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Trois jours s'étaient passés, trois jours qu'avaient perdus
Et Delphire et Damon, qui ne s'étaient point vus.
Leurs troupeaux, jusqu'alors confondus dans la plaine,
Tristement séparés, ne paissaient qu'avec peine.
Tandis que le berger ne songeait qu'à choisir
Les lieux, les sombres lieux où l'on rêve à loisir,
La bergère affectait de paraître suivie
Des plus jeunes bergers dont elle fût servie;
Mais elle était distraite, et des soupirs secrets
Allaient après Damon jusqu'au fond des forêts.
Vois de quelle rigueur était cette bergère!
Damon lui déroba quelque faveur légère :
Delphire le bannit dans un premier courroux.
Peut-être, un peu plus tard, l'ordre eût été plus doux.
Un soir que les troupeaux, sortant du pâturage,
D'un pas tardif et lent marchaient vers le village,
Et que tous les bergers chantaient, à leur retour,
Les douceurs du repos qui suit la fin du jour,
Delphire, qui, malgré l'ombre déjà naissante,
Vit Damon d'aussi loin que peut voir une amante,
S'arrêta sur sa route, et prit soin d'y chercher
L'endroit le plus obscur où l'on se pût cacher.
Rêveur, plein d'une triste et sombre nonchalance,
Tel qu'on peut souhaiter un amant dans l'absence,
Il laissait ses brebis errer en liberté,

Et son hautbois oisif pendait à son côté.
Delphire en fut touchée, et, pour être aperçue,
Elle fit quelque bruit. Il détourna la vue,
Et, quand vers la bergère il adressa ses pas,
Elle le reçut mal, mais elle ne fuit pas.
Que ne lui dit-il point? Les nymphes du bocage
N'entendirent jamais de plus tendre langage;
L'écho, qui des bergers connaît tous les amours,
Ne répéta jamais de plus tendres discours.

Tantôt il condamnait lui-même son audace,
D'un ton de suppliant il demandait sa grâce,
Et tantôt, moins soumis, il trouvait trop cruel
Qu'un léger attentat l'eût rendu criminel.
Par quels soins assidus et par quelle constance
Avait-il prévenu cette amoureuse offense!
Et combien voyait-on d'amants moins empressés,
Moins ardents qu'il n'était, et mieux récompensés!
A la fin, cependant, il revenait à dire

Qu'il était trop content, puisqu'il aimait Delphire,
Et que, sans ses faveurs, sans cet heureux secours,
Il conserverait bien d'éternelles amours.
Plein de sa passion, alors Damon lui jure
Que la simple amitié ne serait pas plus pure;
Il semble que ses yeux le jurent à leur tour.
L'amour fait qu'il renonce à tous les biens d'amour.
Et, dans le même instant qu'avec tant de tendresse
Il tâche à réparer son trop de hardiesse,

Au milieu des serments de ne prétendre rien,
Poussé par un transport qu'il ne connaît pas bien,
Troublé par les regards dont la douceur l'attire,
Il s'approche, il avance, il embrasse Delphire.
On dit que le berger, lorsqu'on l'avait banni,
Pour un moindre sujet avait été puni;

Et, sans savoir pourquoi, Delphire, moins sévère,
Sur ce crime nouveau n'entre point en colère.

LA STATUE DE L'AMOUR.

«Dans le fond d'un bocage impénétrable au jour << Est un petit temple rustique

« Où le roi des bergers reçoit un culte antique.

« Ce dieu n'est point Pan, c'est l'Amour.

« D'un simple bois on y voit sa figure; « Elle n'a point ces traits hardis et délicats « Qu'aurait sous son ciseau fait naître Phidias : « On reconnaît pourtant le roi de la nature; « L'ouvrier champêtre était plein

« De ce dieu qu'exprimait sa main. «L'autel suffit à peine aux festons, aux guirlandes, « Qu'y portent d'innocents mortels.

« Il est de plus riches autels,

<< Mais ils sont moins chargés d'offrandes. « La parut un berger qui d'un secret souci << Portait dans l'âme une profonde atteinte. « Profanes cœurs, n'écoutez point sa plainte : « Au dieu d'amour il s'exprimait ainsi.»>

Toi qu'avec nos bergers Jupiter même adore,
Amour, tu le veux donc, tu veux que j'aime encore !
Tu n'avais fait sur moi qu'un essai de tes coups;
Le dernier de tes traits est le plus fort de tous.
Je ne murmure point de ton ordre suprême:
On doit avec excès aimer celle que j'aime ;
Et si de faibles vœux s'offraient à tant d'appas,
Ou même si mon cœur ne les adorait pas,
S'il leur manquait un cœur si tendre et si fidéle,
On te reprocherait d'être injuste envers elle.
Mais quand je me soumets au devoir de l'aimer,
Pourquoi ne suis-je pas plus propre à l'enflammer?
Je ne suis qu'un berger, elle égale Diane;

Mes vœux sont trop hardis, sa beauté les condamne.
J'espère quelquefois en mes soins assidus;
Mais je la vois paraître, et je n'espère plus.
A force d'être aimable, elle devient terrible;
Dieux! pour oser l'aimer qu'il faut être sensible!
Cependant elle daigne écouter ces chansons,

Où je ne fais, Amour, que te prêter des sons;
Où ce que tu répands de tendresse et de flamme,
Satisfait quelquefois aux transports de mon âme.
Mais c'est là ce qui fait mon plus cruel tourment :
Ma musette est pour elle un simple amusement;
Elle écoute un berger de qui la voix l'attire,
Et ne s'aperçoit pas de l'amant qui soupire:
Sans songer au sujet, elle goûte mes chants;
Ils ne la touchent point, et lui semblent touchants.
Je n'ai que mon amour, mais enfin je présume
Qu'il doit être flatteur pour celle qui l'allume :
Vif et soumis, plus fort que son propre intérêt,
Il lui fait bien sentir tout le prix dont elle est.
Aussi n'a-t-elle pas, grand Dieu, je t'en rends grâce,
De toute sa fierté terrassé mon audace!

J'aimais, et j'ai parlé; mes hommages, mes soins,
Paraissent plaire assez mais, quoi! je lui plais moins.
Ce n'est qu'à mon amour qu'il est permis de plaire :
Sûre de son repos, elle en est moins sévère ;
Sa tranquille bonté regarde sans danger
Un trouble qu'elle cause et ne peut partager.
On fléchit les rigueurs, on désarme la haine;
Mais comment surmonter så douceur inhumaine,
Sa funeste douceur, qui m'ôte enfin l'espoir
Qu'elle-même d'abord m'avait fait concevoir?
Quel sera mon destin? Tu peux seul me l'apprendre.
Ne me reste-t-il plus, Amour, rien à prétendre?
A mon plus grand bonheur suis-je donc arrivé?
Est-ce là tout le prix que tu m'as réservé?

«En achevant ces mots, il attachait sa vue Sur le dieu qu'implorait sa voix;

« Il vit, ou les amants se trompent quelquefois, << Il vit sourire la statue.

« Ce prodige douteux flatta pourtant son cœur ;

« Mais enfin qu'aurait voulu dire

« Le plus incontestable et le plus vrai sourire ?
« C'était peut-être un sourire moqueur. »

HEROIDES.

FLORA A POMPÉE.

(Pompée, étant encore jeune, aima la courtisane Flora, dont la beauté était si grande, qu'on la fit peindre dans le temple de Castor et de Pollux. Geminius, aimé de Pompée, devint éperdûment amoureux d'elle; mais, comme elle était prévenue de la passion qu'elle avait pour Pompée, elle n'écouta pas Geminius. Pompée, ayant pitié de son ami, la lui céda. Elle en tomba malade de chagrin, et c'est dans cet état qu'elle lui écrit.)

Prête à voir arriver la mort que je désire,

Je t'écris dans un lit tout baigné de mes pleurs;
Ma main encor n'a la force d'écrire

Que pour exprimer mes douleurs.

De mes tristes regards on voit le feu s'éteindre ;
Mon teint perd cet éclat qui m'attirait les yeux ;
Et croirait-on que Rome me fit peindre

Pour orner les temples des dieux?

En vain sur ces portraits les étrangers me vantent.
Qu'on les ôte, Pompée, ils me font trop d'honneur.
Non, ce n'est plus Flora qu'ils représentent
Depuis qu'elle n'a plus ton cœur.

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