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XVIII

Des sorts.

Le sort est l'effet du hasard, et comme la décision ou l'oracle de la fortune; mais les sorts sont les instruments dont on se sert pour savoir quelle est cette décision.

Les sorts étaient le plus souvent des espèces de dés, sur lesquels étaient gravés quelques caractères, ou quelques mots, dont on allait chercher l'explication dans des tables faites exprès. Les usages étaient différents sur les sorts dans quelques temples, on les jetait soi-même ; dans d'autres, on les faisait sortir d'une urne, d'où est venue cette manière de parler si ordinaire aux Grecs, le sort est tombé.

Ce jeu de dés était toujours précédé de sacrifices et de beaucoup de cérémonies. Apparemment les prêtres savaient manier les dés; mais, s'ils ne voulaient pas prendre cette peine, ils n'avaient qu'à les laisser aller, ils étaient toujours maîtres de l'explication.

Les Lacédémoniens allèrent un jour consulter les sorts de Dodone sur quelque guerre qu'ils entreprenaient ; car, outre les chènes parlants, et les colombes, et les bassins, et l'oracle, il y avait encore des sorts à Dodone. Après toutes les cérémonies faites, sur le point qu'on allait jeter les sorts avec beaucoup de respect et de vénération, voilà un singe du roi des Molosses qui, étant entré dans le temple, renverse les sorts et l'urne. La prêtresse, effrayée, dit aux Lacédémoniens qu'ils ne devaient pas songer à vaincre, mais sculement à se sau

ver; et tous les écrivains (Cicéron, livre II de la Divination) assurent que jamais Lacédémone ne reçut un présage plus funeste.

Les plus célèbres entre les sorts étaient à Préneste et à Antium, deux petites villes d'Italie. A Préneste était la Fortune, et à Antium les Fortunes.

Les Fortunes d'Antium avaient cela de remarquable, que c'étaient des statues qui se remuaient d'elles-mèmes, selon le témoignage de Macrobe, livre I, chapitre 25, et dont les mouvements différents, ou servaient de réponse, ou marquaient si l'on pouvait consulter les sorts.

Un passage de Cicéron, au livre II de la Divination, où il dit que l'on consultait les sorts de Préneste par le consentement de la Fortune, peut faire croire que cette fortune savait aussi remuer la tête, ou donner quelque autre signe de ses volontés.

Nous trouvons encore quelques statues qui avaient cette même propriété. Diodore de Sicile et Quinte-Curce disent que Jupiter Ammon était porté par quatre-vingts prêtres dans une gondole d'or d'où pendaient des coupes d'argent; qu'il était suivi d'un grand nombre de femmes et de filles qui chantaient des hymnes en langue du pays; et que ce dieu, porté par ses prêtres, les conduisait en leur marquant par quelques mouvements où il voulait aller.

Le dieu d'Héliopolis de Syrie, selon Macrobe, en faisait autant. Toute la différence était qu'il voulait être porté par des gens les plus qualifiés de la province, qui eussent longtemps auparavant vécu en continence, et qui se fussent fait raser la tête.

Lucien, dans le Traité de la déesse de Syrie, dit qu'il a vu un Apollon encore plus miraculeux; car, étant porté sur les épaules de ses prêtres, il s'avisa de les lais

ser là et de se promener par les airs, et cela aux yeux d'un homme tel que Lucien, ce qui est considérable.

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Je suis si las de découvrir les fourberies des prêtres païens, et je suis si persuadé aussi qu'on est las de m'en entendre parler, que je ne m'amuserai point à dire comment on pouvait faire jouer de pareilles marionnettes.

Dans l'Orient, les sorts étaient des flèches, et aujourd'hui encore les Turcs et les Arabes s'en servent de la même manière. Ezéchiel dit que Nabuchodonosor mêla ses flèches contre Ammon et Jérusalem, et que la flèche sortit contre Jérusalom. C'était là une belle manière de résoudre auquel de ces deux peuples il ferait la guerre.

Dans la Grèce et dans l'Italie, on tirait souvent des sorts de quelque poëte célèbre, comme Homère ou Euripide; ce qui se présentait à l'ouverture du livre était l'arrêt du ciel. L'histoire en fournit mille exemples.

On voit même que, quelque deux cents ans après la mort de Virgile, on faisait déjà assez de cas de ses vers pour les croire prophétiques, et pour les mettre en la place des sorts qui avaient été à Préneste. Car AlexandreSévère, encore particulier, et dans le temps que l'empereur Héliogabale ne lui voulait pas de bien, reçut pour réponse, dans le temple de Préneste, cet endroit de Virgile dont le sens est: Si tu peux surmonter les destins contraires, tu seras Marcellus.

Ici mon auteur se souvient que Rabelais a parlé des sorts virgilianes, que Panurge va consulter sur son mariage; et il trouve cet endroit du livre aussi savant qu'il est agréable et badin. Il dit que les bagatelles et les sottises de Rabelais valent souvent mieux que les discours les plus sérieux des autres. Je n'ai point voulu oublier cet éloge, parce que c'est une chose singulière de le rencontrer au milieu d'un traité des oracles, plein de science

et d'érudition. Il est certain que Rabelais avait beaucoup d'esprit et de lecture, et un art très-particulier de dé biter des choses savantes comme de pures fadaises, et de dire de pures fadaises, le plus souvent sans ennuyer. C'est dommage qu'il n'ait vécu dans un siècle qui l'eût obligé à plus d'honnêteté et de politesse.

Les sorts passèrent jusque dans le christianisme; on les prit dans les livres sacrés, au lieu que les païens les prenaient dans leurs poëtes. Saint Augustin, dans l'épître 119 à Januarius, parait ne désapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siècle. Grégoire de Tours nous apprend lui-même quelle était sa pratique : il passait plusieurs jours dans le jeune et dans la prière, ensuite il allait au tombeau de saint Martin, où il ouvrait tel livre de l'Écriture qu'il voulait, et il prenait pour la réponse de Dieu le premier passage qui s'offrait à ses yeux. Si ce passage ne faisait rien au sujet, il ouvrait un autre livre de l'Écriture.

D'autres prenaient pour sort divin la première chose qu'ils entendaient chanter en entrant dans l'église.

Mais qui croirait que l'empereur Héraclius, délibérant en quel lieu il ferait passer l'hiver à son armée, se détermina par cette espèce de sort? Il fit purifier son armée pendant trois jours, ensuite il ouvrit le livre des Évangiles, et trouva que son quartier d'hiver lui était marqué dans l'Albanie. Était-ce là une affaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l'Écriture?

L'Église est enfin venue à bout d'exterminer cette superstition; mais il lui a fallu du temps. Du moment que l'erreur est en possession des esprits, c'est une merveille si elle ne s'y maintient toujours.

PREMIÈRE DISSERTATION.

Que les oracles n'ont point cessé au temps de la venue de Jésus-Christ.

La plus grande difficulté qui regarde les oracles est surmontée, depuis que nous avons reconnu que les démons n'ont point dû y avoir de part. Les oracles étant ainsi devenus indifférents à la religion chrétienne, on ne s'intéressera plus à les faire finir précisément à la venue de Jésus-Christ.

I

Faiblesse des raisons sur lesquelles cette opinion est fondée.

Ce qui a fait croire à la plupart des gens que les oracles avaient cessé à la venue de Jésus-Christ, ce sont les oracles mêmes qui ont été rendus sur le silence des oracles, et l'aveu des païens, qui, vers le temps de JésusChrist, disent souvent qu'ils ont cessé.

Nous avons déjà vu la fausseté de ces prétendus oracles par lesquels un démon, devenu muet, disait luimême qu'il était muet. Ils ont été ou supposés par le trop de zèle des chrétiens, ou trop facilement reçus par leur crédulité.

Voici un de ceux sur lesquels Eusèbe se fonde pour soutenir que la naissance de Jésus-Christ les fait cesser. Il est tiré de Porphyre, et Eusèbe ne manque jamais

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