu'à envelopper des marchandises. » (F. Gézin.)

PHILAMINTE.

Eh! messieurs, que prétendez-vous faire?
TRISSOTIN, à Vadius.

Va, va restituer tous les honteux larcins

Que réclament sur toi les Grecs et les Latins.

YADIUS.

Va, va-t'en faire amende honorable au Parnasse,
D'avoir fait à tes vers estropier Horace.

TRISSOTIN.

Souviens-toi de ton livre, et de son peu de bruit.

VADIUS.

Et toi, de ton libraire à l'hôpital réduit.

TRISSOTIN.

Ma gloire est établie; en vain tu la déchires.

VADIUS.

Oui, oui, je te renvoie à l'auteur des Satires'.

Je t'y renvoie aussi.

TRISSOTIN.

VADIUS.

J'ai le contentement

Qu'on voit qu'il m'a traité plus honorablement.
Il me donne en passant une atteinte légère
Parmi plusieurs auteurs qu'au Palais on révère;
Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix,
Et l'on t'y voit partout être en butte à ses traits 2.

TRISSOTIN.

C'est par là que j'y tiens un rang plus honorable.
Il te met dans la foule ainsi qu'un misérable;
Il croit que c'est assez d'un coup pour t'accabler,
Et ne t'a jamais fait l'honneur de redoubler.
Mais il m'attaque à part comme un noble adversaire
Sur qui tout son effort lui semble nécessaire;
Et ses coups, contre moi redoublés en tous lieux,
Montrent qu'il ne se croit jamais victorieux.

1. A Boileau.

2. Trissotin n'est autre que cet abbé Cotin dont le nom revient si souvent dans les satires de Boileau. Aux premières représentations, le pédant de Molière s'appelait Tricotin. Pour Vadius, c'est Ménage, homme de science et d'esprit, qui fut l'un des hôtes assidus de l'hôtel de Rambouillet, et le précepteur de Mme de Sévigné. Boileau ne lui a, en effet, donné qu'une atteinte légère :

Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie :

Mais bien que ses durs vers, d'épithètes enflés,
Soient des moindres grimauds, chez Ménage, sifflés.
Lui-même il s'applaudit.

(Satire IV.)

VADIUS.

Ma plume t'apprendra quel homme je puis être.

TRISSOTIN.

Et la mienne saura te faire voir ton maître.

VADIUS.

Je te défie en vers, prose, grec et latin.

TRISSOTIN.

Eh bien! nous nous verrons seul à seul chez Barbin1.

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Boileau Despréaux naquit à Paris en 1636. « Fils d'un père greffier, né d'aïeux avocats, il fut destiné à l'étude du droit, qu'il abandonna bientôt pour la culture des lettres. En 1666, il publia ses Satires. La composition des Épitres occupa son âge mûr (1669-1677, puis 1695). Le Lutrin, poëme héroï-comique, et l'Art poétique, poëme didactique (1669-1672), marquent le point le plus élevé de son talent. Boileau, aimé et protégé par Louis XIV, fut l'ami de Racine, de Molière, de la Fontaine. Il mourut en 1711 à Paris, après avoir passé sa vieillesse dans sa maison de campagne d'Auteuil.

Principales éditions des OEuvres de Boileau: édition de Brossette, 1718, 2 vol. in-folio; édition de Saint-Marc, 1747; édition de Daunou, 1809, réimprimée avec améliorations en 1825; éditions d'Auger, 1815; de SaintSurin, 1821; de Berriat Saint-Prix, 1830, 4 vol. in-8°. Tandis que Racine et Molière dotaient la France de leurs chefs-d'œuvre, Boileau Despréaux, leur ami, apprenait au public à les comprendre et à les admirer. Avant lui le goût incertain admettait confusément le bon et le médiocre. Il y avait alors des modèles ; il n'y avait pas de doctrine. L'œuvre de Boileau fut de débrouiller l'art confus du dix-septième

1. Barbin, fameux libraire, dont la boutique était située sur le perron du Palais de Justice.

siècle, d'assigner à chaque homme et à chaque chose son rang dans l'estime publique; sa gloire, c'est de l'avoir fait avec un discernement presque infaillible, avec un courage intrépide, et enfin d'avoir rendu ses arrêts dans une forme si heureuse, dans un langage si parfait qu'on ne sera pas plus tenté de les refaire que de les infirmer.

Le culte du bon sens, la souveraineté de la raison en matière de goût, tel est le mérite durable de la doctrine de Boileau. C'est là le trait de ressemblance qui l'unit aux autres grands hommes du siècle. C'est l'esprit de Descartes transporté dans la poésie.

La carrière poétique de Boileau peut se diviser en trois périodes. Dans la période (de 1660 à 1668), le jeune satirique attaque les mauvais poëtes avec toute l'impétuosité de son âge il combat à outrance le faux goût importé d'Espagne et d'Italie. C'est alors qu'il publie neuf Satires. dont quatre sont exclusivement littéraires, et dont les autres contiennent, contre les mauvais écrivains, une foule de traits inattendus et par là même plus piquants. « Les Satires appartiennent, dit Voltaire, à la première manière de ce grand peintre, fort inférieure, il est vrai, à la seconde, mais très-supérieure à celle de tous les écrivains de son temps, si vous en exceptez Racine. » Ajoutons que la neuvième satire, adressée à son Esprit, est égale à ce que Boileau a jamais fait de mieux.

Dans la seconde (de 1669 à 1677), Boileau laisse reposer la satire ; il a renversé, il s'agit de reconstruire. Alors paraît l'Art poétique (1674), où il formule et coordonne la doctrine littéraire qu'il vient de faire prévaloir. Il publie la même année les quatre premiers chants du Lutrin, ingénieuse et élégante plaisanterie, chef-d'œuvre de versification digne d'un moins mince sujet. Déjà une humeur moins bouillante anime le critique ; sa raillerie est plus enjouée. Il écrit les neuf premières Épitres; la septième, adressée à Racine, réunit à leur plus haut degré toutes les qualités excellentes qui assurent la gloire du grand satirique français.

Après cette pièce, Boileau, nommé historiographe du roi

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