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Ptolomée, son auteur, ou par ceux qui ont travaillé après lui, il vous jetterait dans une épouvante horrible. Comme les mouvements des planètes ne sont pas si réguliers, qu'elles n'aillent tantôt plus vite, tantôt plus lentement, tantôt en un sens, tantôt en un autre, et qu'elles ne soient quelquefois plus éloignées de la terre, quelquefois plus proches, les anciens avaient imaginé je ne sais combien de cercles différemment entrelacés les uns dans les autres, par lesquels ils sauvaient toutes ces bizarreries. L'embarras de tous ces cercles était si grand, que, dans un temps où l'on ne connaissait encore rien de meilleur, un roi de Castille, grand mathématicien, mais apparemment peu dévot, disait que, si Dieu l'eût appelé à son conseil quand il fit le monde, il lui eût donné de bons avis. La pensée est trop libertine; mais cela même est assez plaisant, que ce système fût alors une occasion de pécher, parce qu'il était trop confus. Les bons avis que ce roi voulait donner regardaient, sans doute, la suppression de tous ces cercles, dont on avait embarrassé les mouvements célestes. Apparemment ils regardaient aussi une autre suppression de deux ou trois cieux superflus qu'on avait mis au delà des étoiles fixes. Ces philosophes, pour expliquer une sorte de mouvement dans les corps célestes, faisaient, au delà du dernier ciel que nous voyons, un ciel de cristal qui imprimait ce mouvement aux cieux inférieurs. Avaient-ils nouvelle d'un autre mouvement, c'était aussitôt un autre ciel de cristal. Enfin, les cieux de cristal ne leur coûtaient rien. Et pourquoi ne les faisait-on que de cristal? dit la marquise. N'eussent-ils pas été bons de quelque autre matière? Non, répondis-je; il fallait que la lumière passât au travers, et d'ailleurs il fallait qu'ils fussent solides · il le fallait absolument, car Aristote avait trouvé que la

solidité était une chose attachée à la noblesse de leur nature; et, puisqu'il l'avait dit, on n'avait garde d'en douter. Mais on a vu des comètes qui, étant plus élevées qu'on ne croyait autrefois, briseraient tout le cristal des cieux par où elles passent, et casseraient tout l'univers; et il fallut se résoudre à faire les cieux d'une matière fluide, telle que l'air. Enfin, il est hors de doute, par les observations de ces derniers siècles, que Vénus et Mercure tournent autour du soleil et non autour de la terre; et l'ancien système est absolument insoutenable par cet endroit. Je vais donc vous en proposer un qui satisfait à tout, et qui dispenserait le roi de Castille de donner des avis; car il est d'une simplicité charmante, et qui seule le ferait préférer. Il semblerait, interrompit la marquise, que votre philosophie est une espèce d'enchère où ceux qui offrent de faire les choses à moins de frais l'emportent sur les autres. Il est vrai, repris-je, et ce n'est que par là qu'on peut attraper le plan sur lequel la nature a fait son ouvrage. Elle est d'une épargne extraordinaire; tout ce qu'elle pourra faire d'une mamière qui lui coûtera un peu moins, quand ce moins ne serait presque rien, soyez sûre qu'elle ne le fera que de cette manière-là. Cette épargne néanmoins s'accorde avec une magnificence surprenante, qui brille dans tout ce qu'elle a fait c'est que la magnificence est dans le dessein et l'épargne dans l'exécution. Il n'y a rien de plus beau qu'un grand dessein que l'on exécute à peu de frais. Nous autres, nous sommes sujets à renverser souvent tout cela dans nos idées. Nous mettons l'épargne dans le dessein qu'a eu la nature et la magnificence dans l'exécution. Nous lui donnons un petit dessein qu'elle exécute avec dix fois plus de dépense qu'il ne faudrait: cela est tout à fait ridicule. Je serais bien aise, dit-elle,

que le système dont vous m'allez parler imite de fort près la nature; car ce grand ménage-là tournera au profit de mon imagination, qui n'aura pas tant de peine à comprendre ce que vous me direz. Il n'y a plus ici d'embarras inutiles, repris-je. Figurez-vous un Allemand, nommé Copernic, qui fait main basse sur tous ces cercles différents et sur tous ces cieux solides qui avaient été imaginés par l'antiquité. Il détruit les uns, il met les autres en pièces. Saisi d'une noble fureur d'astronome, il prend la terre et l'envoie bien loin du centre de l'univers où elle s'était placée, et dans ce centre il y met le soleil, à qui cet honneur était bien mieux dû. Les planètes ne tournent plus autour de la terre et ne l'enferment plus au milieu du cercle qu'elles décrivent. Si elles nous éclairent, c'est en quelque sorte par hasard, et parce qu'elles nous rencontrent en leur chemin. Tout tourne présentement autour du soleil; la terre y tourne elle-même; et, pour la punir du long repos qu'elle s'était attribué, Copernic la charge le plus qu'il peut de tous les mouvements qu'elle donnait aux planètes et aux cieux. Enfin, de tout cet équipage céleste dont cette petite terre se faisait accompagner et environner, il ne lui est demeuré que la lune, qui tourne encore autour d'elle. Attendez un peu, dit la marquise, il vient de vous prendre un enthousiasme qui vous a fait expliquer les choses si pompeusement, que je ne crois pas les avoir entendues. Le soleil est au centre de l'univers, et là il est immobile. Après lui, qu'est-ce qui suit? C'est Mercure, répondis-je; il tourne autour du soleil, en sorte que le soleil est à peu près le centre du cercle que Mercure décrit. Au-dessus de Mercure est Vénus, qui tourne de même autour du soleil. Ensuite vient la terre, qui, étant plus élevée que Mercure et Vénus, décrit autour du so

leil un plus grand cercle que ces planètes. Enfin,.suivent Mars, Jupiter, Saturne, selon l'ordre où je vous les nomme; et vous voyez bien que Saturne doit décrire autour du soleil le plus grand cercle de tous; aussi emploie-t-il plus de temps qu'aucune autre planète à faire sa révolution. Et la lune, vous l'oubliez? interrompitelle. Je la retrouverai bien, repris-je. La lune tourne autour de la terre et ne l'abandonne point; mais, comme la terre avance toujours dans le cercle qu'elle décrit autour du soleil, la lune la suit en tournant toujours autour d'elle; et, si elle tourne autour du soleil, ce n'est que pour ne point quitter la terre.

Je vous entends, répondit-elle; et j'aime la lune de nous être restée, lorsque toutes les autres planètes nous abandonnaient. Avouez que, si votre Allemand eût pu nous la faire perdre, il l'aurait fait volontiers; car je vois, dans tout son procédé, qu'il était bien mal intentionné pour la terre. Je lui sais bon gré, répliquai-je, d'avoir rabattu la vanité des hommes, qui s'étaient mis à la plus belle place de l'univers; et j'ai du plaisir à voir présentement la terre dans la foule des planètes. Bon, répondit-elle, croyez-vous que la vanité des hommes s'étende jusqu'à l'astronomie? Croyez-vous m'avoir humiliée, pour m'avoir appris que la terre tourne autour du soleil? Je vous jure que je ne m'en estime pas moins. Mon Dieu, madame, repris-je, je sais bien qu'on sera moins jaloux du rang qu'on tient dans l'univers que de celui qu'on croit devoir tenir dans une chambre, et que la préséance de deux planètes ne sera jamais une si grande affaire que celle de deux ambassadeurs. Cependant la même inclination, qui fait qu'on veut avoir la place la plus honorable dans une cérémonie, fait qu'un philosophe, dans un système, se met au centre du monde, s'il peut. Il est

bien aise que tout soit fait pour lui; il suppose peut-être, sans s'en apercevoir, ce principe qui le flatte, et son cœur ne laisse pas de s'intéresser à une affaire de pure spécu-. lation. Franchement, répliqua-t-elle, c'est là une calomnie que vous avez inventée contre le genre humain. On n'aurait donc jamais dû recevoir le système de Copernic, puisqu'il est si humiliant. Aussi, repris-je, Copernic luimême se défiait-il fort du succès de son opinion. Il fut très-longtemps à ne la vouloir pas publjer. Enfin, il s'y résolut, à la prière de gens très-considérables; mais aussi, le jour qu'on lui apporta le premier exemplaire imprimé de son livre, savez-vous ce qu'il fit? Il mourut. Il ne voulut point essuyer toutes les contradictions qu'il prévoyait, et se tira habilement d'affaire. Écoutez, dit la marquise, il faut rendre justice à tout le monde. Il est sûr qu'on a de la peine à s'imaginer qu'on tourne autour du soleil; car, enfin, on ne change point de place, et on se retrouve toujours le matin où l'on s'était couché le soir. Je vois, ce me semble, à votre air, que vous m'allez dire que, comme la terre tout entière marche......... Assurément, interrompis je, c'est la même chose que si vous vous endormiez dans un bateau qui allât sur la rivière, vous vous trouveriez à votre réveil dans la même place et dans la même situation à l'égard de toutes les parties du bateau. Oui; mais, répliqua-t-elle, voici une différence; je trouverais à mon réveil le rivage changé, et cela me ferait bien voir que mon bateau aurait changé de place. Mais il n'en va pas de même de la terre; j'y retrouve toutes choses comme je les avais laissées. Non pas, madame, répondis-je, non pas, le rivage est changé aussi. Vous savez qu'au delà de tous les cercles des planètes sont les étoiles fixes: voilà notre rivage. Je suis sur la terre, et la terre décrit un grand cercle au

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