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au volume. Dès qu'on eut les yeux tournés sur lui, Fontenelle s'agita de toutes les forces de son esprit dans le triste but d'être sans cesse en spectacle. La vanité fut sa seule compagne, son seul amour, sa seule joie. Ne pouvant être un homme de génie, et sachant bien que sa mémoire ne lui survivrait guère, il saisit la célébrité à pleines mains, il lutta avec son esprit jusqu'à la mort. «S'il fait tant de façons pour mourir, disait en riant Duclos, c'est qu'il sait trop qu'une fois dans l'autre monde, il n'aura plus rien à débattre avec celui-ci.»>

Il retourna encore à Rouen pour écrire dans la solitude et le silence la Pluralité des Mondes. La marquise de la Mésengère habitait alors son château de Rouen; Fontenelle y fut accueilli en poëte; il passait dans le parc toutes les belles après-midi. Ça et là, il se promenait avec la marquise, qui pleurait sur les souvenirs d'un amour fatal. A force de se promener avec elle et de la voir pleurer, il s'imagina qu'il en devenait amoureux. Ne sachant comment débuter avec elle, conseillé par l'esprit et non par le cœur, il imita les bergers : il grava des vers passionnés sur l'écorce des hêtres. Ces vers gravés par Fontenelle, on les voyait encore au milieu du dix-huitième siècle, s'il en faut croire l'abbé Trublet.

Fontenelle n'eut jamais l'idée de se marier; il se souciait bien de la sollicitude amoureuse et dévouée de l'épouse, des enfants qui égayent le cœur, des joies familières du coin du feu. Il n'avait d'amour que pour lui, il a vécu lui. Vivre si longtemps avec Fontenelle! il fût mort d'ennui sans la vanité. L'abbé Trublet, toujours apologiste de Fontenelle, termine 'ainsi son éloge: « Ce qui ne contribua pas peu au bonheur de M. Fontenelle, c'est qu'il n'a pas été marié. » Qu'en saviez-vous sur ce chapitre du mariage, monsieur l'abbé ?

Il fit semblant d'être amoureux de la Champmêlé, non parce qu'elle était belle, non par amour, mais par vanité : « M. Racine, lui dit-elle un jour, m'a dit tant de mal de vous, que j'ai fini par vous aimer; d'ailleurs votre esprit universel parlait pour vous à merveille. Venez donc me voir. » Fontenelle n'y alla qu'une fois. Au lieu de la Champmêlé, ce fut Champmêlé

qu'il rencontra. « Ma femme n'y est pas, lui dit le comédien. Elle répète son rôle avec cet animal de La Fontaine, qui fait la moitié de mes pièces. » Fontenelle s'en alla comme il était venu.

Il n'eut pas un grand nombre de maitresses. Mademoiselle Bernard, la muse tragique, fut la plus connue et la moins volage; mais quels tristes amoureux c'étaient là! Arrivait-il chez elle, ce n'était qu'une scène de tragédie; au lieu d'un baiser ce n'était qu'une rime.

Delille l'a dit même dans l'amitié, Fontenelle mettait son cœur en garde. Il eut pourtant un grand nombre d'amis, entre autres le duc d'Orléans, La Motte, Marivaux, Montcrif, madame de Tencin, madame de Lambert, madame de Staal. Le régent lui dit un jour: « Monsieur de Fontenelle, voulez-vous habiter le Palais-Royal? Un homme qui a fait la Pluralité des Mondes doit loger dans un palais. - Prince, le sage tient peu de place et n'en change pas; mais pourtant je viendrai demain habiter le Palais-Royal avec armes et bagages, c'est-à-dire avec mes pantoufles et mon bonnet de nuit. » Il habita longtemps le Palais-Royal. Comme il ne voyait guère lé régent, ce prince lui dit un jour : « En vous offrant mon toit, j'espérais vous voir au moins une fois l'an. » Fontenelle présenta ainsi au régent ses Éléments de la géométrie de l'infini. « C'est un livre qui ne peut être entendu que par sept ou huit géomètres de l'Europe, et je ne suis pas de ces huit-là. » Fontenelle avait la vanité des maîtres d'école ; il était fier de son titre d'académicien, mais il n'eut jamais d'ardeur pour l'ambition. Grâce au duc d'Orléans, il aurait pu s'élever dans la fortune politique; mais il se tint coi dans ses académies. Le cardinal Dubois, son ami, venait dans sa grandeur lui demander des consolations. Aussi disait-il : « Je sais bien que monseigneur le régent aurait pu faire de moi quelque grand épouvantail politique; mais bien lui en a pris de me laisser au coin de mon feu, car là je n'ai jamais eu l'idée d'aller chercher des consolations chez le cardinal Dubois. >>

Cependant, comme il voulait faire briller partout sa philosophie, il en mit un peu dans la politique. Il imagina une république qui n'était pas tout à fait celle de Platon; république cu

rieuse ou « les femmes pourront répudier leurs maris sans en pouvoir être répudiées; mais elles seront un an après sans se pouvoir remarier. Point d'orateurs dans tout l'État que de certains orateurs entretenus par le public et destinés à entretenir le peuple de la bonté de son gouvernement. On érigera des statues aux grands hommes, en quelque espèce que ce soit, mêmè aux belles femmes. On pourra même, pour une plus grand ressemblance, conserver toutes leurs figures en cire dans un palais magnifique fait exprès. On ferait le procès à ces statues ou figures pour les choses qui ne mériteraient pas d'attirer des peines corporelles aux personnes. » Vous voyez par là que Fontenelle avait de bonnes raisons pour rester coi dans ses académies. Avec de pareilles idées politiques, il eût joué un bien joli rôle dans la comédie de la régence.

Après avoir publié la Pluralité des Mondes, il entra armé de pied en cap dans la petite guerre des anciens et des modernes ; il se fit le champion des modernes ; aussi Boileau, qui n'aimait la satire que dans ses mains, se déclara pour toujours l'ennemi de Fontenelle; et, si ce nom ne se trouve pas aujourd'hui entre Cassagne et Colletet, c'est parce qu'alors Boileau ne faisait plus de satires. Boileau ne s'en vengea pas moins; dès que Fontenelle se présenta à l'Académie, le vieux satirique se mit en campagne pour le repousser. Partout après la visite de Fontenelle c'était la visite de Boileau: Fontenelle fut repoussé cinq fois. En homme d'esprit, il fit un Discours sur la patience, qu'il envoya à l'Académie. On ne refusa pas plus longtemps un poëte qui prenait si bien son parti le patient fut accueilli peu de temps après.

Cependant son esprit courait, avec un succès de plus en plus bruyant, la cour, la ville et la province. Tout provincial venant à Paris avec un peu de grammaire dans la tête voulait avant tout voir Fontenelle; il s'en retournait disant à tout propos : « J'ai vu l'Opéra et M. de Fontenelle, M. de Fontenelle ! quel génie! Il disait il n'y a pas quatre ans à la duchesse du Maine, qui lui demandait quelle différence il y avait entre elle et une pendule: Madame la duchesse, la pendule marque les heures, et

Votre Altesse les fait oublier. Et puis, l'an passé, il disait à madame de Tencin Ma chère dame, votre raison est comme ma montre, elle avance toujours. » Aussi, c'était un engouement sans bornes pour Fontenelle, au point qu'il dìnait à peine en son logis une fois par semaine. Il payait sa bienvenue par un mot préparé à l'avance; souvent le même mot lui revenait vingt fois en aide. Dieu sait que de mines de caillette avant et après sa victoire jamais femme, jamais coquette, jamais comédienne, ne fit tant de façon pour dire : Je vous aime. La Bruyère, qui voyait clair en plein midi, à l'encontre de bien des beaux esprits du temps, trace ainsi l'esquisse de Fontenelle : « Cydias est bel esprit, c'est sa profession. En société, après avoir incliné le front, relevé sa manchette, étendu la main et ouvert les doigts, il débite gravement ses pensées quintessenciées et ses raisonnements sophistiques. Fade discoureur, il n'a pas mis plutôt le pied dans une assemblée, qu'il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie car, soit qu'il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vue ni le vrai, ni le faux, ni le raisonnable, ni le ridicule; il évite uniquement de donner dans le sens des autres. Cydias s'égale à Lucien et à Sénèque, mais ce n'est qu'un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province. »

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Pour décourager la critique, Fontenelle avait déclaré qu'il brûlerait sans les lire toutes les gazettes qui s'en prendraient à ses livres comme il était d'ailleurs très-répandu dans le monde, comme il avait un pied partout, comme il savait tendre la main à propos, nul ne lui fut amer, hormis Rousseau et La Bruyère. Tout le monde chanta ses louanges: le Mercure galant et la Gazette de France, Bayle et Voltaire, les femmes savantes du Pérou et les poëtes de Stockholm, en prose et en vers, même en vers latins. Et quels vers! et quelles louanges! C'est Platon, c'est Orphée, c'est plus qu'un homme, c'est un demi-dieu. Écoutez Crébillon le tragique :

Poëte que la Grèce

Eut placé dès l'enfance au rang des demi-dieux.

Écoutez aussi M. de Nivernois : « Tous les temples du génie consacrent son culte. Semblable à ces chefs-d'œuvre d'architecture qui rassemblent les trésors de tous les ordres, il a recueilli les palmes de l'universalité. » Vous voyez que M. de Nivernois n'était obligé à rien par la rime Ce n'est plus la langue des dieux; mais Fontenelle n'eut pas dédaigné cette prose. Et celle-ci : « Les livres de M. Fontenelle sont émaillés de belles pensées. C'est mieux qu'une prairie, c'est le majestueux spectacle du ciel, dont l'azur est relevé avec agrément par l'or étincelant des étoiles.»>Ainsi parlait l'abbé Trublet. Que pensez-vous de cet agrément? Fontenelle eût trouvé cela de son goût. Jusqu'à Voltaire qui a dit :

L'ignorant l'entendit, le savant l'admira.

Mais Voltaire, sans doute pour imiter Fontenelle, termine sa tirade par une pointe:

Né pour tous les talents, il fit un opéra.

Jusqu'à Rigaud, qui nous a laissé un portrait de Fontenelle, embelli par je ne sais quel charmant sourire qui est presque un sourire de femme qui a aimé.

Pourquoi ces mauvais vers et cette mauvaise prose? Pourquoi ces temples, cet encens, ce culte, qui est une profanation de la poésie? Cherchons un peu les titres de Fontenelle. Son meilleur titre, n'est-ce pas d'avoir vécu cent ans? La postérité a beau faire un poëte qui vit un siècle va plus loin qu'un

autre.

Il a débuté dans le Mercure par les lettres galantes du chevalier d'ller—, où il a tenté de mettre en jeu tout son esprit. Ainsi je relis la lettre à Mademoiselle de V— sur un cheveu blanc qu'elle avait. Après bien des tournures fatigantes, il s'écrie : « Ne sauriez-vous, mademoiselle, avoir un peu de passion, sans blanchir aussitôt? L'amour est fait pour mettre un nouveau brillant dans vos yeux, pour peindre vos joues d'un nouvel incarnat, mais non pas pour répandre des neiges sur

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