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crifiaient aux plaisirs d'un jeune homme qui ne savait ce qu'il faisait? Je ne pouvais m'empêcher de rire en lisant cet endroit d'Homère où, après neuf ans de guerre et un combat dans lequel on vient tout fraichement de perdre beaucoup de monde, il s'assemble un conseil devant le palais de Priam. Là, Anténor est d'avis que l'on vous rende, et il n'y avait pas, ce me semble, à balancer : ou devait seulement se repentir de s'être avisé un peu tard de cet expédient. Cependant Pàris témoigne que la proposition lui déplaît, et Priam, qui, à ce que dit Homère, est égal aux dieux en sagesse, embarrassé de voir son conseil qui se partage sur une affaire si difficile, et ne sachant quel parti prendre, ordonne que tout le monde aille souper.

HÉLÈNE. Du moins, la guerre de Troie avait cela de bon qu'on en découvrait aisément tout le ridicule; mais la guerre civile d'Auguste et d'Antoine ne paraissait pas ce qu'elle était. Lorsqu'on voyait tant d'aigles romaines en campagne, on n'avait garde de s'imaginer que ce qui les animait si cruellement les unes contre les autres, c'était le refus qu'Auguste vous avait fait de ses bonnes grâces.

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FULVIE. Ainsi vont les choses parmi les hommes on y voit de grands mouvements, mais les ressorts en sont d'ordinaire assez ridicules. Il est important, pour l'honneur des événements les plus considérables, que les causes en soient cachées.

DIALOGUE X.

BRUTUS, FAUSTINE.

BRUTUS. Quoi se peut-il que vous ayez pris plaisir à faire mille infidélités à l'empereur Marc-Aurèle, à un mari qui avait toutes les complaisances imaginables pour vous, et qui était sans contredit le meilleur homme de tout l'empire romain?

FAUSTINE. Et se peut-il que vous ayez assassiné Jules César, qui était un empereur si doux et si modéré?

BRUTUS. Je voulais épouvanter tous les usurpateurs par l'exemple de César, que sa douceur et sa modération n'avaient pu mettre en sûreté.

FAUSTINE. Et si je vous disais que je voulais effrayer tellement tous les maris, que personne n'osât songer à l'être après l'exemple de Marc-Aurèle, dont la bonté avait été si mal payée ?

BRUTUS. C'était là un beau dessein! Il faut qu'il y ait des maris, car qui gouvernerait les femmes ? Mais Rome n'avait point besoin d'être gouvernée par César.

FAUSTINE. Qui vous l'a dit? Rome commençait à avoir des fantaisies aussi déréglées et des humeurs aussi étranges que celles qu'on attribue à la plupart des femmes; elle ne pouvait plus se passer de maître, mais elle ne se plaisait pourtant pas à en avoir un. Les femmes sont justement du même caractère on doit convenir aussi que les hommes sont trop jaloux de leur dominanation; ils l'exercent dans le mariage, c'est déjà un grand article; mais ils voudraient même l'exercer en amour. Quand ils demandent qu'une maîtresse leur soit fidèle, fidèle veut dire soumise. L'empire devrait être

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également partagé entre l'amant et la maîtresse; cependant il passe toujours de l'un ou de l'autre côté, et presque toujours du côté de l'amant.

BRUTUS. Vous voilà étrangement révoltée contre tous les hommes !

FAUSTINE. Je suis Romaine, et j'ai des sentiments romains sur la liberté.

BRUTUS. Je vous assure qu'à ce compte-là tout l'univers est plein de Romaines; mais avouez que les Romains tels que moi sont un peu plus rares.

FAUSTINE. Tant mieux qu'ils soient si rares. Je ne crois pas qu'un honnête homme voulût faire ce que vous avez fait, et assassiner son bienfaiteur.

BRUTUS. Je ne crois pas non plus qu'il y eût d'honnêtes femmes qui voulussent imiter votre conduite; pour la mienne, vous ne sauriez disconvenir qu'elle n'ait été assez ferme. Il a fallu bien du courage pour n'être pas touché par l'amitié que César avait pour moi.

FAUSTINE. Croyez-vous qu'il ait fallu moins de courage pour tenir bon contre la douceur et la patience de MarcAurèle? Il regardait avec indifférence toutes les infidélités que je lui faisais il ne me voulait pas faire l'honneur d'être jaloux; il m'òtait le plaisir de le tromper. J'en étais en si grande colère, qu'il me prenait quelquefois envie d'être femme de bien. Cependant je me sauvai toujours de cette faiblesse, et, après ma mort même, Marc-Aurèle ne m'a-t-il pas fait le déplaisir de me bâtir des temples, de me donner des prêtres, d'instituer en mou honneur des fêtes Faustiniennes ? Cela n'est-il pas capable de faire enrager? M'avoir fait une apothéose magnifique! m'avoir érigée en déesse!

BRUTUS. J'avoue que je ne connais plus les femmes voilà les plaintes du monde les plus bizarres.

FAUSTINE. N'eussiez-vous pas mieux aimé être obligé de conjurer contre Sylla que contre César? Sylla eût excité votre indignation et votre haine par son extrême cruauté. J'eusse bien mieux aimé aussi avoir à tromper un homme jaloux : ce même César, par exemple, de qui nous parlons. Il avait une vanité insupportable; il voulait avoir l'empire de la terre tout entier et sa femme tout entière; et, parce qu'il vit que Clodius partageait l'une avec lui, et Pompée l'autre, il ne put souffrir ni Pompée, ni Clodius. Que j'eusse été heureuse avec César !

BRUTUS. Il n'y a qu'un moment que vous vouliez exterminer tous les maris, et, à cette heure, vous aimez mieux les plus méchants.

FAUSTINE. Je voudrais qu'il n'y en eût point, afin que les femmes fussent toujours libres; mais, s'il faut qu'i y en ait, les plus méchants sont ceux qui me plaisent davantage, par le plaisir qu'on a de reprendre sa liberté.

BRUTUS. Je crois que, pour les femmes de votre humeur, le meilleur est qu'il y ait des maris. Plus le sentiment de la liberté est vif, plus il y entre de malignité.

DIALOGUE XI.

SÉNÈQUE, SCARRON.

SÉNÈQUE. Vous me comblez de joie en m'apprenant que les stoïciens subsistent encore, et que, dans ces derniers temps, vous avez fait profession de cette secte.

SCARRON. J'ai été, sans vanité, plus stoïcien que vous, plus que Chrysippe, et plus que Zénon, votre fondateur. Vous étiez tous en état de philosopher à votre aise; vous, en votre particulier, vous aviez des richesses immenses. Pour les autres, ou ils ne manquaient pas de bien, ou ils

jouissaient d'une assez bonne santé, ou enfin ils avaient tous leurs membres : ils allaient, ils venaient à la manière ordinaire des hommes. Mais moi, j'étais dans une très-mauvaise fortune, tout contrefait, presque sans figure humaine, immobile, attaché à un lieu comme un tronc d'arbre, souffrant continuellement ; et j'ai fait voir que tous ces maux s'arrêtaient au corps, et ne pouvaient passer jusqu'à l'âme du sage. Le chagrin a toujours eu la honte de ne pouvoir entrer chez moi par tous les chemins qu'il s'était faits.

SÉNÈQUE. Je suis ravi de vous entendre parler ainsi. A votre langage seul, je vous reconnaîtrais pour un grand stoïcien. Et n'étiez-vous pas l'admiration de votre siècle?

SCARRON. Oui, je l'étais. Je ne me contentais pas de souffrir mes maux avec patience : je leur insultais par les railleries. La fermeté eût fait honneur à un autre, mais j'allais jusqu'à la gaieté.

SÉNÈQUE. O sagesse stoïcienne! tu n'es donc pas une chimère, comme on se le persuade! Tu te trouves parmi les hommes, et voici un sage que tu n'avais pas rendu moins heureux que Jupiter même. Venez, que je vous présente à Zénon et à nos autres stoïciens; je veux qu'ils voient le fruit des admirables leçons qu'ils ont données au monde.

SCARRON. Vous m'obligerez beaucoup de me faire connaître à des morts si illustres.

SÉNÈQUE. Comment vous nommerai-je à eux?

SCARRON. Scarron.

SÉNÈQUE. Scarron? Je connais ce nom-là. N'ai-je pas ouï parler de vous à plusieurs modernes qui sont ici? SCARRON. Cela se peut.

SENEQUE. N'avez-vous pas fait quantité de vers plaisants, comiques?

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