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reur pour les reconnaître, il aborda à une de celles qui étaient habitées; que, peu de temps après qu'il y fut arrivé, il y eut une tempête et des tonnerres effroyables, qui firent dire aux gens du pays qu'assurément quelqu'un des principaux démons venait de mourir, parce que leur mort était toujours accompagnée de quelque chose de funeste. A cela Démétrius ajoute que l'une de ces îles est la prison de Saturne, qui y est gardé par Briarée, et enseveli dans un sommeil perpétuel, ce qui rend, ce me semble, le géant assez inutile pour sa garde; et qu'il est environné d'une infinité de démons, qui sont à ses pieds comme ses esclaves.

Ce Démétrius ne faisait-il pas des relations bien curieuses de ses voyages ? Et n'est-il pas beau de voir un philosophe comme Plutarque nous conter froidement ces merveilles? Ce n'est pas sans raison qu'on a nommé Hérodote le père de l'histoire. Toutes les histoires grecques, qui, à ce compte-là, sont ses filles, tiennent beaucoup de son génie; elles ont peu de vérité, mais beaucoup de merveilleux et de choses amusantes. Quoi qu'il en soit, l'histoire de Thamus serait presque suffisamment réfutée, quand elle n'aurait point d'autre défaut que celui de se trouver dans un même traité avec les démons de Démétrius.

Mais, de plus, elle ne peut recevoir un sens raisonnable. Si ce grand Pan était un démon, les démons ne pouvaientils se faire savoir sa mort les uns aux autres, sans y employer Thamus! N'ont-ils point d'autres voies pour s'envoyer des nouvelles? et d'ailleurs sont-ils si imprudents que de révéler aux hommes leurs malheurs et la faiblesse de leur nature? Dieu les y forçait, direz-vous. Dieu avait donc un dessein; mais voyons ce qui s'en ensuivit. Il n'y eut personne qui se désabusât du paganisme,

pour avoir appris la mort du grand Pan. Il fut arrêté que c'était le fils de Mercure et de Pénélope, et non pas celui que l'on reconnaissait en Arcadie pour le dieu de tout, ainsi que son nom le porte. Quoique la voix eût nommé le grand Pan, cela s'entendit pourtant du petit Pan; sa mort ne tira guère à conséquence, et il ne paraît pas qu'on y ait eu grand regret.

Si ce grand Pan était Jésus-Christ, les démons n'annoncèrent aux hommes une mort si salutaire que parce que Dieu les y contraignait. Mais qu'en arriva-t-il ? Quelqu'un entendit-il ce mot de Pan dans son vrai sens? Plutarque vivait dans le second siècle de l'Église, et cependant personne ne s'était encore avisé de dire que Pan fût Jésus-Christ mort en Judée.

L'histoire de Thulis est rapportée par Suidas, auteur qui ramasse beaucoup de choses, mais qui ne les choisit guère. Son oracle de Sérapis pèche de la même manière que les livres des sibylles, par le trop de clarté sur nos mystères; mais, de plus, ce Thulis, roi d'Égypte, n'était pas assurément un des Ptolomées. Et que deviendra tout l'oracle, s'il faut que Sérapis soit un Dieu qui n'ait été amené en Égypte que par un Ptolomée, qui le fit venir de Pont, comme beaucoup de savants le prétendent sur des apparences très-fortes? Du moins il est certain qu'Hérodote, qui aime tant à discourir sur l'ancienne Égypte, ne parle point de Sérapis, et que Tacite conte tout au long comment et pourquoi un des Ptolomées fit venir de Pont le dieu Sérapis, qui n'était alors connu que là.

L'oracle rendu à Auguste sur l'enfant hébreu n'est point du tout recevable. Cédrénus le cite d'Eusèbe, et aujourd'hui il ne s'y trouve point. Il ne serait pas impossible que Cédrénus citât à faux, ou citât quelque ouvrage faussement attribué à Eusèbe. Il est bien homme

à vous rapporter, sur la foi de certains faux actes de saint Pierre, qui couraient encore de son temps, que Simon le magicien avait à sa porte un gros dogue qui dévorait ceux que son maître ne voulait pas laisser entrer; que saint Pierre, voulant parler à Simon, ordonna à ce chien de lui aller dire, en langage humain, que Pierre, serviteur de Dieu, le demandait; que le chien s'acquitta de cet ordre, au grand étonnement de ceux qui étaient alors avec Simon; mais que Simon, pour leur faire voir qu'il n'en savait pas moins que saint Pierre, ordonna au chien, à son tour, d'aller lui dire qu'il entrât, ce qui fut exécuté aussitôt. Voilà ce qui s'appelle, chez les Grecs, écrire l'histoire. Cédrénus vivait dans un siècle ignorant, où la licence d'écrire impunément des fables se joignait encore à l'inclination générale qui y porte les Grecs.

Mais quand Eusèbe, dans quelque ouvrage qui ne serait pas venu jusqu'à nous, aurait effectivement parlé de l'oracle d'Auguste, Eusèbe lui-même se trompait quelquefois, et on en a des preuves constantes. Les premiers défenseurs du christianisme, Justin, Tertullien, Théophile, Tatien, auraient-ils gardé le silence sur un oracle si favorable à la religion? Étaient-ils assez peu zélés pour négliger cet avantage? Mais ceux mêmes qui nous donnent cet oracle le gåtent en y ajoutant qu'Auguste, de retour à Rome, fit élever, dans le Capitole, un autel avec cette inscription : C'est ici l'autel du fils unique ou aîné de Dieu. Où avait-il pris cette idée d'un fils unique de Dieu, dont l'oracle ne parle point?

Enfin, ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'Auguste, depuis le voyage qu'il fit en Grèce, dix-neuf ans avant la naissance de Jésus-Christ, n'y retourna jamais; et même, lorsqu'il en revint, il n'était guère dans la disposition d'élever des autels à d'autres dieux qu'à lui; car

il souffrit, non-seulement que les villes d'Asie lui en élevassent et lui célébrassent des jeux sacrés, mais même qu'à Rome on consacrât un autel à la Fortune, qui était de retour, Fortunæ reduci, c'est-à-dire à lui-même, et que l'on mît le jour d'un retour si heureux entre les jours de fête.

Les oracles qu'Eusèbe rapporte de Porphyre paraissent plus embarrassants que tous les autres. Eusèbe n'aura pas supposé à Porphyre des oracles qu'il ne citait point; et Porphyre, qui était si attaché au paganisme, n'aura pas cité de faux oracles sur la cessation des oracles mêmes, et à l'avantage de la religion chrétienne. Voici, ce semble, le cas où le témoignage d'un ennemi a tant de force.

Mais aussi, d'un autre côté, Porphyre n'était pas assez mal habile homme pour fournir aux chrétiens des armes contre le paganisme, sans y être nécessairement engagé par la suite de quelque raisonnement, et c'est ce qui ne paraît point ici. Si ces oracles eussent été allégués par les chrétiens, et que Porphyre, en convenant qu'ils avaient été effectivement rendus, se fût défendu des conséquences qu'on en voulait tirer, il est sûr qu'ils seraient d'un très-grand poids; mais c'est de Porphyre même que les chrétiens, selon qu'il paraît par l'exemple d'Eusèbe, tiennent ces oracles; c'est Porphyre qui prend plaisir à ruiner sa religion et à établir la nôtre. En vérité, cela est suspect de soi-même, et le devient encore davantage par l'excès où il pousse la chose; car on nous rapporte de lui-même je ne sais combien d'autres oracles très-clairs et très-positifs sur la personne de JésusChrist, sur sa résurrection, sur son ascension; enfin, le plus entèté et le plus habile des païens nous accable de preuves du christianisme. Défions-nous de cette générosité.

!

Eusèbe a cru que c'était un assez grand avantage de pouvoir mettre le nom de Porphyre à la tête de tant d'o- racles si favorables à la religion. Il nous les donne dépouillés de tout ce qui les accompagnait dans les écrits de Porphyre. Que savons-nous s'il ne les réfutait pas? Selon l'intérêt de sa cause, il le devait faire; et, s'il ne l'a pas fait, assurément il avait quelque intention cachée.

On soupçonne que Porphyre était assez méchant pour faire de faux oracles, et les présenter aux chrétiens, à dessein de se moquer de leur crédulité, s'ils les recevaient pour vrais, et appuyaient leur religion sur de pareils fondements. Il en eût tiré des conséquences pour des choses bien plus importantes que ces oracles, et eût attaqué tout le christianisme par cet exemple, qui, au fond, n'eût pourtant rien conclu.

Il est toujours certain que ce même Porphyre, qui nous fournit tous ces oracles, soutenait, comme nous avons vu, que les oracles étaient rendus par des génies menteurs. Il se pourrait donc bien faire qu'il eût mis en oracles tous les mystères de notre religion, exprès pour tâcher à les détruire, et pour les rendre suspects de fausseté, parce qu'ils auraient été attestés par de faux témoins. Je sais bien que les chrétiens ne le prenaient pas ainsi mais comment eussent-ils jamais prouvé par raisonnement que les démons étaient quelquefois forcés à dire la vérité? Ainsi Porphyre demeurait toujours en état de se servir de ses oracles contre eux; et, selon le tour de cette dispute, ils devaient nier que ces oracles eussent jamais été rendus, comme nous le nions présentement. Cela, ce me semble, explique pourquoi Porphyre était si prodigue d'oracles favorables à notre religion, et quel tour avait pu prendre le grand procès d'entre les chrétiens et les païens. Nous ne faisons que le deviner,

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