Page images
PDF
EPUB

die on y va rire des mœurs qu'elle représente; et que ne rit-on des mœurs mêmes?

MOLIÈRE. Pour rire des choses du monde, il faut, en quelque façon, en être dehors, et la comédie vous en tire elle vous donne tout en spectacle, comme si vous n'y aviez point de part.

:

PARACELSE. Mais on rentre aussitôt dans ce tout dont on s'était moqué, et on commence à en faire partie ?

MOLIÈRE. N'en doutez pas. L'autre jour, en me divertissant, je fis ici une fable sur ce sujet. Un jeune oison volait avec la mauvaise grâce qu'ont tous ceux de son espèce, quand ils volent; et pendant ce vol d'un moment, qui ne l'élevait qu'à un pied de terre, il insultait au reste de la basse-cour. « Malheureux animaux, disait«il, je vous vois au-dessous de moi, et vous ne savez << pas fendre ainsi les airs! » La moquerie fut courte': l'oison retomba dans le même temps.

PARACELSE. A quoi donc servent les réflexions que la comédie fait faire, puisqu'elles ressemblent au vol de cet oison, et qu'au même instant on retombe dans les sottises communes ?

MOLIÈRE. C'est beaucoup que de s'être moqué de soi ; la nature nous y a donné une merveilleuse facilité pour nous empêcher d'être la dupe de nous-mêmes. Combien de fois arrive-t-il que, dans le temps qu'une partie de nous fait quelque chose avec ardeur et avec empressement, une autre partie s'en moque? Et, s'il en était besoin même, on trouverait encore une troisième partie qui se moquerait des deux premières ensemble. Ne diraiton pas que l'homme soit fait de pièces rapportées ?

PARACELSE. Je ne vois pas qu'il y ait matière, sur tout cela, d'exercer beaucoup son esprit. Quelques légères réflexions, quelques plaisanteries mal fondées, ne méritent

pas une grande estime : mais quels efforts de méditation ne faudrait-il pas faire pour traiter des sujets plus relevés ?

MOLIÈRE. Vous revenez à vos génies, et moi, je ne reconnais que mes sots. Cependant, quoique je n'aie jamais travaillé que sur des sujets si exposés aux yeux de tout le monde, je puis vous prédire que mes comédies vivront plus que vos sublimes ouvrages. Tout est sujet aux changements de la mode; les productions de l'esprit ne sont pas au-dessus de la destinée des habits. J'ai vu je ne sais combien de livres et de genres d'écrire enterrés avec leurs auteurs, ainsi que chez de certains peuples on enterre avec les morts les choses qui leur ont été les plus précieuses pendant leur vie. Je connais parfaitement quelles peuvent être les révolutions de l'empire des lettres, et, avec tout cela, je garantis la durée de mes pièces. J'en sais bien la raison. Qui veut peindre pour l'immortalité doit peindre des sots.

ESPRIT DE FONTENELLE*.

* Dans une compagnie où étaient Marivaux et Fontenelle, la conversation s'étant tournée sur la métaphysique, et de là sur l'âme, quelqu'un demanda au premier ce que c'était que l'âme. Il répondit modestement qu'il n'en savait rien. « Eh bien! reprit l'interrogateur, demandons-le à Fontenelle. » Il a trop d'esprit, dit Marivaux, pour en savoir plus que moi là-dessus. >>

*

*. On lui demandait un jour s'il n'avait jamais eu envie de se marier. Il répondit : « Quelquefois le matin. » * Devenu sourd dans ses dernières années, il laissait ceux qui venaient le voir s'entretenir ensemble, et toute la part qu'il prenaît à la conversation était, de temps en temps, d'en demander le sujet, ou, comme il disait plaisamment, le titre du chapitre.

* On disait devant Fontenelle que le sentiment de l'amitié se refroidissait quelquefois, et que nos meilleurs

*

Pour achever de peindre Fontenelle, on a recueilli quelques traits de caractère épars dans les gazettes et les mémoires du dix-huitième siècle.

amis mouraient. Le philosophe répondit : « Les amis qui se refroidissent sont, aux yeux d'un sage, comme des meubles qu'on change quand ils s'usent. »

**

* Personne ne parlait avec plus de sincérité que Fontenelle aux auteurs qui le consultaient. Il leur promettait le secret et le gardait. Soit qu'on eût profité ou nou de ses avis, même de celui de supprimer l'ouvrage, il 'avait que des louanges à lui donner lorsqu'il était imprimé. Il les donnait non-seulement en public, mais encore en particulier, et tête à tête avec les auteurs mêmes, et disait sur cela : Je suis le grand ennemi des manuscrits, mais je suis le grand ami des imprimés. >>

Excédé des éternelles symphonies des concerts, il s'écria un jour, dans un transport d'impatience : « Sonate, que me veux-tu ? »

**Lorsque les mémoires de madame Staal parurent, Fontenelle en fut très-surpris. « J'en suis fâché pour elle, dit-il; je ne la soupçonnais pas de cette petitesse: cela est écrit avec une élégance agréable; mais cela ne valait guère la peine d'être écrit. » Un ami lui répondit que toutes les femmes étaient de son avis, mais que tous les hommes n'en étaient pas. « Les femmes ont raison, répliqua-t-il; il est vrai peut-être que ce n'est pas par rai

son. »

*

Fontenelle contait qu'un jour, étant allé voir le père Mallebranche, aux Pères de l'Oratoire de la rue Saint-Honoré, une grosse chienne de la maison, et qui était pleine, entra dans la salle où ils se promenaient, vint caresser le père Mallebranche et se rouler à ses pieds. Après quelques mouvements inutiles pour la chasser, le philosophe lui donna un grand coup de pied, qui fit jeter à la chienne un cri de douleur, et à Fontenelle un cri de compassion. <«< Eh quoi! lui dit froidement le père Mallebranche, ne

savez-vous pas bien que cela ne sent point? » - « Ce mot, dit à Fontenelle un de ses intimes amis, peint parfaitement le père Mallebranche; mais il vous peint aussi vousmême il prouve votre bon naturel. On a beau dire, les bêtes ont une âme, et vous avez de l'âme. » Fontenelle ne fit que rire de cette plaisanterie, ou plutôt de cete naïveté.

**

:

* Malgré un tempérament délicat, Fontenelle n'avait jamais eu de maladie considérable. Il a joui d'une santé constante jusque vers la fin de sa vie. Il n'eut de la vieillesse que des privations. A la surdité succéda l'affaiblissement de la vue. Il dit alors : « J'envoie devant moi mes gros équipages. >>

[ocr errors]

Neuf jours avant sa mort, il sentit une diminution sensible dans ses forces, et prévit sa fin. Elle fut néanmoins beaucoup plus lente qu'il ne l'avait prévu; ce qui lui fit dire « Je ne croyais pas faire tant de façons pour mourir. »

* Au lit de la mort, il réfléchissait sur son état comme il l'aurait fait sur celui d'un autre, et on eût dit qu'il observait un phénomène. « Voilà, dit-il, étant très-près de sa fin, la première mort que je vois. » Et, son médecin lui ayant demandé ce qu'il souffrait : « Je ne sens, ditil, autre chose qu'une difficulté d'être. >>

*

* Fontenelle a dit plus d'une fois : « Que de bonnes choses vont tous les jours mourir dans l'oreille d'un sot!»> *. Il évitait les bavarderies, et avait l'art de terminer sur-le-champ. « Voilà, dit-il un jour, une dispute qui ne finirait point si l'on voulait; et c'est pour cela qu'il faut qu'elle finisse tout à l'heure. »>

* Duclos, n'étant encore que de l'Académie des belleslettres, et n'ayant donné que les Confessions et Madame de Lux, qu'il n'avait pas même avouées, eut une assez

« PreviousContinue »