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votre tête. Son devoir est de vous embellir! ce serait grand'pitié qu'il vous vieillit, lui qui rajeunit tout le monde. Arrachez de votre tête ce cheveu blanc, et en même temps arrachez-en la racine qui est dans votre cœur. » J'ai copié le plus joli alinéa. Toutes les lettres sont ainsi on dirait Benserade mis en prose.

Presque en même temps Fontenelle écrivait la Pluralité des Mondes, prenant pour guide Descartes en ses chimériques tourbillons. C'est là qu'il brille dans tout le jeu de son esprit. Il voulait donner le fruit sous la fleur, la philosophie sous l'image des grâces, la vérité sous l'écharpe ondoyante du mensonge. « Je suis le premier, » disait-il sans façon. Il comptait sans La Fontaine. Mais pouvait-il songer à La Fontaine, celui qui écrivait « Le naïf est une nuance du bas. » Pour la Pluralité des Mondes, le seul livre de Fontenelle qui soit venu jusqu'à nous, je reproduis le jugement de Voltaire : « Ce livre, fondé sur des chimères, ne peut devenir classique; la philosophie est surtout la vérité; la vérité ne doit pas se cacher sous les faux

ornements. >>

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Il faut le dire, ce n'est pas avec la galanterie qu'on s'en va à la recherche des mondes inconnus: la rêverie serait une meilleure compagne de voyage. On trouve dans les Mondes de Fonenelle un grand amas de matières célestes où le soleil est ramponné. L'aurore est une grâce que la nature nous lonne par-dessus le marché. De tout l'équipage céleste, il 'est resté à la terre que la lune, qui a l'air d'y tenir beauoup. Tout cela est fort joli, mais surtout pour des écoliers ieurs qui apprennent la géographie, ou pour des femmes qui coutent en regardant les chinoiseries de leur éventail. La gaanterie était la fleur des muses il y a cent cinquante ans; la êverie, la passion des poëtes d'aujourd'hui, n'était alors, suiant Fontenelle, que la montagne où la rime prend sa source. 'ette montagne a d'autres sources, s'il faut en croire Goëthe, yron, Hugo et tant d'autres de notre temps, qui eussent révélé in nouveau monde à Fontenelle.

Une amère critique de la Pluralité des Mondes serait de dire

que ce livre est écrit pour les femmes de la pire espèce, pour les femmes savantes. Au temps de Fontenelle, les marquises de l'hôtel de Rambouillet se dispersaient çà et là dans tous les salons, ayant sur les lèvres non pas un sourire, mais, hélas! un trait de bel esprit. Fontenelle, qui avait été à cette école, Fontenelle, trop faible pour vivre avec les hommes, dressa de bonne heure sa tente du côté des femmes. Comme il n'avait pas d'amour, il rechercha l'hymen de l'esprit il se maria aux femmes savantes.

Avant de se former avec les femmes savantes, il s'était pris d'un beau caprice pour Voiture, d'Urfé et mademoiselle de Scudéri; il avait promené son esprit le long du fleuve de Tendre, avec les bergères du Lignon, écrivant à la première venue, dans le Mercure galant, à la manière de Voiture. Cette fâcheuse aurore poétique a répandu ses lueurs trompeuses sur toute sa vie : il n'a jamais pu se défendre de certains retours malencontreux vers sa jeunesse. Il en était loin déjà quand il décrivit, dans le Mercure, l'Empire de la Poésie. Cette divaga. tion est encore de la fameuse école. Ainsi, Fontenelle débute par ceci : « Cet empire est divisé en Haute et Basse-Poésie, comme le sont la plupart de nos provinces. La capitale de cet empire s'appelle le Poëme-Épique. On trouve toujours à la sortie des gens qui s'entretuent, au lieu que, quand on passe par le Roman, qui est le faubourg du Poëme-Epique, on ne va jamais jusqu'au bout sans rencontrer des gens dans la joie et qui se préparent à se marier. La Basse-Poésie tient beaucoup des PaysBas ce ne sont que marécages. Le Burlesque en est la capitale. Deux rivières arrosent le pays : l'une est la rivière de la Rime, qui prend sa source au pied des montagnes de la Rêverie. Ces montagnes ont des pointes élevées qu'on appelle les Pointesdes-Pensées-Sublimes. Plusieurs y arrivent à force d'efforts surnaturels; mais on en voit tomber une infinité qui sont longtemps à se relever. L'autre rivière est celle de la Raison. Ces deux rivières sont assez éloignées l'une de l'autre. Il n'y a qu'un bout de la rivière de la Rime qui réponde à la rivière de la Raison de là vient que plusieurs villages situés sur la Rime,

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comme le Virelai, la Ballade, le Chant-Royal, ne peuvent avoir aucun commerce avec la Raison. Il y a dans le pays de la Poésie une forêt très-obscure où les rayons du soleil n'entrent jamais : c'est la forêt du Galimatias, où se perd la rivière de la Raison. »

M. de Fontenelle n'avait-il point un peu passé par cette forêt-là?

L'Histoire des Oracles n'est que le sommaire agréable du livre immense de Van Dale. Fontenelle recueillit sans se plaindre toute la gloire du savant étranger. L'Histoire de l'Académie des Sciences est un journal brillant, varié, lumineux; mais pourtant, là comme ailleurs, Fontenelle n'est critique et savant qu'à demi. Cette histoire est un journal, en un mot rien de plus. Est-ce bien la peine d'indiquer les écrits ensevelis au berceau, comme l'Histoire du Théâtre-Français, où il dit : « Les caractéres de Racine ont quelque chose de bas à force d'ètre naturels; » les discours sur la Poésie, où la poésie n'est pour rien; sur le Bonheur (que pouvait-il dire sur ce chapitre, cet homme sans rire et sans larmes?), sur la Raison humaine, où il déraisonne froidement? est-ce bien la peine de remettre en lumière ces pastorales endimanchées, ces églogues qui s'épanouissent loin du soleil, loin des montagnes, loin de la nature, sur un tapis des Gobelins, devant un paravent, sous l'éclat des candélabres; ces chansons qu'on s'est bien gardé de chanter, ces tragédies en prose et en vers qu'on s'est bien gardé de jouer, ces lettres sans abandon qu'on s'est bien gardé de lire?

Fontenelle a passé pour un poëte plein d'esprit, de grâce et le philosophie. A cela, on peut répondre par ses vers:

Arcas et Palemon, tous deux d'un âge égal, — l'un pour l'autre tous deux conPurrents redoutables, - se répondant tous deux par des chansons semblables,ormaient un combat pastoral: - ce n'était point là méprisable gloire Chant, ou des vers, qui piquait leur esprit.

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ou du

Voilà de quelle façon M. de Fontenelle mettait en scène ses

bergers. Pas un mot du pays, ni du ciel ni du troupeau. Sontils dans la prairie ou sur le sentier, à l'ombre des hêtres ou au bord de la fontaine ? Qu'importe? M. de Fontenelle ne descend pas à ces petits tableaux prosaïques; il ne prend pas la peine de nous peindre ses bergers; mais, en revanche, l'ingénieux poëte n'oublie pas de nous avertir, dans un style admirable, qu'ils sont tous deux d'un âge égal. Il va plus loin : connaissant l'oubli de tout lecteur pour le nombre, il répète trois fois avec un art infini qu'ils sont deux, ni plus ni moins. Que ditesvous de ces concurrents redoutables qui forment un combat pastoral à grands coups de chansons semblables, et de cette méprisable gloire qui ne piquait pas leur esprit? A la bonne heure! voilà enfin un poëte qui ne parle point comme les autres. Ne vous étonnez pas qu'après de pareils chefs-d'œuvre M. de Fontenelle ait écrit un discours sur l'églogue, en cher d'école, où il dit, entre autres choses heureuses, que Théocrite est grossier et ridicule; que Virgile, « trop rustique, » n'est qu'un copiste de Théocrite. Mais j'oubliais de vous apprendre comment parlent les bergers de Fontenelle :

TIRCIS. Où vas-tu, Lycidas?

LYCIDAS. Je traverse la plaine, et vais même monter la colline prochaine.
TIRCIS. La course est assez longue.

LYCIPAS. Ah! s'il était besoin, pour le sujet qui me mène, j'irais encore plus loin.

TIRCIS. Il est aisé de t'entendre ; toujours de l'amour?

LYCIDAS. Toujours. Que faire sans les amours!

TIRCIS. Tu connais Lygdamis?

LYCIDAS. Qui ne le connaît pas ? C'est lui qui de Climène adore les appas. TIRCIS. Lui-même.

LYCIDAS. Quel berger ! Il est du caractère dont un amant m'eût plu si j'eusse été bergère.

Vous croyez que je cite de la prose. C'est possible; pourtant, s'il faut s'en rapporter à M. de Fontenelle, c'est une églogue en

vers.

Tout berger amoureux parle moins mal que ceux de Fontenelle, parce qu'il est amoureux et qu'il n'est point savant.

Comme critique, Fontenelle ne brille pas au premier rang. Je ne lui veux faire la guerre qu'avec ses paroles. Écoutez-le donc : « Les Latins l'emportent sur les Grecs, Virgile sur Ilomère, Horace sur Pindare. Il ne faut qu'avoir patience : il est aisé de prévoir qu'après une longue suite de siècles on ne fera aucun scrupule de nous préférer hautement aux Grecs et aux Latins. Je ne crois pas que Théagène et Chariclée, Clitophon et Leucippe, soient jamais comparés à Cyrus et à l'Astrée. Il y a même des espèces nouvelles comme les lettres galantes, les contes, les opéras, dont chacune nous a fourni un auteur excellent auquel l'antiquité n'a rien à opposer, et qu'apparemment la postérité ne surpassera pas. N'y eût-il que les chansons, espèce qui pourra bien périr, et à laquelle on ne fait pas grande attention, nous en avons une prodigieuse quantité, toutes pleines de feu et d'esprit, et je maintiens que, si Anacréon les avait lues, il les aurait plus chantées que la plupart des siennes. Nous voyons aujourd'hui, par un grand nombre d'ouvrages de poésie, que la versification peut avoir autant de noblesse, mais en même temps plus de justesse et d'exactitude qu'elle n'en eut jamais. >>

Par ces quelques lignes, vous pouvez juger du style et de la profondeur de Fontenelle c'est là son style grave et sa raison sévère. C'est à faire regretter son style de ruelle et son savant badinage, ces périodes d'un contour si prétentieux, qui finissent presque toujours par un trait de bel esprit; ces pointes si péniblement aiguisées, qui ont fait dire à Rollin : « La fin de chaque alinéa, dans Fontenelle, est un poste dont les pointes semblent avoir ordre de s'emparer. >>

Il mourut dans l'hiver de 1757, en assez bon chrétien, sans peur, sans regrets, sans bruit et sans secousses. En voyant passer son corbillard, Piron s'écria : « Voilà la première fois que M. de Fontenelle sort de chez lui pour ne pas aller dîner en ville. » N'était-ce pas là une digne oraison funèbre?,

Pour être juste et pour tempérer cette critique un peu rusti

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